Dans un monde tourné vers les pays d’Asie, les principaux axes d’échanges sont désormais le Pacifique, l’océan Indien, et la mer Méditerranée. En Europe, une redistribution du trafic portuaire vers les ports du sud est possible, mais à certaines conditions.
La région Méditerranée est en train de vivre une transformation politique monumentale. Les manifestations populaires dans les pays de la rive sud ont entamé le processus d’instauration de la démocratie. De manière sans doute moins visible, la Méditerranée connaît une autre renaissance, tout aussi importante du point de vue géopolitique.
La redistribution de l’équilibre des pouvoirs mondiaux, de l’Ouest à l’Est, de l’Atlantique au Pacifique, est source d’inquiétude tant pour l’Europe que pour les Etats-Unis. Leur perte de pouvoir économique et géopolitique est évidente. Bien que l’attitude géopolitique future des puissances émergentes – le Brésil, la Chine et l’Inde – soit encore incertaine, ce déplacement du pouvoir n’en constitue pas moins une occasion pour la Méditerranée.
Avec la prédominance des pays occidentaux, la région Atlantique était au centre des échanges de ces trois derniers siècles. Mais dans un monde tourné vers les pays d’Asie, les principaux axes d’échanges sont le Pacifique et l’océan Indien, et compte tenu des liens étroits actuels entre l’Asie et l’Europe, la mer Méditerranée.
En effet, le trafic de conteneurs entre l’Extrême-Orient et l’Europe s’élève aujourd’hui à 18 millions d’EVP par an (équivalent vingt pieds – unité de mesure des conteneurs en pieds), que l’on peut comparer aux 20 millions d’EVP du trafic annuel trans-Pacifique et aux 4,4 millions d’EVP seulement entre l’Europe et les Etats-Unis. Le flux de conteneurs entre l’Asie orientale et l’Europe passe par la Méditerranée en empruntant le canal de Suez – une route plus rapide que celle passant par le canal de Panama, ou celle contournant l’Afrique et même que l’éventuelle route de l’Arctique, une fois libre de glace.
Malgré la suprématie de la route Méditerranée pour le trafic de conteneurs entre l’Europe et l’Asie orientale, 72 pour cent des biens à destination de l’UE sont déchargés dans les ports du nord de l’Europe (Le Havre, Anvers, Rotterdam, Brême et Hambourg), et 28 pour cent seulement dans les ports du sud de l’UE, tels Barcelone, Marseille, Valence et Gênes. Plus de la moitié des conteneurs en provenance de l’Asie orientale et à destination de Milan, par exemple, est déchargée dans un port nord-européen.
Le trafic de conteneurs devrait augmenter de 164 pour cent avant 2020
En d’autres termes, la plupart des porte-conteneurs venant d’Asie passent par le canal de Suez, traversent la Méditerranée en ignorant Gênes, Marseille, Barcelone et Valence, ajoutant ainsi trois jours au temps de transport, pour atteindre Rotterdam ou Hambourg. Le déchargement des marchandises dans un port atlantique ou nord-européen au lieu d’un port du sud de l’Europe entraîne un surcoût financier et environnemental important qui nuit à la compétitivité de l’Europe.
En fait, selon une étude réalisée par le port de Barcelone, la distribution optimale des flux de conteneurs en termes économiques et environnementaux serait de 37 pour cent pour les ports du nord de l’Europe et de 63 pour cent pour les ports du sud, selon l’origine et la destination finale des biens importés et exportés. Basée en partie sur la méthodologie de l’Agence européenne pour l’environnement, cette étude conclut qu’une redistribution du trafic portuaire vers les ports du sud de l’Europe permettrait une réduction de près de 50 pour cent des émissions de carbone.
Une telle redistribution est bien sûr impensable aujourd’hui, tant pour des raisons politiques qu’économiques. Le déséquilibre actuel du trafic de conteneurs reflète le dynamisme économique du nord de l’Europe, l’efficacité de ses installations portuaires et les excellentes infrastructures routières et ferroviaires qui lui permettent de connecter ces ports à pratiquement toute l’Europe, en sus des économies d’échelle réalisées grâce au volume des biens qui transitent par ces ports. Mais étant donné que le trafic de conteneurs devrait augmenter de 164 pour cent avant 2020, les ports du sud de l’Europe devraient pouvoir porter leur part à 40-50 pour cent des flux de conteneurs entre l’Asie orientale et l’Europe.
