Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Yémen... Les révolutions arabes dessinent un nouveau paysage politique sur les rives sud et est de la Méditerranée. Or, le potentiel solaire de ces pays, convoité par l'Union Européenne, fait l'objet de nombreux projets de partenariats industriels entre les deux rives. Projets qui devront désormais tenir compte des attentes des sociétés civiles arabes.
Les mouvements révolutionnaires qui secouent les pays du sud et de l'est de la Méditerranée depuis le début de l'année dessineront-ils de nouvelles relations économiques et industrielles entre les deux rives ? La question se pose en tout cas dans le secteur des énergies renouvelables, alors les projets de centrales solaires portés par des industriels européens se multiplient au Maghreb et au Proche-Orient (voir encadré). Car désormais, les promoteurs de la Desertec Industrial Initiative (voir article lié), du Plan Solaire Méditerranéen et du programme d'interconnexions Medgrid -entre autres – devront composer avec une nouvelle donne arabe émergente, dans laquelle la société civile ne compte pas passer au second plan.
La réalisation effective de ces projets ne semble en réalité pas compromise par l’instabilité actuelle qui règne dans le monde arabe. « Bien sûr, la communication entre les partenaires est aujourd’hui perturbée, et les investisseurs sont pour l’heure dans une position d’attente », admet André Merlin, président de Medgrid et des conseils de surveillance d'RTE et d'ErDF. « Mais les revendications arabes ne font que renforcer l’intérêt de telles coopérations industrielles. A moyen terme, ces projets solaires, motivés par le co-développement entre les deux rives, verront forcément le jour. »
Le co-développement plus que jamais indispensable
En ouverture du Forum euro-méditerranéen de l’efficacité énergétique le 11 mai dernier, le ministre de l’Industrie, Eric Besson » proposait d’ailleurs « un pacte énergétique euro-méditerranéen, pour produire plus d’électricité, la produire mieux, tout en la consommant plus efficacement ». Et appelait de ses vœux à une « révolution de l’énergie propre en Méditerranée pour garantir l’électricité pour tous, la protection du pouvoir d’achat, la compétitivité économique et de nouveaux emplois », tout en limitant l’impact sur le milieu.
Mais tout cela ne verra le jour qu’à la stricte condition du co-développement, insistent les experts du Maghreb. « Les Etats et industriels européens ont compris qu’il fallait s’aligner sur le discours méditerranéen, qui réclame depuis longtemps des partenariats de co-développement, analyse Radhi Meddeb, président de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen. Ils ont donc adopté cette nouvelle sémantique. Mais un discours ne fait pas une politique. Il faut maintenant que les mots se transforment en actes. »
André Merlin se veut pourtant rassurant : « les moyens de production d'énergies renouvelables seront mis en œuvre avant tout par et pour les pays du sud et de l’est de la Méditerranée ». Transferts de technologies, formations de personnel sur place, et surtout, priorité à la consommation locale de l'énergie produite sont effectivement les piliers du Plan Solaire Méditerranéen, comme de du "Desertec Concept". Directeur exécutif de Desertec University Network, groupement d'universités, écoles d'ingénieurs et centres de recherche euro-méditerranéens basé à Tunis, Mouldi Miled confirme. « Notre mission consiste à développer de nouveaux systèmes énergétiques adaptés aux conditions climatiques de la région, mais également à promouvoir la formation d'ingénieurs et de techniciens locaux. Comme ailleurs dans la région MENA, les jeunes Tunisiens souffrent du chômage, ce qui a d'ailleurs été le point de départ de la révolution du Jasmin. Le projet Desertec, le Plan solaire méditérranéen et le potentiel d'emplois à la clé pourront en partie répondre à leurs attentes. »
Une nouvelle société civile qui compte bien se faire entendre
Ces promesses de co-développement, de stratégie « gagnant-gagnant », convaincront-elles les nouvelles sociétés civiles en construction dans le monde arabe ? Car si les mouvements révolutionnaires refroidissent pour l'instant les investisseurs étrangers, le véritable enjeu - une fois les relations commerciales pleinement rétablies entre les deux rives - sera de composer avec les futures exigences de transparence de ces sociétés civiles émergentes. « Il faudra faire preuve de davantage de pédagogie que par le passé », atteste Mouldi Miled. « C'est pourquoi un de nos programmes de recherche porte que l'acceptabilité sociale des projets solaires et éoliens. » Radhi Meddeb, ajoute que « jusqu'à présent, les projets se négociaient entre États, ou entre grands industriels du Nord et États du Sud. Les révolutions arabes changent la donne, il faudra désormais répondre aux questions de la société civile. Les industriels européens me disent d'ailleurs qu'aujourd'hui, ils ne comprennent plus la règle du jeu économique entre les deux rives. Ce à quoi je leur réponds qu'elle est devenue la même que lorsqu’ils négocient avec des partenaires américains : elle doit reposer sur la transparence. »
Le Printemps arabe aura donc « profondément modifié les relations entre les deux rives », d'après Radhi Meddeb. « Le soleil méditerranéen ne subira pas le même sort que le pétrole de la région, les gouvernements démocratiquement élus exigeront l'émergence d'un véritable filière locale en contrepartie. » De quoi pondérer les ambitions européennes ?
(1) Directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables
(2) Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Cisjordanie et Gaza, Djibouti, Egypte, Emirats Arabes Unis, Iran, Iraq, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Malte, Maroc, Oman, Qatar, Syrie, Tunisie, Yémen
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Le soleil méditerranéen, une manne pour l'UE
En 2020, l'Union Européenne devra compter 20% d'énergies renouvelables dans sa consommation énergétique globale. De fait, le potentiel solaire des pays du sud et de l'est de la Méditerranée, bien supérieur à celui de l'Union, présente un intérêt de taille, car la Directive européenne sur les énergies renouvelables (1) autorise les États membres à intégrer dans leurs propres performances nationales l'énergie verte exportée. Sans pour autant négliger leurs marchés nationaux, politiques et industriels se sont donc engagés dans des projets d'envergure sur la région euro-méditerranéenne. La Desertec Industrial Initiative, consortium d'une vingtaine d'industriels pour la plupart allemands, ambitionne par exemple de développer dans la région MENA (2) entre 350 et 400 GW de puissance électrique d'origine solaire d'ici 2050, et d'en exporter 15 % vers l'Europe. L'Union Pour la Méditerranée, créée en 2008 et rassemblant 43 pays des deux rives, affiche quant à elle des objectifs moindres : chapeauter la production de 20 GW d'origine renouvelable (surtout via des installations photovoltaïques et des centrales solaires à concentration) d'ici 2020, et en exporter le quart vers l'Union Européenne. Un flux qui suppose la création d'un vaste réseau d'interconnexions, qui sera développé par le consortium Medgrid (qui compte lui aussi une vingtaine d'industriels, essentiellement français) pour un investissement global évalué à 5 milliards d'euros.
Par Anne Farthouat - Novethic.fr - mai 2011
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