Méditerranée - Les migrations au service du développement

Alors que les moyens de transport sont plus rapides et moins onéreux, que les réseaux de communication connaissent un développement indiscutable, s'informer des opportunités existant ailleurs est de plus en plus aisé. Si l'on ajoute à ceci l'appel d'air provoqué, dans le pays d'origine, par les diasporas bien établies, la persistance de forts différentiels, économiques et politiques, entre le nord et le sud de la Méditerranée ou encore l'aspiration croissante des jeunes à la mobilité, l'on comprend pourquoi le phénomène migratoire ne cesse de s'amplifier entre les deux rives de la Grande Bleue.
Dans les médias européens, la question des migrations est souvent traitée sous l'angle de l'immigration illégale, des sans-papiers ou des débats identitaires qu'elle peut susciter. Un volet de la question migration est toutefois rarement évoqué : le lien entre migration et développement. Ce volet est l'un des grands dossiers, avec la question de l'immigration légale et la lutte contre l'immigration illégale, d'Euromed Migration II, un projet régional sur la migration dans l'espace euro-méditerranéen. Doté d'un budget de 5 millions d'euros, ce projet vise, de manière générale, à renforcer la coopération euro-méditerranéenne dans le domaine de la gestion de la migration, de manière à augmenter la capacité des partenaires méditerranéens à fournir une solution efficace, ciblée et globale aux différentes formes de migration.
« Depuis une vingtaine d'années, l'approche de l'UE de la question migratoire a beaucoup changé, note Isabelle Mihoubi-Astor, chef du projet Euromed Migration II. Aujourd'hui, la politique européenne vise à ce que les migrations se fassent de manière équilibrée, que la question du développement soit centrale et que l'on arrive à une situation satisfaisante pour tout le monde, et pas seulement pour l'Europe. » Une prise de conscience qui dépasse les frontières européennes puisque plusieurs organismes internationaux étudient la question des migrations à travers le prisme du développement. Parmi eux, le PNUD qui, dans son rapport 2009 sur le développement humain, souligne que la migration peut potentiellement augmenter la liberté des populations et améliorer la vie de millions de personnes dans le monde.
Impact sur le pays d'origine
Pour le pays d'origine des migrants, l'impact, en terme de développement, prend plusieurs formes. « La mobilité du travail et l'engagement économique des migrants génèrent toute une série de relations qui peuvent avoir un impact sur le développement », indique Manuel Orozco, spécialiste de la question des migrations et développement impliqué dans le programme Euromed. La plus évidente, celle par laquelle la question du développement est le plus souvent traitée, est celle du transfert de fonds de la part du migrant à sa famille restée au pays. Selon la Banque mondiale (BM), « à l'échelle mondiale, les envois de fonds représentent plus du double de l'ensemble de l'aide au développement et, pour beaucoup de pays, constituent leur principale source de devises ». « Selon les chiffres officiels, poursuit la BM, les envois de fonds aux pays en développement en 2008 se sont élevés à approximativement 305 milliards de dollars. » Toujours selon la Banque mondiale, 28,5 milliards de dollars de fonds ont été envoyés par des canaux officiels par les migrants dans la zone Moyen-Orient-Afrique du Nord. Des fonds qui ont un impact important sur l'économie des pays puisqu'ils représentent, selon les cas, entre 2 et 20 % du PIB (voir cadre).
« Pour mettre les choses en perspective, l'impact sur les familles, des fonds envoyés par 200 millions de migrants s'élèvent à 400 milliards de dollars reçus par 200 millions de foyers, souligne Manuel Orozco. Pour ces foyers, ces fonds représentent 50 % de leurs revenus et leur permettent d'accroître leur épargne et de mobiliser leur argent pour investir. » Investir dans une maison ou dans des petits commerces. « Entre 5 et 10 % des envoyeurs et receveurs de fonds investissent une moyenne de 5 000 dollars sur un cycle de 5 ans », ajoute l'expert.
Étant donné l'importance des transferts, quel a été l'impact de la crise économique mondiale ? « L'effet varie selon les endroits. Dans la zone européenne, les migrants en Espagne ont le plus souffert et au moins 25 % d'entre eux ont perdu leur emploi. Dans d'autres pays, la sévérité de la crise est moins forte, mais de manière générale, l'envoi de fonds a baissé de 10 % », affirme Manuel Orozco. La Banque mondiale indique, quant à elle, que les flux d'envois de fonds vers les pays en développement devraient diminuer moins que prévu initialement, pour s'établir à 317 milliards de dollars en 2009, contre 338 milliards de dollars en 2008.
Au-delà de la question des transferts de fonds, l'impact des migrants sur le pays d'origine prend diverses formes. « La consommation de biens et de services a également un impact : 90 % des migrants consomment des biens de leur pays d'origine. » Par ailleurs, les migrants sont philanthropes puisque 10 % d'entre eux, selon M. Orozco, organisent des associations pour aider leur communauté d'origine. « Plus important encore est l'impact que leurs petits projets ont sur les communautés locales », ajoute-t-il.
