Méditerranée - La France apprend la modestie face aux crises arabes

Le gouvernement français fait l'apprentissage de la modestie face à des crises arabes qu'il n'a pas su prévoir, tout en s'efforçant de ne pas rater le train de la révolte égyptienne.
Après le président américain Barack Obama, Nicolas Sarkozy s'est résigné à son tour mercredi à lâcher Hosni Moubarak, qui a été jusqu'ici son principal allié dans le monde arabe.
Au lendemain de l'annonce par le raïs égyptien de sa volonté de rester au pouvoir jusqu'en septembre, le président français a souhaité dans un communiqué qu'un "processus de transition concret s'engage sans tarder" en Egypte.
Il a invité les dirigeants égyptiens à "tout faire pour que ce processus crucial se déroule sans violence" et à répondre au "désir de changement et de renouvellement" d'une population qui continue à exiger dans la rue le départ immédiat de celui qui dirige sans partage depuis 30 ans le plus grand pays arabe.
Le porte-parole du gouvernement a récusé le terme "lâchage" - "On ne peut pas parler en ces termes", a dit François Baroin, tout en admettant cependant que "l'interprétation est libre".
Une illustration du dilemme de pays comme les Etats-Unis et la France, contraints de réviser à chaud une politique qui a consisté, depuis le traumatisme de la révolution iranienne de 1979, à soutenir des régimes despotiques considérés comme le dernier rempart contre le risque de l'extrémisme islamiste.

"On ne sait pas où on va"
Nicolas Sarkozy, adepte des déclarations abruptes et parfois sans lendemain, a fait preuve, sur la crise tunisienne qui a amené la chute du président Zine ben Ali, comme sur l'Egypte, d'une extrême prudence, reflet d'une extrême perplexité.
"Que le gouvernement hésite me paraît légitime parce qu'on ne sait pas du tout où on va", souligne Dominique Moïsy, conseiller auprès de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Autant l'absence de lucidité d'hier était condamnable, autant la prudence est aujourd'hui nécessaire."
"Modestie" et "non-ingérence", associées à l'affirmation d'une "disponibilité" à venir en aide aux peuples concernés, sont devenus les maîtres-mots des dirigeants français.
Ceux qui l'ont oublié se sont fait taper sur les doigts, comme la secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Jeannette Bougrab, qui avait appelé samedi, sans ambages, au départ de Hosni Moubarak.
Selon une source gouvernementale, Nicolas Sarkozy a évoqué en conseil des ministres les conséquences sur l'équilibre du Proche-Orient d'un changement éventuel de régime en Egypte, rare pays arabe à avoir signé un traité de paix avec Israël.
"Ce qui nous rend tous prudents (...) c'est la crainte de voir arriver au pouvoir des islamistes radicaux", souligne le ministre de la Défense, Alain Juppé, sur son blog.
Il estime cependant que, les peuples gagnant en maturité, le pari consistant à "faire confiance aux mouvements démocratiques" et à les "accompagner (...) tout en restant vigilants sur leur évolution" peut s'avérer gagnant.

Aveuglement
Pour les observateurs familiers de ces dossiers, la France ne pourra en tout cas pas faire l'économie d'une réflexion de fond sur sa politique au Proche-Orient et en Afrique du Nord.
France et Etats-Unis payent le prix d'un certain aveuglement, estime ainsi Dominique Moïsy : "Moubarak était très confortable. On ne se souciait pas de ce que pouvaient penser les Egyptiens."
Un avis partagé par l'ex-ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière pour qui la France devra être beaucoup plus attentive à l'évolution des sociétés arabes et notamment à leur jeunesse.
"Nous ne sommes pas assez proches des jeunes générations", explique-t-il à Reuters. "Nous nous appuyons trop sur des élites francophones vieillissantes."
"La politique arabe de la France est devenue un mythe", ajoute-t-il. "Il faut que nous ayons une approche région par région - le Maghreb, le Golfe, le Proche-Orient, etc."
En revanche, personne, hormis peut-être à l'Elysée, ne croit à une relance de l'Union pour la Méditerranée (UPM), créée en grande pompe le 13 juillet 2007 à Paris mais enlisée depuis dans le bourbier du conflit israélo-arabe et les marais secondaires des relations algéro-marocaines ou turco-chypriotes.
"Nous appelons tous les gouvernements et tous les peuples d'Europe et de la Méditerranée à donner un nouvel élan à l'Union pour la Méditerranée", déclarait encore Nicolas Sarkozy lors de sa conférence de presse du 24 janvier.
Mais la déstabilisation de Hosni Moubarak, coprésident de l'UPM, semble rendre encore plus illusoire cette perspective.
"L'erreur fondamentale est d'avoir tout misé sur l'Egypte", souligne Yves Aubin de la Messuzière.
Reste l'espoir de convaincre l'Union européenne d'adopter une politique commune articulée autour de projets concrets - faire de l'UPM sans l'UPM quelque sorte. Selon François Baroin, la situation autour de la Méditerranée sera abordée lors du Conseil européen de vendredi à Bruxelles.
Par Emmanuel Jarry - édité par Patrick Vignal - lePoint.fr - le 2 février 2011
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