Les Romains, déjà, ne s'y trompaient pas. Méditerranée, en latin, signifie "mer au milieu des terres", comprendre "mer du milieu". Cette dimension centrale ne s'est jamais démentie. Axe maritime par excellence durant l'Antiquité, la mer Méditerranée est aujourd'hui encore au coeur de tous les enjeux stratégiques de cette région du globe.
Si la coopération des pays du pourtour méditerranéen ne date pas d'hier, la tragédie de Lampedusa montre assez tout le chemin qu'il reste à faire pour l'optimiser. Notamment sur le plan économique.
Le drame de Lampedusa n'est pas celui des bateaux chargés jusqu’à la gueule et rouillés jusqu'à l'os. C'est celui, beaucoup plus profond, beaucoup moins palpable, de la dérive d'un continent. Des pays entiers du Maghreb et de l'Afrique sub-saharienne se vident de leurs forces vives pour tenter, contre vents et marrés, de gagner l'Europe. La Méditerranée, autrefois passerelle entre les deux continents, est perçue par ces populations comme un énorme mur d'eau. Non plus un passage, mais un colossal obstacle liquide que des Moïse à la petite semaine aident à fendre, moyennant finances, dans des conditions effroyables.
Parfois ça passe. Parfois non. Alors on repêche les cadavres. Alors on empile les cercueils anonymes sur des navires militaires, pour les rapatrier vers des destinations incertaines. Que faire pour empêcher que l'horreur ne se reproduise ? Comment apprendre de nos erreurs ? Certainement pas en tricotant un épais rideau de fils barbelés le long des cotes espagnoles, françaises et italiennes. On ne ferait que reporter ailleurs le problème, comme ça avait été le cas dans les années 90, lorsqu'une augmentation des contrôles à Gibraltar avait conduit à déplacement et à un étalement vers l'est des flux migratoires.
Depuis, il est effectivement plus dur se rendre illégalement en Europe via la Méditerranée. Cette difficulté, inhérente à la longueur et à la dangerosité du trajet, rend les migrants beaucoup plus vulnérables. Mais pas moins déterminés. En deux décennies, le vieux continent a injecté des milliards dans son programme de contrôles aux frontières et dans Frontex, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures. En vain. L'immigration n'a pas baissé. Le nombre de morts n'a cessé d'augmenter (on en totalise plus de 19 000 depuis 1988, sans compter les disparus).
Cela s'explique facilement. Entre l'assurance d'une vie de misère dans son pays d'origine et la promesse, même floue, même entravée d'obstacles, d'un monde meilleur, le choix est vite fait. Les murs les plus épais du monde ne feront jamais qu'accréditer l'idée qu'ils dissimulent un Pays de Cocagne.
L'Europe, sur le sujet de l'immigration, se trouve dans la position d'un maitre nageur qui, plutôt que d'aider les baigneurs, utiliserait sa perche pour les repousser vers le large. Inefficace. Inhumain ? Sans doute. Reste qu'il semble difficile d'accueillir à bras ouverts l'ensemble des migrants venus d'Afrique ou d'ailleurs.
L'Union pour la Méditerranée (UPM), espace de réflexion privilégié
Pas évident de trouver une solution propre à satisfaire tout le monde. Pourtant, des pistes existent. L'une d'elles est portée par l'Union pour la Méditerranée (UPM), réincarnation modernisée du Processus de Barcelone. L'UPM propose de renverser la représentation que les pays du bassin méditerranéen, dans le cadre de leurs relations, se font de la Méditerranée. Espace de toutes les altérités, fracture géographique symbolique du gouffre qui sépare les civilisations, la "mer au milieu des terres" n'est plus ici une barrière mais un pont, une passerelle entre des continents aux intérêts connexes. Elle rapproche plutôt qu'elle ne différencie.
Alors bien sûr, on est en droit de trouver cette bascule sémantique creuse. Pourtant, tout porte à croire qu'une optimisation des relations bilatérales serait fructueuse pour les deux camps. Les prévisions de croissance pour l'Afrique sont de l'ordre de 4,8% en 2013 et 5,3% en 2014, quand la Banque centrale européenne table sur un recul de la croissance de 0,4% en 2013 en Europe, et sur une faible augmentation de 1% en 2014. On saisit l'intérêt qu'il y a pour le vieux continent à affirmer sa présence au sud de la Méditerranée. Mais cette coopération accrue servirait aussi le développement de l'Afrique, qui manque cruellement de capitaux.
Porté par une agriculture, une exploitation minière et des ressources énergétiques importantes, le continent africain séduit de plus en plus d'investisseurs venus des pays émergents, mais peine encore à attirer les Européens. Expliquer les raisons d'une telle frilosité et tenter d'en trouver le remède était l'un des enjeux du Forum « 5+5 Dialogue », organisé par l'UPM à Barcelone le 23 octobre.
Reste à savoir ce qu'on veut. Continuer à investir des milliards chaque année pour tenter, en pure perte, d'endiguer l'immigration à grand renfort de policiers armés jusqu'aux dents. Ou consacrer cet argent à investir en Afrique pour contribuer à l'édification d'un continent économiquement serein duquel les habitants n'auront plus envie de s'évader coûte que coûte. Y'a-t-il vraiment débat ?
Par Arnaud Barbey - Source de l'article Mediapart
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