42 scientifiques réenchantent la Méditerranée

42 regards sur le paysage et la ville méditerranéens se mélangent au sein du conseil scientifique de Volubilis, constitué le 9 février à l'hôtel Brantes d'Avignon.
Laurent Miguet - 42 regards sur le paysage et la ville méditerranéens se mélangent au sein
du conseil scientifique de Volubilis, constitué le 9 février à l'hôtel Brantes d'Avignon.
Au cours de sa séance inaugurale du 9 février à Avignon, le conseil scientifique de Volubilis a donné un nouvel élan au réseau européen et méditerranéen pour la ville et les paysages. 

La diversité géographique et disciplinaire caractérise la nouvelle instance de 42 membres, chargée d’accompagner vers l’âge adulte l’association avignonnaise : Volubilis fêtera ses 20 ans en novembre.

L’eau et le feu devraient figurent en tête de l’agenda des experts en paysage méditerranéen. Premier intervenant de la séance inaugurale du conseil scientifique de l’association Volubilis, le 9 février à l’hôtel Brantes d’Avignon, Gilles Clément a invoqué les deux éléments dans sa réponse à la demande de la présidente Irène Bouré : identifier les émergences et les urgences dans le façonnage de la ville et des paysages méditerranéens. Une conviction sous-tend la question de Volubilis à ses nouveaux conseillers : « Le sud va nous apprendre à tenir, face au changement climatique », espère Irène Bouré.

Emergence du feu

Le feu penche du côté des sujets émergeants : « Il y a 30 ans, si j’avais abordé cette question dans mon travail sur le domaine du Rayol, on m’aurait traité de pyromane, alors que la gestion du feu s’intègre au système de production nourricière qui contribue à l’incroyable originalité de la Méditerranée », analyse Gilles Clément. Le titulaire du grand prix national du paysage voit dans ce thème un écho à un enjeu mondial et une opportunité pour brasser les disciplines, en s’appuyant sur les chercheurs de l’Institut national de recherche agronomique et du Centre national de la recherche scientifique.

Urgence de l’eau

Parmi les interprètes de l’urgence de la question de l’eau, l’urbaniste Jellal Abdelkafi a partagé avec le conseil sa vision dramatique de son pays : « Alors que la Tunisie a inscrit le développement régional parmi les objectifs de sa constitution de 2014, l’Etat et les populations se trouvent démunis, face à l’assèchement qui progresse du nord vers le sud. Tous les barrages sont au plus bas, et la céréaliculture dédiée à l’exportation continue à aggraver cette tragédie », diagnostique le président du comité fondateur de l’association tunisienne des urbanistes.

Epuisement du productivisme

Face au changement climatique, les conseillers scientifiques de Volubilis partagent le constat de l’épuisement du modèle productiviste et consumériste, tant dans l’agriculture que dans la construction : « En Afrique, la modernité reste associée au parpaing et à la tôle qui imposent la climatisation, alors que les modes de construction traditionnels offrent les solutions adaptées au climat. Il est temps d’inverser le sens des transferts », s’insurge Lucien Stanzione, trésorier de l’organisation non gouvernementale ICD Afrique. « Et de sortir de la logique de silos, encore illustrée par la seule réponse proposée par la France pour remédier à son déficit en énergie renouvelable : faire du chiffre ! », ajoute Jean-Pierre Thibault, inspecteur général au ministère de la Transition écologique et représentant du collectif des Paysages de l’après-pétrole au conseil scientifique de Volubilis.

Renaissance par le rêve

Comment la nouvelle instance contribuera-t-elle à transformer ses constats en projets ? « Que faire, si tout le monde se fout de la désertification de la Tunisie ? Il faut remédier à la crise du rêve. On ne sauvera la nature que par la culture », avance Michel Péna. L’ancien président de la fédération française du paysage voit dans la mythologie méditerranéenne réinterprétée une source mobilisatrice pour « recréer un bouillonnement culturel autour du paysage ». Outre son engagement à Volubilis, il espère y contribuer à travers une fondation niçoise en cours de constitution.

Mode projet

Plus concrète, la polytechnicienne et consultante en sociologie et écologie Hélène Cheval parie sur la diffusion de projets et de méthodes qui ont prouvé leur efficacité. Marie Baduel, directrice de l’agence Villes et territoires méditerranéens durables de Marseille, va plus loin : « Plus qu’un penseur et un diffuseur, Volubilis peut se mettre en capacité de fonctionner en mode projet, pour accompagner des expériences d’urbanisme différent, transposables à l’échelle métropolitaine », parie l’urbaniste qui a participé à la préfiguration de la métropole d’Aix-Marseille. Selon l’architecte conseil de la direction régionale des affaires culturelles de la région Paca François Gondran, les habitudes de travail prises par Volubilis avec les étudiants permettraient de conjuguer les objectifs de « changer et rêver ».

Pédagogie de la liberté

Deux ans après la tempête de protestations qui a sauvé l’antenne marseillaise de l’école du paysage de Versailles, ce rappel de la dimension pédagogique du travail de l’association avignonnaise renvoie à une motivation clé de nombreux conseillers scientifiques : préserver un foyer de réflexion et d’initiatives françaises dans le paysage et l’urbanisme méditerranéens. « Volubilis a construit une partie de la pédagogie dispensée à Marseille. C’est toujours vivant » : le rappel de Vincent Piveteau, directeur de l’école, sonne d’autant plus juste aux oreilles du conseil scientifique que l’antenne méditerranéenne porte le projet de chaire sur l’eau, en phase de préfiguration. L’esprit de Versailles-Marseille a soufflé dans la salle de la séance inaugurale par la voix du maître de conférence franco-tunisien Mongi Hammami : « Plus qu’un bassin, la méditerranée, c’est la liberté, la substance de la musique, la poésie de l’interculturel et du pluridisciplinaire »…

Par Laurent Miguer - Source de l'article Le Moniteur

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