"Quelle politique pour la France en Syrie et au Moyen-Orient?"

La France, forte de ses relations historiques privilégiées avec le Moyen-Orient, doit repenser sa stratégie diplomatique en Syrie, analyse Pierre-André Hervé, vice-président des Jeunes Démocrates de Paris (MoDem) et rédacteur aux Clés du Moyen-Orient. 
"Quelle politique pour la France en Syrie et au Moyen-Orient?"
Le chef de la coalition de l'opposition syrienne Ahmed Al-Jarba et François Hollande à l'issue d'une
rencontre le 29 août 2013 à l'Elysée - AFP

La France, ancienne puissance mandataire en Syrie, possède des liens historiques forts avec la Syrie et son voisin libanais. Des forces françaises sont d'ailleurs toujours positionnées dans la région, dans le cadre de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Cet héritage contraint la France à une grande humilité, et à une grande prudence s'agissant des affaires intérieures syriennes, qu'elle a contribué à modeler, pour le meilleur et sans doute surtout pour le pire. Il la contraint, aussi, à une grande responsabilité. 

La France, qui se revendique "pays des droits de l'Homme", ne peut rester insensible au cri des Syriens qui meurent chaque jour dans la guerre civile la plus désastreuse de ce début de XXIe siècle. Elle doit contribuer de toutes ses forces à la résolution du conflit et aider, avec ses partenaires européens en particulier, la transition politique de ce pays vers un nouvel état de paix plus inclusif et démocratique. Pour ce faire, l'analyse de la situation doit être rigoureuse, et la politique menée, en conséquence, aussi pragmatique que courageuse. 

L'analyse de la situation

La guerre civile en Syrie est le produit, d'une part, de la répression sanglante par Bachar el-Assad, d'un soulèvement populaire initialement pacifique et, d'autre part, de la paralysie consécutive de la "communauté internationale". L'extrême violence de l'Etat syrien, jadis décrit par le sociologue Michel Seurat comme "l'Etat de barbarie", à l'encontre de sa propre population, n'a laissé d'autre choix à l'opposition que l'armement, conduisant le pays dans la guerre civile. 

Cet affrontement binaire s'est considérablement complexifié à mesure que le pays s'enfonçait dans la crise. Le régime a usé de tous les moyens à sa disposition, en particulier médiatiques, pour manipuler l'opinion syrienne et internationale et la détourner du soutien à la révolution. Il a présenté cette dernière, au mépris d'une réalité beaucoup plus nuancée, comme acquise au fondamentalisme islamique et pratiquant le terrorisme et l'a donc accusée de représenter une menace vitale pour la pérennité d'une Syrie plurielle. 

Lui-même s'est affiché, avec un aplomb incroyable, en dernier rempart des minorités religieuses du pays face à l'islam radical. Il n'a pourtant pas rechigné à alimenter la frange effectivement fondamentaliste de la rébellion en libérant, par exemple, quelques islamistes de ses prisons. Sa stratégie a été, de ce point de vue, d'autant plus efficace que les rebelles fidèles aux valeurs initiales, démocratiques, du soulèvement ont reçu un soutien financier et matériel inférieur à celui dont ont bénéficié les groupes plus radicaux, appuyés par de riches bienfaiteurs du Golfe arabo-persique. 

Progressivement, la crise syrienne est devenue un point de fixation du conflit pour la domination politique que se livrent l'Iran, soutien du régime syrien, et l'Arabie saoudite, qui appuie la rébellion. Ce pourrissement, et cette régionalisation de la crise syrienne, ont été permis par l'absence de réaction ferme d'une "communauté internationale" très divisée par les intérêts particuliers de ses composantes les plus puissantes, en premier lieu la Russie et les Etats-Unis. Dans ce contexte, que peut faire la France? 

Pour une nouvelle stratégie française

Comme l'a rappelé le directeur des Cahiers de l'Orient, Antoine Sfeir, lors de son intervention devant le Mouvement Démocrate, le 27 septembre dernier, la France doit retrouver la diplomatie dynamique et équilibrée qu'elle a historiquement déployée dans ses relations avec les pays du Moyen-Orient: "Quand le Marocain voulait parler avec l'Algérien, il passait par la France, quand l'Israélien voulait parler avec le Palestinien, il passait par la France, quand le Libanais voulait reparler avec le Syrien, il passait par la France. Aujourd'hui la France n'est plus audible, n'est plus crédible." 

