Par Mme Rim KHOUNI MESSAOUD, Docteur en Etudes iraniennes de l’Université Paris 3, spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient.
Article publié dans le magazine : L’Essentiel des relations internationales, N° 37, août-septembre 2011, pp. 28-29.
Aujourd’hui, à l’heure où un vent de révoltes et de révolutions secoue le monde arabe, il n’existe pas une seule position iranienne à l’égard des révoltes et révolutions. Il existe plusieurs positions et réactions, selon le pays, son importance pour l’Iran, les composantes de sa population et les rivalités. Si on prend le cas de Bahreïn, il y a divers facteurs qui rentrent en jeu : il y a une majorité chiite dans ce pays (plus de 70% de la population), l’ingérence saoudienne et la proximité géographique. D’autres exemples sont aussi intéressants : l’Irak, le Liban, la Palestine, et d’autres paramètres sont à prendre en considération.
L’Iran : nouvelles craintes…nouveaux enjeux
Une idée était souvent mise en avant par l’Iran selon laquelle l’aspect révolutionnaire, la culture du martyr, le sacrifice et la souffrance chez les chiites poussent à la révolution et à la confrontation, et qu’en contrepartie, une majorité sunnite qui vit une sorte de léthargie, de passivité et de soumission, est tombée puisque la Tunisie puis l’Egypte ont connu deux révolutions qui ont chassé du pouvoir deux dictateurs.
Ces révolutions ont eu lieu 18 mois après les 10èmes élections iraniennes qui ont permis un 2ème mandat à Ahmadinejad, en juin 2009. Ces élections ont été contestées à l’intérieur comme à l’extérieur. Les manifestations et les répressions qui ont eu lieu ont discrédité le gouvernement à l’intérieur. Une partie de l’opposition iranienne aujourd’hui va jusqu’à dire que les contestations des élections de 2009 en Iran, guidées par le Mouvement vert iranien ont inspiré les révolutions arabes (cela reste un point de vue). Cependant, il ne faut pas exagérer cette influence, puisque les peuples arabes n’en pouvaient plus de subir et vivre toutes sortes d’injustice, de précarité et d’oppression pendant des décennies. Ceci était suffisant pour provoquer ces événements.
En outre, la question de la dignité a été le déclencheur des révolutions dans les pays arabes, elle a dominé les slogans et a été à la tête des revendications des peuples. La question pourrait aussi se poser dans les relations avec les pays de la région : l’Iran, la Turquie, Israël et les grandes puissances. On verra peut-être naître des gouvernements n’ayant pas les mêmes rapports avec ces pays que les gouvernements déchus. L’« exception » iranienne à ce propos n’aura peut-être plus lieu d’être.
Sur le plan économique, l’Iran peut profiter de la situation dans la région. La flambée des prix du pétrole lui permet de remplir ses caisses et de faire face aux difficultés économiques dues aux sanctions occidentales contre lui.
D’un autre côté, la détérioration de la situation sécuritaire dans la région peut permettre à l’Iran d’en profiter, car les Etats-Unis et les grandes puissances peuvent se retrouver dans l’obligation de s’occuper de l’insécurité ce qui laisse à la République islamique une marge de manoeuvre pour gérer le dossier nucléaire et gagner du temps pour parvenir à l’acquisition de l’arme nucléaire.
Le refus des pays où il y a des révoltes d’accepter une ingérence des grandes puissances renforce la position de l’Iran qui écarte la possibilité de voir une intervention militaire contre lui.
Toutefois, dans ce nouveau contexte régional, l’Iran se retrouve embarrassé face à la nouvelle donne, car il pourrait voir ce vent de changement l’atteindre, mais aussi parce que d’autres forces dans la région veulent à leur tour tirer profit de la situation. Il s’agit surtout, du moins à ce stade, de la Turquie, présente jadis dans le monde arabe à travers l’Empire ottoman, et pays frontalier d’un pays arabe qui connaît une ébullition : la Syrie.
Rivalités irano-turques
L’Iran observe la fascination d’une partie des populations arabes par le modèle turc AKP (Parti de la Justice et du Développement) et craint de voir des partis islamistes gagner les élections en Tunisie et en Egypte et instaurer un modèle politique à la turque à la tête des nouveaux gouvernements élus. En fait, il préfère plutôt voir le modèle iranien adopté.
D’autre part, il n’y a pas de problèmes confessionnels entre la Turquie et les pays arabes. Au moment des événements à Bahreïn en février et mars 2011, la Turquie a fait des déclarations hostiles à l’ingérence iranienne dans l’Emirat, et a même mis en garde contre le risque de tomber dans « un autre Karbala ». La Turquie a même eu des contacts avec l’ayatollah Sistani en Irak pour parler de la question sunnites- chiites dans le conflit à Bahreïn, en dépassant et excluant l’Iran de la discussion, ce qui a profondément déplu à Téhéran.