« Aujourd'hui, nous lançons également, à travers Migration II, une réflexion sur la diaspora et les moyens qu'elle a d'apporter une contribution au pays d'origine », renchérit Isabelle Mihoubi-Astor. Cela n'implique pas, pour autant, un retour du migrant. « Il existe aujourd'hui un consensus entre les pays Meda et l'UE sur la nécessité de favoriser la mobilité du migrant afin que ce dernier puisse contribuer au développement. En donnant, par exemple, des cours à la fac ou en partageant son expertise dans son pays d'origine. Une mobilité qui permet de sortir de toute dialectique rigide et de placer le migrant dans une position où il doit choisir entre ici et là-bas », explique Mme Mihoubi-Astor, qui lance toutefois une mise en garde : « Le migrant peut apporter beaucoup, mais il ne faut pas croire que ce sont les migrants qui vont régler tous les problèmes de développement d'un pays. »
D'où la mise en place, explique la responsable, de programmes de codéveloppement cofinancés par une organisation internationale, les autorités du pays d'origine ou les autorités du pays d'accueil. « Là aussi, nous faisons attention à ce que ces initiatives s'intègrent dans un programme national de développement, et non en parallèle », ajoute-t-elle.
Impact sur le pays d'accueil
Le 1er mars, le collectif « 24 heures sans nous, une journée sans immigrés », appelait à une mobilisation symbolique pour « démontrer l'apport indispensable de l'immigration » à la France. Une initiative, également suivie en Italie et en Grèce, qui visait à jeter une autre lumière sur le phénomène migratoire trop souvent uniquement perçu comme une menace. Un problème qui relève notamment de la communication politique, mais tient aussi au fait que l'apport des immigrés au pays d'accueil est rarement mesuré. Néanmoins, souligne Isabelle Mihoubi-Astor, « les migrants apportent à l'Europe ce qui lui manque ». Au plan démographique d'abord. « Aujourd'hui, il existe une complémentarité entre les pays Meda et l'UE à la démographie déclinante », explique la responsable. « Les migrants représentent aussi une source importante de main-d'œuvre pas chère qui permet aux entreprises de rester compétitives. Ils maintiennent aussi une activité économique vibrante qui bénéficie au marché local et accroît les échanges commerciaux », ajoute Manuel Orozco.
Certes, le phénomène migratoire suscite des débats, notamment sur les questions d'identité et d'intégration. Il n'en demeure pas moins que les migrations recèlent un potentiel fort en termes de développement, aussi bien pour les pays d'accueil que pour les pays d'origine. Potentiel dont la réalisation dépend largement des conditions dans lesquelles les migrations ont lieu.
Par Émilie SUEUR - article Eurojar publié dans le quotidien libanais L’Orient Le Jour - le 15 mars 2010
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Les migrations méditerranéennes en quelques données
Selon un rapport établi en 2008-2009 par le Centre Robert Schuman, sous la direction de Philippe Fargues, sur les « migrations méditerranéennes », « les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée (SEM) compteraient 12,7 millions d'émigrés, définis comme des personnes nées dans un pays du SEM avec la nationalité de ce pays et résidant actuellement dans un autre pays, quelle que soit leur nationalité présente. Ces émigrés se répartissent entre 8,2 millions (64,7 %) dans l'UE, 2,7 millions (21,4 %) dans les pays arabes et 1,7 million (13,7 %) dans d'autres régions du monde ».
Selon le même rapport, la proportion de jeunes aspirant à émigrer ne cesse de croître. « En Palestine, une enquête menée en 2007 par le Bureau central des statistiques montre que le tiers des jeunes de 10-29 ans (45 % des garçons et 18 % des filles) pensent émigrer. » Pour des raisons politiques, bien sûr, mais également pour des raisons économiques, d'emploi, d'absence de liberté et de déficit de gouvernance, communes à tous les pays de la région. En Tunisie, « les enquêtes nationales auprès de la jeunesse, menées depuis 1996, donnent des résultats particulièrement significatifs : entre le milieu des années 1990 et celui des années 2000, le proportion de jeunes qui manifestent un désir d'émigrer est passée de moins d'un quart à plus des trois quarts (75,9 %). (...) Entre le désir d'émigrer et sa réalisation, toutefois, il existe une distance que les enquêtes ne permettent pas d'estimer », peut-on lire dans le rapport de Philippe Fargues.
Selon le recueil de statistiques 2008 de la Banque mondiale, 28,5 milliards de dollars de fonds ont été envoyés par des canaux officiels par les migrants à leur pays d'origine dans la zone Moyen-Orient-Afrique du Nord, contre 12,9 milliards de dollars en 2000. Les dix pays de la zone Moyen-Orient-Afrique du Nord, bénéficiant d'envois de fonds en 2007 sont l'Égypte (5,9 milliards de dollars), le Maroc (5,7 milliards de dollars), le Liban (5,5 milliards de dollars), la Jordanie (2,9 milliards de dollars), l'Algérie (2,9 milliards de dollars), la Tunisie (1,7 milliard de dollars), le Yémen (1,3 milliard de dollars), l'Iran (1,1 milliard de dollars), la Syrie (0,8 milliard de dollars), la Cisjordanie et Gaza (0,6 milliard de dollars).
Par ailleurs, les dix pays bénéficiant d'envois de fonds en 2006 (en % du PIB) sont le Liban (22,8 %), la Jordanie (20,3 %), la Cisjordanie et Gaza (14,7 %), le Maroc (9,5 %), le Yémen (6,7 %), la Tunisie (5 %), l'Égypte (5 %), Djibouti (3,8 %), la Syrie (2,3 %) et l'Algérie (2,2 %).
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