La politique française au Moyen-Orient est devenue trop erratique, principalement orientée en fonction d'intérêts économiques à court terme. Elle a perdu sa ligne politique directrice et sa capacité à dialoguer de façon convaincante avec l'ensemble des acteurs de la région. Confrontée à l'impérieuse nécessité de résoudre une crise syrienne mettant en jeu de multiples acteurs régionaux et internationaux, elle doit les retrouver au plus vite. Cela passe par un discours fort et des actions cohérentes: 

Dénoncer les manipulations et les crimes du régime syrien, mais promouvoir une transition politique inclusive.La manipulation éhontée orchestrée par le régime et relayée en France, et dans le monde, par ses alliés locaux plus ou moins conscients (l'extrême-droite française et certains cercles anti-impérialistes, par exemple) doit d'abord être dénoncée avec force. Non, Bachar el-Assad n'est pas le meilleur défenseur d'une Syrie laïque et unie, non il n'est pas le principal secours des minorités chrétiennes en Syrie. 

Il est au contraire leur principal fossoyeur. Pour assurer sa survie, il écrase son peuple sous les bombes et donne les communautés minoritaires en pâture au fondamentalisme islamique qu'il excite. La destruction de l'inestimable patrimoine culturel syrien est aussi de sa responsabilité. La France a le devoir, devant de pareils forfaits, de saisir la Cour pénale internationale, pour que celle-ci poursuive Bachar el-Assad et instruise les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en Syrie. 

Pour autant, si écarter le chef de l'Etat et ses proches de toute transition politique est un préalable, compte tenu de l'aversion radicale et probablement irréversible qu'ils suscitent chez les nombreux Syriens victimes de leur répression sauvage, les institutions de l'Etat syrien devront être maintenues et les membres subalternes du régime associés à la transition. Il s'agit d'assurer la pérennité de l'Etat syrien et de créer les conditions de la nécessaire réconciliation nationale. 

Soutenir massivement l'opposition armée démocratique et protéger les victimes civiles.Le futur de la Syrie n'est pas concevable, en présence de Bachar el-Assad et de ses proches, au pouvoir à Damas, mais il n'est guère plus souhaitable si les djihadistes y jouent un rôle important. Afin d'accroître toujours plus la pression sur le clan Assad tout en marginalisant les groupes djihadistes au sein de l'opposition, la France et ses alliés doivent apporter aux rebelles favorables à la démocratie un soutien financier et matériel beaucoup plus important. 

Contrairement à ce que l'on entend parfois, ceux-ci non seulement existent toujours, mais ils sont identifiés, relativement fiables et accessibles. Ces derniers mois, ils sont d'ailleurs, à plusieurs reprises, entrés en confrontation directe avec les groupes djihadistes, ceux-ci suscitant un rejet croissant d'une population lassée par leur extrémisme et suspicieuse à l'égard de leur origine souvent étrangère. Par ailleurs, la protection des victimes civiles du conflit doit être garantie autant que faire se peut. 

La France pourrait, de ce point de vue, non seulement accentuer son aide aux réfugiés syriens installés dans les pays voisins mais également promouvoir la mise en place d'un corridor humanitaire sur un espace contrôlé par les rebelles, protégé par une zone d'exclusion aérienne. Cela suppose l'installation de batteries anti-aériennes et l'envoi d'avions intercepteurs. Rappelons à ce propos que pareille opération a permis au début des années 1990 la protection efficace des populations civiles kurdes irakiennes jusque-là soumises aux assauts, y compris à l'arme chimique, de Saddam Hussein

Contrarier le financement des groupes rebelles radicaux. La France doit aussi afficher sa fermeté à l'égard des pays du Golfe et de la Turquie qui financent, ou couvrent le financement, de groupes rebelles islamistes, djihadistes mis à part. Cela suppose une vision de long terme et du courage alors que l'on a vu récemment le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian se féliciter d'un contrat de vente d'armes à l'Arabie saoudite.

D'un autre côté, la France doit saisir la chance que lui offre cette bonne relation établie entre les deux pays pour s'adresser avec franchise et audace à son partenaire. Par ailleurs, afin de répondre plus efficacement au problème posé par les djihadistes, la France et ses alliés doivent déployer des moyens de renseignement plus importants dédiés à l'investigation et la coupure des réseaux de financement et d'approvisionnement des entités les plus radicales, liées pour une part à Al-Qaïda, qui passent par l'Irak mais aussi par la Turquie. 

Isoler le régime syrien de ses soutiens extérieurs. A l'égard du régime syrien, la France doit se montrer particulièrement ferme et user de tous les moyens à sa disposition pour l'isoler. Elle doit non seulement soutenir l'opposition démocratique mais aussi presser la Russie et l'Iran de réduire leur soutien jusque-là inébranlable à Bachar el-Assad. Un retournement même limité du rapport de force en faveur des rebelles, permis par un soutien extérieur plus important, peut convaincre les alliés de Bachar el-Assad que l'abandonner est la solution la plus raisonnable. 

