Importer en Europe les énergies « vertes » du Sud,
aider en contrepartie le Maghreb à en finir avec ses pannes de courant à répétition
: le projet Medgrid d'autoroutes électriques rallie bien des suffrages et fédère
un consortium de 21 groupes industriels. Mais les financements pourraient poser
problème.
Réaliser des autoroutes électriques sous-marines
reliant l'Europe aux pays du sud de la Méditerranée pour profiter des complémentarités
entre ces deux grandes zones, l'idée est séduisante. C'est celle qui a présidé,
début 2011, à la création du projet Medgrid, porté par un consortium de 21 groupes
industriels. D'un côté, en effet, l'Europe s'est engagée à porter à 20 % la
part des énergies renouvelables dans sa consommation finale d'énergie d'ici à 2020
; de l'autre, les pays d'Afrique du Nord sont très bien dotés en soleil et en
vent, et leur consommation d'électricité devrait croître de 6 % par an d'ici à 2025,
selon l'Observatoire méditerranéen de l'énergie.
« De plus, les pointes de consommation électriques surviennent à des moments différents de l'année : en hiver dans les pays d'Europe du Nord et en été dans ceux du Maghreb, observe André Merlin, le président de Medgrid. Il y a donc un intérêt évident à échanger de l'électricité dans les deux sens, ce qui aiderait aussi les pays du Sud à passer les pointes de consommation et à éviter les coupures. »
Un mégaprojet à 400 milliards d'euros
Encore faut-il, pour cela, que les pays du sud de la Méditerranée investissent massivement dans des installations de production d'électricité solaire et éolienne. Des projets ambitieux, voire gigantesques, ont été annoncés ces dernières années, juste avant le début des « printemps arabes ».
Comme Desertec, né il y a 25 ans et soutenu depuis 2009, par une quarantaine d'industriels emmenés par les électriciens allemands E. ON et RWE. Son ambition : investir 400 milliards d'euros dans des centrales solaires et des éoliennes au Sahara, pour fournir à l'Europe 15 % de ses besoins en électricité à partir de 2025. Mais ce projet a été vécu dans les pays du Sud comme un certain retour du néocolonialisme. L'hiver dernier, Desertec a perdu deux de ses soutiens importants, Siemens et Bosch, qui ont abandonné leurs activités dans le solaire. Et début juillet, les dissensions ont éclaté entre la Fondation Desertec et les industriels. Le projet se retrouve donc en pleines turbulences.
Plus modeste, le Plan solaire méditerranéen, lancé en 2008, prévoit la construction de 20000 mégawatts de capacité supplémentaire en solaire ou en éolien, pour une facture estimée entre 38 et 46 milliards d'euros, interconnexions comprises. Le pays le plus avancé dans cet effort d'équipement est le Maroc qui a commencé en début d'année la construction, à Ouarzazate (lire aussi page 18), d'une centrale solaire thermique à concentration d'une puissance de 160 MW, qui sera opérationnelle l'an prochain. Une deuxième tranche de 300 MW est prévue pour cette centrale. À l'horizon 2020, le royaume espère avoir installé 2 000 MW en solaire et autant en éolien.
L'énergie éolienne bien moins chère qu'en Europe
Grâce aux vents puissants et réguliers qui soufflent en Afrique du Nord, l'éolien s'y avère très compétitif, avec un coût de revient de 50 euros par MWh, contre 80 à 90 euros pour l'éolien terrestre en Europe, et 200 euros pour l'éolien offshore en mer du Nord. Le solaire, de son côté, offre un rendement double de celui atteint en Europe, grâce aux longues heures d'ensoleillement de l'Afrique du Nord, mais il reste encore onéreux par rapport aux énergies fossile et nucléaire.
« Le coût de revient pour la première tranche de Ouarzazate est de 150 euros par MWh, précise André Merlin. Mais, dans le solaire, il reste une capacité d'amélioration technique qui va faire baisser les prix. » Avec des tarifs d'électricité « verte » devenant ainsi compétitifs, sera-t-il intéressant pour l'Europe d'importer une partie de cette production solaire ou éolienne d'Afrique du Nord ?
Oui, répond André Merlin, mais « à condition que les coûts de transport de cette électricité ne viennent pas grever la facture finale ». Les coûts d'installation de ces fameuses « autoroutes électriques » s'annoncent lourds en effet. « Sur des liaisons courtes, comme celle existant entre l'Espagne et le Maroc par Gibraltar, on peut rester en courant alternatif, et la facture s'élève à une centaine de millions d'euros, indique André Merlin. Mais sur des distances plus longues, il faut d'abord convertir le courant alternatif en courant continu, puis transporter ce courant continu dans des câbles sous-marins, et enfin installer une station de conversion qui retransforme ce courant continu en alternatif. Les postes de conversion coûtent 250 millions d'euros pour 1000 MW. Pour les câbles, il faut compter entre 500 millions d'euros et 1 milliard, suivant la distance, pour 1000 MW. »
À partir de ces données, le président de Medgrid estime qu'« une capacité de transport de 4 000 MW, s'ajoutant aux 1400 MW qui existent déjà entre le Maroc et l'Espagne, pourrait être rentabilisée, à condition qu'il y ait aussi des échanges du Nord vers le Sud ». Ces 4000 MW supplémentaires se répartiraient pour moitié entre le Maroc et l'Espagne, et pour moitié entre la Sardaigne (déjà connectée à l'Italie) et l'Algérie ou la Tunisie.
L'Europe a-t-elle besoin de l'électricité du sud ?
Reste, bien sûr, à vaincre les réticences politiques dans des pays du sud de la Méditerranée en pleine ébullition et peu habitués à coopérer en matière énergétique. « Aujourd'hui, les seuls échanges d'électricité entre les pays du Maghreb sont des échanges de secours, observe André Merlin. Il n'y a pas d'échanges commerciaux ni de marché de l'électricité. »
Et, surtout, il reste à trouver des financements pour ces vastes projets de production et de transport. À en croire les banquiers, la partie n'est pas gagnée : « Faire venir de l'électricité produite au Sahara, c'est sans doute une bonne idée, mais je ne suis pas sûre que l'Europe en ait besoin. L'Europe n'est pas menacée dans ses approvisionnements énergétiques, et la plupart des centrales à gaz, par exemple, y sont sous-utilisées. Quand on finance un projet, il faut d'abord s'assurer que la demande est là », assène Virginie Grand, responsable pour l'Europe du financement de projets chez HSBC.
À moins, peut-être, que les monarchies du Golfe, soucieuses de contrôler le développement des pays du sud de la Méditerranée, ne trouvent là à utiliser leurs gigantesques fonds. À Ouarzazate, c'est un groupe saoudien, Acwa Power, qui a remporté l'appel d'offres du gouvernement pour la première tranche de la centrale solaire.
Par Odile Esposito - Source de l'article Le Tribune
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