En outre, la Turquie est entrée au Liban avec l’aide de la Syrie au cours des dernières années. Elle a eu des relations équilibrées avec toutes les parties, ce qui a irrité l’Iran. La visite du Premier ministre turc Erdogan en novembre 2010 et qui a suivi celle d’Ahmadinejad en octobre de la même année, a été très critiquée par la République islamique qui craignait de voir une présence turque au Liban qui dépasserait la sienne. Avant cela, le Hezbollah avait refusé la médiation turco-qatarie après la chute du gouvernement Saad Hariri en janvier 2010, voulant certainement que l’Iran se charge de cette mission.
Depuis quelques mois, une campagne menée par des médias iraniens, Fars, Press TV, ainsi que par la chaîne al Manar du Hezbollah, accuse la Turquie d’ « hypocrisie » et de vouloir une intervention militaire en Syrie qui aille dans le sens des intérêts turcs. Il y aurait même eu un échange de menaces entre les deux parties : si la Turquie permettait d’utiliser ses bases pour une attaque contre la Syrie, l’Iran attaquerait à son tour la Turquie en envoyant des missiles sur son territoire. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que la Turquie ne cherche pas a entrer dans des conflits, mais elle ne veut pas voir un déséquilibre des forces dans la région.
D’un autre côté, les médias régionaux et internationaux se sont intéressés il y a quelques mois aux deux navires militaires iraniens qui ont été autorisés à traverser le canal de Suez, pour la méditerranée pour arriver à Lattaquié en Syrie, une première depuis la révolution islamique. Cet événement a donné l’impression d’un début de changement au niveau des relations entre l’Iran et l’Egypte après la révolution égyptienne. Par ailleurs, en Egypte, place Tahrir, les manifestants ont apprécié le discours d’Erdogan et non celui du Guide suprême iranien Khamenei ou du leader du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah.
Les révoltes et révolutions dans le monde arabe sont en cours. Mais elles ont bouleversé le contexte psychologique et stratégique. Les relations ont surtout brusquement cessé d’être un exercice diplomatique théorique et désincarné. Cette situation régionale de plus en plus explosive va désormais nourrir les craintes et entraîner davantage de concurrence suscitées par une situation régionale de plus en plus explosive. L’hypothèse, jamais exclue par Washington et Israël, d’une confrontation militaire avec l’Iran, ou d’une chute du régime venant d’une contagion de révolte ou de révolution, en plus des rivalités, mettent déjà l’Iran dans une situation difficile qu’il essaie par tous les moyens de maîtriser.
Mme Rim KHOUNI MESSAOUD, Docteur en Etudes iraniennes de l’Université Paris 3, spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient.
Source - http://cerclechercheursmoyenorient.wordpress.com/2011/09/16/liran-et-les-revolutions-arabes-ce-qui-a-change/
Article publié dans le magazine : L’Essentiel des relations internationales, N° 37, août-septembre 2011, pp. 28-29.
Aujourd’hui, à l’heure où un vent de révoltes et de révolutions secoue le monde arabe, il n’existe pas une seule position iranienne à l’égard des révoltes et révolutions. Il existe plusieurs positions et réactions, selon le pays, son importance pour l’Iran, les composantes de sa population et les rivalités. Si on prend le cas de Bahreïn, il y a divers facteurs qui rentrent en jeu : il y a une majorité chiite dans ce pays (plus de 70% de la population), l’ingérence saoudienne et la proximité géographique. D’autres exemples sont aussi intéressants : l’Irak, le Liban, la Palestine, et d’autres paramètres sont à prendre en considération.
L’Iran : nouvelles craintes…nouveaux enjeux
Une idée était souvent mise en avant par l’Iran selon laquelle l’aspect révolutionnaire, la culture du martyr, le sacrifice et la souffrance chez les chiites poussent à la révolution et à la confrontation, et qu’en contrepartie, une majorité sunnite qui vit une sorte de léthargie, de passivité et de soumission, est tombée puisque la Tunisie puis l’Egypte ont connu deux révolutions qui ont chassé du pouvoir deux dictateurs.
Ces révolutions ont eu lieu 18 mois après les 10èmes élections iraniennes qui ont permis un 2ème mandat à Ahmadinejad, en juin 2009. Ces élections ont été contestées à l’intérieur comme à l’extérieur. Les manifestations et les répressions qui ont eu lieu ont discrédité le gouvernement à l’intérieur. Une partie de l’opposition iranienne aujourd’hui va jusqu’à dire que les contestations des élections de 2009 en Iran, guidées par le Mouvement vert iranien ont inspiré les révolutions arabes (cela reste un point de vue). Cependant, il ne faut pas exagérer cette influence, puisque les peuples arabes n’en pouvaient plus de subir et vivre toutes sortes d’injustice, de précarité et d’oppression pendant des décennies. Ceci était suffisant pour provoquer ces événements.
En outre, la question de la dignité a été le déclencheur des révolutions dans les pays arabes, elle a dominé les slogans et a été à la tête des revendications des peuples. La question pourrait aussi se poser dans les relations avec les pays de la région : l’Iran, la Turquie, Israël et les grandes puissances. On verra peut-être naître des gouvernements n’ayant pas les mêmes rapports avec ces pays que les gouvernements déchus. L’« exception » iranienne à ce propos n’aura peut-être plus lieu d’être.
Sur le plan économique, l’Iran peut profiter de la situation dans la région. La flambée des prix du pétrole lui permet de remplir ses caisses et de faire face aux difficultés économiques dues aux sanctions occidentales contre lui.
D’un autre côté, la détérioration de la situation sécuritaire dans la région peut permettre à l’Iran d’en profiter, car les Etats-Unis et les grandes puissances peuvent se retrouver dans l’obligation de s’occuper de l’insécurité ce qui laisse à la République islamique une marge de manoeuvre pour gérer le dossier nucléaire et gagner du temps pour parvenir à l’acquisition de l’arme nucléaire.
Le refus des pays où il y a des révoltes d’accepter une ingérence des grandes puissances renforce la position de l’Iran qui écarte la possibilité de voir une intervention militaire contre lui.
Toutefois, dans ce nouveau contexte régional, l’Iran se retrouve embarrassé face à la nouvelle donne, car il pourrait voir ce vent de changement l’atteindre, mais aussi parce que d’autres forces dans la région veulent à leur tour tirer profit de la situation. Il s’agit surtout, du moins à ce stade, de la Turquie, présente jadis dans le monde arabe à travers l’Empire ottoman, et pays frontalier d’un pays arabe qui connaît une ébullition : la Syrie.
Rivalités irano-turques
L’Iran observe la fascination d’une partie des populations arabes par le modèle turc AKP (Parti de la Justice et du Développement) et craint de voir des partis islamistes gagner les élections en Tunisie et en Egypte et instaurer un modèle politique à la turque à la tête des nouveaux gouvernements élus. En fait, il préfère plutôt voir le modèle iranien adopté.
D’autre part, il n’y a pas de problèmes confessionnels entre la Turquie et les pays arabes. Au moment des événements à Bahreïn en février et mars 2011, la Turquie a fait des déclarations hostiles à l’ingérence iranienne dans l’Emirat, et a même mis en garde contre le risque de tomber dans « un autre Karbala ». La Turquie a même eu des contacts avec l’ayatollah Sistani en Irak pour parler de la question sunnites- chiites dans le conflit à Bahreïn, en dépassant et excluant l’Iran de la discussion, ce qui a profondément déplu à Téhéran.
En outre, la Turquie est entrée au Liban avec l’aide de la Syrie au cours des dernières années. Elle a eu des relations équilibrées avec toutes les parties, ce qui a irrité l’Iran. La visite du Premier ministre turc Erdogan en novembre 2010 et qui a suivi celle d’Ahmadinejad en octobre de la même année, a été très critiquée par la République islamique qui craignait de voir une présence turque au Liban qui dépasserait la sienne. Avant cela, le Hezbollah avait refusé la médiation turco-qatarie après la chute du gouvernement Saad Hariri en janvier 2010, voulant certainement que l’Iran se charge de cette mission.
Depuis quelques mois, une campagne menée par des médias iraniens, Fars, Press TV, ainsi que par la chaîne al Manar du Hezbollah, accuse la Turquie d’ « hypocrisie » et de vouloir une intervention militaire en Syrie qui aille dans le sens des intérêts turcs. Il y aurait même eu un échange de menaces entre les deux parties : si la Turquie permettait d’utiliser ses bases pour une attaque contre la Syrie, l’Iran attaquerait à son tour la Turquie en envoyant des missiles sur son territoire. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que la Turquie ne cherche pas a entrer dans des conflits, mais elle ne veut pas voir un déséquilibre des forces dans la région.
D’un autre côté, les médias régionaux et internationaux se sont intéressés il y a quelques mois aux deux navires militaires iraniens qui ont été autorisés à traverser le canal de Suez, pour la méditerranée pour arriver à Lattaquié en Syrie, une première depuis la révolution islamique. Cet événement a donné l’impression d’un début de changement au niveau des relations entre l’Iran et l’Egypte après la révolution égyptienne. Par ailleurs, en Egypte, place Tahrir, les manifestants ont apprécié le discours d’Erdogan et non celui du Guide suprême iranien Khamenei ou du leader du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah.
Les révoltes et révolutions dans le monde arabe sont en cours. Mais elles ont bouleversé le contexte psychologique et stratégique. Les relations ont surtout brusquement cessé d’être un exercice diplomatique théorique et désincarné. Cette situation régionale de plus en plus explosive va désormais nourrir les craintes et entraîner davantage de concurrence suscitées par une situation régionale de plus en plus explosive. L’hypothèse, jamais exclue par Washington et Israël, d’une confrontation militaire avec l’Iran, ou d’une chute du régime venant d’une contagion de révolte ou de révolution, en plus des rivalités, mettent déjà l’Iran dans une situation difficile qu’il essaie par tous les moyens de maîtriser.
Mme Rim KHOUNI MESSAOUD, Docteur en Etudes iraniennes de l’Université Paris 3, spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient.
Source - http://cerclechercheursmoyenorient.wordpress.com/2011/09/16/liran-et-les-revolutions-arabes-ce-qui-a-change/
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