La France doit également multiplier les pressions diplomatiques à l'endroit de la Russie et de l'Iran, afin de les isoler du concert des nations et les contraindre au compromis. De ce point de vue, la saisine de la CPI n'est pas inutile. En même temps, il faut donner à la Russie et à l'Iran des garanties, satisfaire leur intérêt national fondamental, le seul sur lequel ni l'un ni l'autre ne transigeront. Les groupes djihadistes, qui inquiètent tant la Russie que l'Iran, confrontés tous deux à la percée de l'islam sunnite radical dans leur proche voisinage (le Caucase et l'Asie centrale pour la Russie, l'Irak, l'Afghanistan et le Pakistan pour l'Iran), doivent être dénoncés et combattus. 

S'agissant de la Russie, elle doit être associée au processus de transition politique et se voir garantir, par exemple, le contrôle du port de Tartous, qui lui offre un accès stratégique à la mer Méditerranée. Cela n'est certes pas la panacée mais permet d'une certaine manière, en l'absence d'une Union européenne stratégiquement autonome, de contrebalancer l'influence des Etats-Unis qui bénéficient de nombreuses facilités militaires dans le bassin méditerranéen. 

Repenser, en particulier, la stratégie française à l'égard de l'Iran. L'Iran, pour sa part, mérite d'être traité avec plus de respect qu'il ne le fut jusqu'à présent, d'autant plus que le nouveau président Rohani envoie des signaux positifs. Les sanctions à l'égard de Téhéran, largement contreproductives puisqu'elles ont accentué le nationalisme iranien et la popularité du régime, doivent être revues sinon levées, tandis que la relation franco-iranienne doit être déconnectée du seul dossier nucléaire. 

Même sur ce dernier point, la France devrait se garder de donner des leçons à la République islamique et avant tout faire preuve d'exemplarité. Pourquoi le chef de l'Etat français ne s'est-il pas associé à la proposition de Barack Obama, formulée en 2009, de parvenir à l'éradication totale des armes nucléaires? Pourquoi si peu d'hommes politiques français ont suivi l'exemple de Michel Rocard et des anciens ministres de la Défense Paul Quilès et Alain Richard, en rejoignant le mouvement "Global Zero"? La faute sans doute à l'emprise sur les esprits de la doctrine de l'indépendance stratégique sous parapluie nucléaire qui prévaut depuis le Général de Gaulle. 

Il faudra bien pourtant, un jour, se poser la question de la validité de la dissuasion nucléaire française, par ailleurs fort coûteuse, dans le contexte géostratégique de la deuxième décennie du XXIe siècle, pour le moins différent de celui de la Guerre froide. En ce qui concerne les Iraniens, qu'il s'agisse du dossier nucléaire ou du dossier syrien, leur politique n'est finalement pas si différente et consiste à assurer leur sécurité nationale dans un contexte régional anxiogène, marqué par la montée de l'islam sunnite radical et la rivalité avec les monarchies du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite. La France doit reconnaître ces contraintes qui pèsent sur l'Iran et comprendre qu'elle a beaucoup à gagner politiquement mais aussi économiquement en rééquilibrant ses relations avec les pays du Golfe arabo-persique au profit de la République islamique. 

En somme, par son exemplarité et une diplomatie offensive et cohérente, la France doit redevenir le partenaire crédible et attentif des Etats et des peuples du Moyen-Orient qu'elle fut parfois dans le passé. Pariant que l'avenir de la région passe par des sociétés civiles dynamiques et des modèles politiques démocratiques, elle doit afficher sa volonté et agir avec pragmatisme, en usant avec intelligence de son influence et de ses moyens plus coercitifs. Elle doit retrouver une voix forte, celle du pays des droits de l'Homme qui ne transige pas sur ces valeurs, qui respecte le droit international qu'il a contribué à former tout en sachant appuyer concrètement les hommes et femmes qui, dans la région, aident à faire avancer le projet démocratique. 

Elle doit enfin soutenir une transition politique en Syrie qui écarte le clan de Bachar el-Assad mais évite le démantèlement de l'Etat syrien et ménage les intérêts russes et iraniens légitimes. La voie est étroite mais l'issue mérite l'engagement le plus résolu de toutes les forces de la France. 

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne sauraient lier en aucune manière le Mouvement Démocrate et Les Clés du Moyen-Orient. 

Par Paherve - Source de l'article l'Express

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