Le Mena Economic Forum a eu lieu les 7 et 8 novembre à Marseille. La troisième édition de ce forum mondial, auquel participait notamment Arnaud Montebourg, a été l'occasion d'aborder l'évolution économique des pays arabes. Abdelmalek Alaoui, co-auteur de l’ouvrage "Le Maghreb dans les relations internationales" y était. Décryptage de ces rencontres.
La deuxième édition du Mena Economic Forum avait eu lieu à Sharjah les 3 et 4 février 2013 |
Tout ce que la Méditerranée compte de décideurs économiques et politiques influents s’est donné rendez-vous à Marseille la semaine dernière, à l’occasion du troisième Mena Economic Forum. Si cette grand-messe de la politique et du business a été l’occasion d’envisager les nouveaux chemins de la croissance pour la région, elle a également permis un examen clinique des reconfigurations à l’œuvre dans les pays en transition, trois ans après le "printemps arabe".
Sur le plan économique, il a beaucoup été question à Marseille des "co-localisations", notamment lors des échanges avec les politiques et hommes d’affaires français.
Brillant plaidoyer d'Arnaud Montebourg
En première ligne, le vibrionnant Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, qui a fait de la démarche de co-localisations l’un de ses chevaux de bataille, aux côtés de la promotion du label "made in France".
Hélas – hormis le ministre qui a fait un brillant plaidoyer très étayé – personne parmi les participants à ce forum n’a réellement été capable de donner un exemple ou une application concrète à ce concept qui voudrait que la ré-industrialisation de la France et de l’Europe se fasse au moyen de techniques de co-production entre le nord et le sud de la Méditerranée.
Pourtant, l’objectif affiché est de préserver par ce moyen les emplois au nord, d’en créer de nouveaux au sud, tout en créant au passage de la valeur ajoutée équitablement partagée.
De plus, à ce stade, aucune analyse sérieuse effectuée par un économiste crédible n’est venue valider l’hypothèse – séduisante – selon laquelle il serait possible de créer de la valeur commune en coproduisant entre nations à forte valeur technologique et capitalistique et pays à faible coût du travail.
Hormis de vagues et imprécis travaux émanant d’instituts spécialisés dans les relations internationales, les co-localisations en sont donc encore au stade de concept qu’il convient d’éprouver. L’idée est cependant porteuse d’avenir, et mérite donc à ce titre d’être approfondie.
Les délocalisations, modèle impossible à poursuivre
Les modèle historiques régulièrement invoqués par les promoteurs des co-localisations, allant des "maquilladoras" mexicains pour les USA à la relation industrielle centre-périphérie qu’entretient l’Allemagne avec les anciens pays du bloc de l’est reposaient tous sur un effet levier massif favorisé par le faible coût du travail et les subventions octroyées par les pays d’accueil.
Ils s’appuient en outre sur un avantage absolu en termes de localisation géographique, permettant un accès au marché ("Time To Market") difficile à battre en conservant les unités industrielles dans les pays du nord.
Or, ce modèle – de délocalisation, disons-le clairement – qui a fait ses preuves par le passé est impossible à poursuivre dans la configuration actuelle pour deux raisons essentielles.
D’une part, il est politiquement irrecevable par des opinions publiques occidentales chauffées à blanc par les crises qui se succèdent depuis 2008. D’autre part, de nombreux pays historiquement "récepteurs" – la Tunisie, l’Égypte ou la Libye – ne peuvent plus s’insérer dans cette dynamique car leurs manquent deux attributs majeurs : la sécurité et la stabilité.
Deux cas à part : l'Algérie et le Maroc
Dans ce contexte, le Maroc et l’Algérie constituent des cas à part et continuent à être attractifs, car ils ont tous deux fait la démonstration de leur résilience. Toutefois, les racines de leur stabilité lors du "printemps arabe" sont radicalement différentes. Dans un cas, une réforme constitutionnelle substantielle a été engagée, dans l’autre, une redistribution aux populations de la manne des hydrocarbures a été déployée.
Ces deux pays mis à part, l’on constate un paradoxe cruel auquel doivent faire face des pays touchés par une instabilité chronique depuis plus de trois ans. D’un côté, ils ne peuvent plus bénéficier des investissements directs étrangers (IDE), devenus frileux face à l’instabilité. De l’autre, ils sont sous pression permanente face à des revendications sociales de plus en importantes.
Face à la montée de ces revendications, l’on note cependant que les gouvernants de ces pays ont quasiment tous fait preuve d’une constance tenace : distribuer de l’argent qu’il n’ont pas, quitte à l’"emprunter durablement" aux riches pétromonarchies du golfe, soucieuses d’acheter la promesse de lendemains paisibles.
Face à cette double pression, l’expert Jean-Louis Reiffers, du réseau d’économistes méditerranéens FEMISE a résumé avec talent les deux issues possibles, sans toutefois se prononcer sur laquelle des deux lui semble la plus probable.
La stratégie des pays arabes est-elle risquée ?
D’un côté, il estime que la stratégie poursuivie par les dirigeants des pays arabes en transition est la seule possible dans la configuration actuelle, et que ces gouvernants attendent que la pression retombe, espérant que les sources de revenus "traditionnelles", tel le tourisme ou les transferts des migrants, repartiront à la hausse sous peu.
L’autre scénario voudrait que l’incapacité avérée de ces pays à mettre en place des réformes de fond, comme la suppression des subventions de carburant, la lutte effective contre la corruption et la bureaucratie, ou encore la réforme du code du travail, risque fort de conduire à une installation des tensions sociales, faisant entrer ces pays dans des cycles de crises durables.
Ceci entraînerait, bien entendu, une réaction en chaîne jusque dans les pays du Sahel, dont les migrants économiques commencent à trouver dans les pays d’Afrique du nord des zones de sédentarisation. Or, avec l’installation de la crise économique dans le temps, ces populations se retrouveraient de plus en plus exposées à la précarité, augmentant d’autant leur "désir d’Europe" et créant ainsi une spirale infernale dans laquelle l’Europe serait indubitablement entraînée.
Face à ces défis, se pose donc avec insistance la question de la gouvernance, et de la transposition des avancées économiques sur le plan politique, qui avait déjà été un sujet central dans la Tunisie de la fin des années Ben Ali.
Un "Leapfrog" démocratique est-il possible ?
À l’instar de l’économie qui a incontestablement réussi à effectuer les fameux "Leapfrogs" (littéralement "sauts de grenouille") chers aux économistes, peut-ont aujourd’hui raisonnablement envisager un "Leapfrog démocratique" dans les pays arabes en transition ?
Malheureusement, ce qui est applicable à la technologie, aux télécoms, ou même aux infrastructures, trouve ses limites en dehors de ces domaines, car la démocratie est beaucoup plus lente, et doit faire l’objet d’un apprentissage.
La démocratie est un processus, elle ne peut faire l’objet d’une installation ex-nihilo, à l’instar d’une antenne 4G.
De surcroit, rien ne permet malheureusement aujourd’hui d’espérer que l’on assistera à une accélération du renouvellement des élites politiques des pays en transition, ni à leur féminisation ou rajeunissement.
Peut être s’agit-il là de l’enseignement fondamental à retirer du "printemps arabe" : celui d’un mouvement qui a débarrassé des peuples de dictateurs, mais les a également privés de leadership.
Source de l'article LeNouvelObs
A voir sur le web: Le Forum économique mondial MENA prouve sa dimension internationale
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