L’exploitation du soleil en plein désert pour
approvisionner l’Europe en électricité était une idée grandiose. Mais elle
peine à se réaliser. Comprendre les faiblesses du projet permettra de ne pas
refaire les mêmes erreurs.
Le projet tirait sa force des images qu’il véhiculait.
Le soleil, d’abord, qui symbolisait la fin du dilemme énergétique, après le déclin
du nucléaire. Puis le désert, qui évoquait l’immensité, l’espace, l’infini – y
compris en matière d’idées. Le projet Desertec, dont l’objectif était de
produire de l’électricité dans le Sahara pour l’acheminer en Europe, en a
enthousiasmé plus d’un et fut qualifié de plus belle “idée verte" de ces
dernières années. L’engouement fut tel que les grands groupes se bousculèrent
au portillon. Siemens, Deutsche Bank, Munich Re – une cinquantaine d’entreprises
locales ou étrangères apposèrent leur signature.
Mais le train est en perte de vitesse. Des
partenaires de premier plan se sont retirés, une des responsables du projet [Aglaia
Wieland], qui entendait mener à bien la feuille de route initiale, a été remerciée.
Tout ce projet n’était-il pas qu’un coup de communication reposant sur des chimères,
une grande idée ruinée par les mesquineries de certains ?
Ce serait une erreur de n’y voir qu’un simple ratage.
Car le projet Desertec et les enseignements qu’il nous prodigue préfigurent l’avenir
de la politique environnementale et la réussite ou l’échec de nombreux dossiers
politiques qui se trouvent confrontés à de grandes inconnues.
Un seul “cerveau” ne peut sauver le monde
Leçon n°1 :
les ingénieurs, les managers et les scientifiques ne remplacent pas l’action
politique. Il est certes tentant de voir la carte du monde ou d’un pays comme
une simple feuille de papier sur laquelle on trace des lignes à loisir, grandes
ou petites. Quiconque entend mettre en œuvre un grand projet serait toutefois
bien inspiré de songer en premier lieu aux acteurs politiques, à leurs intérêts,
aux frontières du pays et à ses régions. Il convient d’associer au projet les
riverains et les voisins. Tant que l’on n’a pas pris langue avec l’ensemble des
intéressés pour savoir ce qu’ils en pensent ou tout au moins pour leur dire ce
qui les attend, on court le risque de se créer un adversaire potentiel : et une
poignée d’adversaires peut suffire à faire capoter un projet. Dans les pays en
plein chambardement, comme en Afrique du Nord, les partenaires peuvent répondre
aux abonnés absents du jour au lendemain. Cet élément doit également être pris
en compte par ceux qui prévoient de quadriller le pays de lignes électriques à la
faveur de la transition énergétique.
Leçon n°2 :
il ne faut pas confondre la communication avec le dialogue et le processus
politiques. La communication est une grosse machine : présentations PowerPoint,
vidéos d’entreprise, campagnes publicitaires... Des visages avenants au milieu
des panneaux photovoltaïques, sur les voitures électriques ou sous le soleil du
désert. C’est l’affaire des conseillers en communication. Pour autant, la
campagne de communication n’est un succès que si le commanditaire parvient à imposer
sa vision du projet.
Au bout du processus politique, à l’inverse, on
trouve généralement un compromis. Comme cela a été le cas pour le projet
Desertec : les pays d’Afrique du Nord se serviront les premiers. Ce qui est
loin d’être un mauvais compromis. Et si le résultat est bien différent du
projet de départ, au moins le doit-on à des acteurs qui y sont directement intéressés.
Certains membres du mouvement vert appellent de leurs
vœux une politique environnementale à la mode chinoise : des Etats autoritaires
dont les cadres dirigeants imposent leur conception de la politique au forceps.
Or, l’expérience nous apprend que ce n’est jamais un seul "cerveau" qui
sauve le monde, mais une multitude de têtes pensantes, en produisant des idées.
Si elles peuvent retarder certaines prises de décision, la pluralité des
acteurs et la défense de leurs intérêts respectifs rendent également ces décisions
plus durables. Certes, il est toujours possible d’imposer telle ou telle
technologie, mais si l’on souhaite une politique environnementale qui dure, il
convient de changer les habitudes de consommation et les mentalités, les stratégies
d’innovation et les processus de production.
Il faut parfois voir grand
Leçon n°3 :
préférer les projets locaux, décentralisés et réversibles, aux grands projets
centralisateurs. Si l’on veut penser la croissance de manière intelligente, et
donc respectueuse de l’environnement, une question se pose : qui décide ce qui
est intelligent et de ce qui ne l’est pas ? Les défenseurs de l’atome, par
exemple, pensaient jadis avoir trouvé la clé d’une énergie propre et inépuisable.
Ne sont restés que des problèmes : que faire des centrales obsolètes et de
leurs déchets ?
Dans La troisième révolution industrielle, le
sociologue Jeremy Rifkin attribue le pouvoir révolutionnaire de l’énergie
solaire aux possibilités qu’elle offre en matière de décentralisation. Chacun
peut devenir producteur à domicile, écrit-il. D’autant qu’il sera bientôt
possible d’incruster des cellules solaires de série sur les tuiles ou dans le
crépi des maisons. Il ne sera plus besoin alors de faire venir l’électricité d’un
autre continent.
Les petits projets décentralisés n’ont pas seulement
l’avantage d’être aisément ajustables en fonction du contexte, mais permettent
aussi de promouvoir l’innovation et de vérifier leur acceptation par le grand
public.
Leçon n°4 :
les grandes visions donnent naissance à de petits projets et à de petites idées.
Ce qui a débuté comme un projet à 400 milliards visant à produire du courant
dans le Sahara pour alimenter l’Europe se termine aujourd’hui par de simples
centrales électriques en Afrique. Un fiasco ? Pas pour les gens qui en bénéficient
sur place. Il est parfois besoin de voir large pour dégager un objectif qui
vaille la peine d’être poursuivi. Si le processus est jalonné par de petites étapes
clairement définies, cela peut même être un avantage. S’il est parfois nécessaire
d’être radical dans ses visions, il l’est presque toujours d’être pragmatique [dans
leur mise en œuvre.]
Par Alexandra Borchardt (Traduction : Jean-Baptiste Bor)
– Source de l’article PressEurop
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire