Compte rendu petit déjeuner de la Méditerranée du 6 mai 2011.
Intitulé : Après les printemps arabes, sur quelles bases refonder le partenariat euro-méditerranéen ?
Autour de Pierre Beckouche, Conseiller scientifique d’IPEMED
Ali Bouabid, Délégué général de la Fondation Abderrahim Bouabid
Jacques ould Aoudia, chercheur en économie politique du développement
IPEMED, dans le cadre de ses petits déjeuners de la Méditerranée, organisés tous les mois à Paris, s’est interrogé, le vendredi 6 mai, sur le bilan et les perspectives d’une refonte du partenariat euro-méditerranéen, compte tenu notamment des révolutions que connaissent les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.
Une étude , réalisée par Pierre Beckouche, conseiller scientifique d’IPEMED, et consacrée au bilan du financement par l’Union européenne du développement en Méditerranée a servi de base à cette rencontre.
Pierre Beckouche résume ici les principaux enseignements de ses travaux :
Le rapport commandé par IPEMED répondait à la question suivante : depuis 1995, l’UE a-t-elle financé à un niveau suffisant le partenariat économique Euromed, et en particulier le Voisinage oriental n’a-t-il pas bénéficié de ces financements davantage que le partenariat méditerranéen ? L’étude a conduit à cinq idées principales :
1. Les subventions européennes pour le Voisinage oriental rattrapent effectivement celles qui sont dévolues aux Psem. En matière de subventions, le temps de la Méditerranée a passé : elle était un des hauts lieux de l’aide publique internationale dans les années 1950, 1960 et 1970, mais depuis les années 1990 ce sont plutôt l’Afrique, les Peco puis les pays de l’ex-Yougoslavie qui bénéficient de l’APD. Cela dit, entre Voisinage oriental et Voisinage méditerranéen on ne s’éloigne pas beaucoup du compromis de 2006 qui avait établi la répartition des subventions européennes à respectivement un tiers et deux tiers.
2. Il n’y a pas de « consensus géographique » sur le Voisinage. D’une part l’aide croissante de l’UE au Voisinage méditerranéen ne compense pas le recul de l’aide bilatérale des Etats membres ; autrement dit, dans les faits, ces Etats membres ne poursuivent pas de politique de Voisinage. Et même au sein des différentes DG de la Commission, le Voisinage n’apparaît pas comme une géographie évidente ; le tout nouveau Service d’Acton Extérieure lui-même classe les pays selon la bonne vieille géographie continentale (le Liban ou la Syrie en « Asie », le Maroc ou l’Egypte en « Afrique »).
3. En termes de financements de l’UE pour les pays tiers, le Voisinage sud apparaît squeezé entre une priorité qui est très clairement accordée aux pays candidats à l’adhésion (actuelle ou potentielle) et le souci de l’Europe d’intervenir sur tous les continents du monde. On le voit dans la répartition des prêts concessionnels de la Berd et de la BEI : les Peco ont perçu en 2009 154 € par habitant, les pays de l’ex-Yougoslavie 115, la Turquie 37 ; c’est beaucoup plus que les pays du Voisinage, oriental (21), et encore plus méditerranéen (7, un montant qui stagne) ; même la Russie (18) et l’Asie centrale (9) reçoivent davantage de ces prêts, qui sont pourtant parfaitement adaptés aux besoins des Psem. Lorsqu’on consolide les subventions de la Commission et les prêts de la BEI et de la Berd, la gradation est tout aussi limpide : les pays du Voisinage Sud perçoivent 11 €/habitant, tandis que les pays de l’adhésion perçoivent 145 (ex-Yougoslavie) et même 260 (Peco, solde budgétaire opérationnel de l’UE).
Cette situation est-elle problématique ? Non si l’on en croit l’expérience des Etats-Unis comme du Japon, qui mettent en pratique le slogan « trade not aid », et n’aident pas davantage leur périphérie ; chaque habitant du voisinage méditerranéen perçoit autant d’argent que son homologue d’Asie orientale ou d’Amérique latine en développement. Mais oui, parce que les Etats-Unis et surtout le Japon mènent dans leur région une véritable stratégie d’intégration productive, alors que ce n’est pas ce qu’on constate en Méditerranée.
4. Contenu sectoriel de l’aide : dispersion et faiblesse du soutien au secteur productif
Les objectifs de Barcelone, de Meda II (2000-2006) comme de la PEV (2007-2013) concernent tous les domaines du développement : commerce, environnement, changement climatique, santé, éducation, formation professionnelle, migrations, sécurité, fiscalité, gouvernance etc. – sans oublier les droits de l’enfant, l’équilibre homme-femme ou la défense des peuples autochtones. En conséquence, entre 2000-2006, le secteur privé n’a bénéficié que de 10% des subventions Euromed, les « réformes économiques » se traduisant essentiellement par de l’appui budgétaire aux ministères des Psem, afin de favoriser l’« appropriation » par les pays bénéficiaires de l’aide. Le passage à l’EIVP depuis 2007 n’a pas beaucoup changé les choses : les « infrastructures sociales » reçoivent 59% des fonds, le privé 30% en Tunisie, en Algérie et au Liban mais 10% dans les autres pays ; l’agriculture reste tout aussi absente que durant la période précédente.
5. Des résultats très moyens
Les résultats d’Euromed présentent quatre points positifs : l’habitude qu’ont prise les Administrations du Nord et du Sud de travailler ensemble ; la stabilisation macroéconomique des Psem (inflation et endettement en particulier) ; la sortie d’une quasi autarcie commerciale et leur ouverture aux flux de capitaux internationaux ; un commencement d’intégration en profondeur avec l’Europe, notamment dans les transports, l’énergie ou encore dans l’architecture des diplômes universitaires (LMD).
La Commission reconnaît deux principaux points négatifs : les problèmes de démocratie et de droits de l’homme, et la faible participation de la société civile au développement. Mais en réalité, les résultats économiques comportent eux aussi plusieurs points noirs : les balances commerciales de Psem se dégradent gravement surtout depuis 2000 ; la part de l’Europe dans leurs échanges (commerce ou IDE) recule ; le crédit aux PME reste très insuffisant ; la coopération financière et monétaire transméditerranéenne également. Enfin l’agriculture et les mobilités professionnelles sont les grandes oubliées de Barcelone. Au total, la Méditerranée en reste à une intégration plus commerciale que productive. Quant à eux, les financements européens sont devenus négligeables dans les ressources externes des Psem. Pour ces derniers, l’enjeu fondamental se joue sur le positionnement international de leur système productif (voir la redoutable dégradation de leur balance commerciale). Enfin, en termes de convergence régionale (rattrapage du niveau de développement entre Nord et Sud), on reste loin des performances de l’Asie orientale, dont la convergence a été apportée par cette intégration productive.
Quelles perspectives en matière de partenariat euro-méditerranéen ?
Tous ces éléments conduisent IPEMED à préconiser quelques pistes de réflexion, qui seront soumises à quelques grands témoins du Nord et du Sud de la Méditerranée afin de compléter le présent rapport :
• la nécessité de maintenir les subventions européennes sur un certain nombre de programmes d’infrastructures de base, et pour soutenir les pays en transition dans la très délicate période qu’ils traversent.
Mais cette politique d’aide ne suffit pas, il faut également :
• augmenter considérablement le montant des prêts concessionnels
• affirmer l’objectif d’une intégration régionale « en profondeur »
• coordonner les politiques européennes ayant une dimension extérieure dans le Voisinage (PAC, TEN, directive climat-énergie, etc.), par exemple à travers un « Schéma de Développement de l’Espace du Voisinage »
• concentrer les moyens sur quelques politiques stratégiques (à commencer par la politique commune de l’énergie)
• favoriser les projets tournés vers le système productif, notamment dans les quelques politiques prioritaires (énergie, eau, agriculture…)
• mettre sur pied une institution financière régionale mettant ces priorités en œuvre.
Source
http://www.ipemed.coop/spip.php?article841
Intitulé : Après les printemps arabes, sur quelles bases refonder le partenariat euro-méditerranéen ?
Autour de Pierre Beckouche, Conseiller scientifique d’IPEMED
Ali Bouabid, Délégué général de la Fondation Abderrahim Bouabid
Jacques ould Aoudia, chercheur en économie politique du développement
IPEMED, dans le cadre de ses petits déjeuners de la Méditerranée, organisés tous les mois à Paris, s’est interrogé, le vendredi 6 mai, sur le bilan et les perspectives d’une refonte du partenariat euro-méditerranéen, compte tenu notamment des révolutions que connaissent les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.
Une étude , réalisée par Pierre Beckouche, conseiller scientifique d’IPEMED, et consacrée au bilan du financement par l’Union européenne du développement en Méditerranée a servi de base à cette rencontre.
Pierre Beckouche résume ici les principaux enseignements de ses travaux :
Le rapport commandé par IPEMED répondait à la question suivante : depuis 1995, l’UE a-t-elle financé à un niveau suffisant le partenariat économique Euromed, et en particulier le Voisinage oriental n’a-t-il pas bénéficié de ces financements davantage que le partenariat méditerranéen ? L’étude a conduit à cinq idées principales :
1. Les subventions européennes pour le Voisinage oriental rattrapent effectivement celles qui sont dévolues aux Psem. En matière de subventions, le temps de la Méditerranée a passé : elle était un des hauts lieux de l’aide publique internationale dans les années 1950, 1960 et 1970, mais depuis les années 1990 ce sont plutôt l’Afrique, les Peco puis les pays de l’ex-Yougoslavie qui bénéficient de l’APD. Cela dit, entre Voisinage oriental et Voisinage méditerranéen on ne s’éloigne pas beaucoup du compromis de 2006 qui avait établi la répartition des subventions européennes à respectivement un tiers et deux tiers.
2. Il n’y a pas de « consensus géographique » sur le Voisinage. D’une part l’aide croissante de l’UE au Voisinage méditerranéen ne compense pas le recul de l’aide bilatérale des Etats membres ; autrement dit, dans les faits, ces Etats membres ne poursuivent pas de politique de Voisinage. Et même au sein des différentes DG de la Commission, le Voisinage n’apparaît pas comme une géographie évidente ; le tout nouveau Service d’Acton Extérieure lui-même classe les pays selon la bonne vieille géographie continentale (le Liban ou la Syrie en « Asie », le Maroc ou l’Egypte en « Afrique »).
3. En termes de financements de l’UE pour les pays tiers, le Voisinage sud apparaît squeezé entre une priorité qui est très clairement accordée aux pays candidats à l’adhésion (actuelle ou potentielle) et le souci de l’Europe d’intervenir sur tous les continents du monde. On le voit dans la répartition des prêts concessionnels de la Berd et de la BEI : les Peco ont perçu en 2009 154 € par habitant, les pays de l’ex-Yougoslavie 115, la Turquie 37 ; c’est beaucoup plus que les pays du Voisinage, oriental (21), et encore plus méditerranéen (7, un montant qui stagne) ; même la Russie (18) et l’Asie centrale (9) reçoivent davantage de ces prêts, qui sont pourtant parfaitement adaptés aux besoins des Psem. Lorsqu’on consolide les subventions de la Commission et les prêts de la BEI et de la Berd, la gradation est tout aussi limpide : les pays du Voisinage Sud perçoivent 11 €/habitant, tandis que les pays de l’adhésion perçoivent 145 (ex-Yougoslavie) et même 260 (Peco, solde budgétaire opérationnel de l’UE).
Cette situation est-elle problématique ? Non si l’on en croit l’expérience des Etats-Unis comme du Japon, qui mettent en pratique le slogan « trade not aid », et n’aident pas davantage leur périphérie ; chaque habitant du voisinage méditerranéen perçoit autant d’argent que son homologue d’Asie orientale ou d’Amérique latine en développement. Mais oui, parce que les Etats-Unis et surtout le Japon mènent dans leur région une véritable stratégie d’intégration productive, alors que ce n’est pas ce qu’on constate en Méditerranée.
