Où est passée l'Union pour la Méditerranée (UPM) ? Comment se fait-il que nous ne l'entendions pas s'exprimer, à propos de la révolution en Tunisie, sur le sens de ce grand mouvement de protestation contre la faim et pour l'Etat de droit qu'orchestre partout la jeunesse arabe d'Alger au Caire en passant par Amman ? Ce silence est incompréhensible quels que soient les arguments de realpolitik que l'on pourra avancer. Il est une gifle à l'esprit fondateur de cette union, dont le but clair est, par le biais de la réussite économique, permettre l'avènement de sociétés pluralistes et de tolérance mutuelle.
Une conversion démocratique unique se passe sous nos yeux, et la seule institution courageuse et pertinente pour allier Nord et Sud se tait. Bien sûr, tous les signaux politiques incitent à la prudence : la démocratie n'est pas assurée d'advenir en Tunisie. Cette transition peut tourner au drame avec à un aller simple vers le passé. Qui sait d'ailleurs ce que réserve l'évolution en Egypte et en Algérie ?
Certes, L'Union pour la Méditerranée n'a pas pour objet de traiter des questions politiques entre les Etats mais de s'occuper "seulement" de régler des sujets économiques et environnementaux urgents et nécessaires. Certes, comme l'écrivait Charles de Gaulle, "les voies de l'angélisme n'amènent pas à celles de l'Empire"…
Mais voilà, la créature "UPM" a échappé à ses créateurs et elle a produit autour d'elle une véritable attente, une croyance que "tout ce qui nous rassemble est supérieur à ce qui nous sépare", comme le disait Nicolas Sarkozy, dans son discours de Tanger. En effet, la lutte contre la pauvreté, pour des droits fondamentaux et élémentaires, pouvoir se nourrir, bref connaître la dignité d'être tout simplement "humain", est le cœur de ce qui rassemble les peuples de la Méditerranée, au Nord, à l'Est comme au Sud.
Car, L'Union pour la Méditerranée, au-delà de l'institution en tant que telle, est un formidable miroir grossissant dans lequel l'Europe et les pays arabes se regardent désormais. Ce n'est pas une couche diplomatique supplémentaire sur le gâteau des chancelleries nationales. L'Union pour la Méditerranée oblige les peuples à mieux se connaître. En Europe, cette Union impose à ses citoyens de revenir sur leur amnésie concernant l'autre rive, à reconsidérer leurs "trous noirs" mémoriels comme le dit Georges Corm dans son ouvrage Orient-Occident, La fracture imaginaire (La Découverte, 2002).
Dans les pays Arabes, l'Union questionne les régimes, les sociétés civiles organisées, les jeunesses sur l'avenir qu'ils envisagent entre revendication identitaire arabe et/ou nationale et/ou musulmane et désir de valeurs centrales occidentales. Bref, faire le ménage, dans leur trop plein de mémoires affectives et une histoire à se réapproprier (Lire Le dérèglement du monde d'Amin Maalouf (éditions Grasset, 2009)).
A cet effet "miroir", se rajoute un dommage collatéral positif : celui de la mise à mal de la rassurante et bien heureuse ignorance. Une relecture des imaginaires et des symboles de la Méditerranée n'est plus évitable, en plus de celle de l'histoire. C'est un travail long et périlleux, que celui du pari de l'intelligibilité des rapports sociaux, culturels et politiques entre tous ces peuples, mais il est indispensable.
Non pas seulement par pur plaisir intellectuel ou soif de rétablir des vérités historiques, mais aussi et surtout pour que la Méditerranée "devienne ce qu'Elle est" pour paraphraser Nietzsche, à savoir la première puissance économique, politique et culturelle du monde. L'Union pour la Méditerranée peut, quelle que soit sa forme, confédérale ou associative, incarner le symbole premier des peuples de la Méditerranée depuis que l'histoire nous le rapporte sous une forme oxymorique : celui de la densité de la vie et du sens de la mesure issus de toutes ses civilisations, gréco-latine, judéo-arabo-andalouse, christiano-rationnelle en vues d'une union culturelle et politique possible. Et rappeler définitivement que seule la démocratie est l'outil capable de doser cet ensemble si complexe.
L'Union pour la Méditerranée pourra enfin, après la période utile et nécessaire de repentance, de regrets et de reproches entre les deux rives, sortir de leurs tétanies respectives pour qu'Européens et Arabes épousent ensemble l'histoire de ce siècle qui a commencé sans eux.
Par Alain Cabras consultant, maître de conférences associé à Sciences Po Aix
Source LeMonde.fr - le 7 février 2011
Une conversion démocratique unique se passe sous nos yeux, et la seule institution courageuse et pertinente pour allier Nord et Sud se tait. Bien sûr, tous les signaux politiques incitent à la prudence : la démocratie n'est pas assurée d'advenir en Tunisie. Cette transition peut tourner au drame avec à un aller simple vers le passé. Qui sait d'ailleurs ce que réserve l'évolution en Egypte et en Algérie ?
Certes, L'Union pour la Méditerranée n'a pas pour objet de traiter des questions politiques entre les Etats mais de s'occuper "seulement" de régler des sujets économiques et environnementaux urgents et nécessaires. Certes, comme l'écrivait Charles de Gaulle, "les voies de l'angélisme n'amènent pas à celles de l'Empire"…
Mais voilà, la créature "UPM" a échappé à ses créateurs et elle a produit autour d'elle une véritable attente, une croyance que "tout ce qui nous rassemble est supérieur à ce qui nous sépare", comme le disait Nicolas Sarkozy, dans son discours de Tanger. En effet, la lutte contre la pauvreté, pour des droits fondamentaux et élémentaires, pouvoir se nourrir, bref connaître la dignité d'être tout simplement "humain", est le cœur de ce qui rassemble les peuples de la Méditerranée, au Nord, à l'Est comme au Sud.
Car, L'Union pour la Méditerranée, au-delà de l'institution en tant que telle, est un formidable miroir grossissant dans lequel l'Europe et les pays arabes se regardent désormais. Ce n'est pas une couche diplomatique supplémentaire sur le gâteau des chancelleries nationales. L'Union pour la Méditerranée oblige les peuples à mieux se connaître. En Europe, cette Union impose à ses citoyens de revenir sur leur amnésie concernant l'autre rive, à reconsidérer leurs "trous noirs" mémoriels comme le dit Georges Corm dans son ouvrage Orient-Occident, La fracture imaginaire (La Découverte, 2002).
Dans les pays Arabes, l'Union questionne les régimes, les sociétés civiles organisées, les jeunesses sur l'avenir qu'ils envisagent entre revendication identitaire arabe et/ou nationale et/ou musulmane et désir de valeurs centrales occidentales. Bref, faire le ménage, dans leur trop plein de mémoires affectives et une histoire à se réapproprier (Lire Le dérèglement du monde d'Amin Maalouf (éditions Grasset, 2009)).
A cet effet "miroir", se rajoute un dommage collatéral positif : celui de la mise à mal de la rassurante et bien heureuse ignorance. Une relecture des imaginaires et des symboles de la Méditerranée n'est plus évitable, en plus de celle de l'histoire. C'est un travail long et périlleux, que celui du pari de l'intelligibilité des rapports sociaux, culturels et politiques entre tous ces peuples, mais il est indispensable.
Non pas seulement par pur plaisir intellectuel ou soif de rétablir des vérités historiques, mais aussi et surtout pour que la Méditerranée "devienne ce qu'Elle est" pour paraphraser Nietzsche, à savoir la première puissance économique, politique et culturelle du monde. L'Union pour la Méditerranée peut, quelle que soit sa forme, confédérale ou associative, incarner le symbole premier des peuples de la Méditerranée depuis que l'histoire nous le rapporte sous une forme oxymorique : celui de la densité de la vie et du sens de la mesure issus de toutes ses civilisations, gréco-latine, judéo-arabo-andalouse, christiano-rationnelle en vues d'une union culturelle et politique possible. Et rappeler définitivement que seule la démocratie est l'outil capable de doser cet ensemble si complexe.
L'Union pour la Méditerranée pourra enfin, après la période utile et nécessaire de repentance, de regrets et de reproches entre les deux rives, sortir de leurs tétanies respectives pour qu'Européens et Arabes épousent ensemble l'histoire de ce siècle qui a commencé sans eux.
Par Alain Cabras consultant, maître de conférences associé à Sciences Po Aix
Source LeMonde.fr - le 7 février 2011
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