4. Contenu sectoriel de l’aide : dispersion et faiblesse du soutien au secteur productif
Les objectifs de Barcelone, de Meda II (2000-2006) comme de la PEV (2007-2013) concernent tous les domaines du développement : commerce, environnement, changement climatique, santé, éducation, formation professionnelle, migrations, sécurité, fiscalité, gouvernance etc. – sans oublier les droits de l’enfant, l’équilibre homme-femme ou la défense des peuples autochtones. En conséquence, entre 2000-2006, le secteur privé n’a bénéficié que de 10% des subventions Euromed, les « réformes économiques » se traduisant essentiellement par de l’appui budgétaire aux ministères des Psem, afin de favoriser l’« appropriation » par les pays bénéficiaires de l’aide. Le passage à l’EIVP depuis 2007 n’a pas beaucoup changé les choses : les « infrastructures sociales » reçoivent 59% des fonds, le privé 30% en Tunisie, en Algérie et au Liban mais 10% dans les autres pays ; l’agriculture reste tout aussi absente que durant la période précédente.
5. Des résultats très moyens
Les résultats d’Euromed présentent quatre points positifs : l’habitude qu’ont prise les Administrations du Nord et du Sud de travailler ensemble ; la stabilisation macroéconomique des Psem (inflation et endettement en particulier) ; la sortie d’une quasi autarcie commerciale et leur ouverture aux flux de capitaux internationaux ; un commencement d’intégration en profondeur avec l’Europe, notamment dans les transports, l’énergie ou encore dans l’architecture des diplômes universitaires (LMD).
La Commission reconnaît deux principaux points négatifs : les problèmes de démocratie et de droits de l’homme, et la faible participation de la société civile au développement. Mais en réalité, les résultats économiques comportent eux aussi plusieurs points noirs : les balances commerciales de Psem se dégradent gravement surtout depuis 2000 ; la part de l’Europe dans leurs échanges (commerce ou IDE) recule ; le crédit aux PME reste très insuffisant ; la coopération financière et monétaire transméditerranéenne également. Enfin l’agriculture et les mobilités professionnelles sont les grandes oubliées de Barcelone. Au total, la Méditerranée en reste à une intégration plus commerciale que productive. Quant à eux, les financements européens sont devenus négligeables dans les ressources externes des Psem. Pour ces derniers, l’enjeu fondamental se joue sur le positionnement international de leur système productif (voir la redoutable dégradation de leur balance commerciale). Enfin, en termes de convergence régionale (rattrapage du niveau de développement entre Nord et Sud), on reste loin des performances de l’Asie orientale, dont la convergence a été apportée par cette intégration productive.
Quelles perspectives en matière de partenariat euro-méditerranéen ?
Tous ces éléments conduisent IPEMED à préconiser quelques pistes de réflexion, qui seront soumises à quelques grands témoins du Nord et du Sud de la Méditerranée afin de compléter le présent rapport :
• la nécessité de maintenir les subventions européennes sur un certain nombre de programmes d’infrastructures de base, et pour soutenir les pays en transition dans la très délicate période qu’ils traversent.
Mais cette politique d’aide ne suffit pas, il faut également :
• augmenter considérablement le montant des prêts concessionnels
• affirmer l’objectif d’une intégration régionale « en profondeur »
• coordonner les politiques européennes ayant une dimension extérieure dans le Voisinage (PAC, TEN, directive climat-énergie, etc.), par exemple à travers un « Schéma de Développement de l’Espace du Voisinage »
• concentrer les moyens sur quelques politiques stratégiques (à commencer par la politique commune de l’énergie)
• favoriser les projets tournés vers le système productif, notamment dans les quelques politiques prioritaires (énergie, eau, agriculture…)
• mettre sur pied une institution financière régionale mettant ces priorités en œuvre.
Source
http://www.ipemed.coop/spip.php?article841
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