Pour parvenir à ce rééquilibrage, les ports sud-européens devront améliorer leurs infrastructures, notamment les connections ferroviaires au réseau européen. La politique du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), que l’UE réexamine aujourd’hui en profondeur, est un élément essentiel en ce sens parce qu’elle constitue le plan directeur du développement des infrastructures de base européennes.
Bien que ces infrastructures soient principalement financées par les États membres individuels de l’UE sur leurs propres fonds, le RTE-T est contraignant et fixe des projets prioritaires pour chacun d’entre eux. Il est donc absolument indispensable que le RTE-T tienne compte de l’importance des connections ferroviaires avec les ports du sud de l’Europe.
Il est nécessaire pour ce faire que les décideurs donnent la priorité aux critères d’efficacité et qu’ils tiennent compte des coûts environnementaux, à la fois du transport maritime et terrestre. Si l’Europe et ses entreprises veulent rester compétitives et atteindre l’objectif stratégique « Europe 2020 » - une Europe qui utilise ses ressources de manière efficace – l’infrastructure ferroviaire des pays européens riverains de la Méditerranée est vitale.
Il existe, à l’évidence, un autre facteur géopolitique indispensable à ce rééquilibrage : le canal de Suez doit rester une route maritime sûre et fiable. Toute menace sur le fonctionnement normal du canal ferait passer le trafic de conteneurs par la pointe sud de l’Afrique, marginalisant la Méditerranée (et provoquant une flambée des coûts).
La Méditerranée a joué un rôle crucial dans les premières civilisations égyptienne et mésopotamienne, était la mer des Phéniciens, des Grecs et des Romains et le centre du monde, d’abord pour les Arabes et les barbares, et plus tard pour les Ottomans et les Espagnols. Aujourd’hui, après avoir perdu de son importance à la suite d’ouvertures de nouvelles liaisons maritimes pour le commerce européen vers les Amériques et l’Extrême-Orient, la Méditerranée voit s’offrir à elle une occasion de retrouver son prestige passé.
Javier Solana et Angel Saz - LesEchos.fr
Source - http://lecercle.lesechos.fr/node/35212
La redistribution de l’équilibre des pouvoirs mondiaux, de l’Ouest à l’Est, de l’Atlantique au Pacifique, est source d’inquiétude tant pour l’Europe que pour les Etats-Unis. Leur perte de pouvoir économique et géopolitique est évidente. Bien que l’attitude géopolitique future des puissances émergentes – le Brésil, la Chine et l’Inde – soit encore incertaine, ce déplacement du pouvoir n’en constitue pas moins une occasion pour la Méditerranée.
Avec la prédominance des pays occidentaux, la région Atlantique était au centre des échanges de ces trois derniers siècles. Mais dans un monde tourné vers les pays d’Asie, les principaux axes d’échanges sont le Pacifique et l’océan Indien, et compte tenu des liens étroits actuels entre l’Asie et l’Europe, la mer Méditerranée.
En effet, le trafic de conteneurs entre l’Extrême-Orient et l’Europe s’élève aujourd’hui à 18 millions d’EVP par an (équivalent vingt pieds – unité de mesure des conteneurs en pieds), que l’on peut comparer aux 20 millions d’EVP du trafic annuel trans-Pacifique et aux 4,4 millions d’EVP seulement entre l’Europe et les Etats-Unis. Le flux de conteneurs entre l’Asie orientale et l’Europe passe par la Méditerranée en empruntant le canal de Suez – une route plus rapide que celle passant par le canal de Panama, ou celle contournant l’Afrique et même que l’éventuelle route de l’Arctique, une fois libre de glace.
Malgré la suprématie de la route Méditerranée pour le trafic de conteneurs entre l’Europe et l’Asie orientale, 72 pour cent des biens à destination de l’UE sont déchargés dans les ports du nord de l’Europe (Le Havre, Anvers, Rotterdam, Brême et Hambourg), et 28 pour cent seulement dans les ports du sud de l’UE, tels Barcelone, Marseille, Valence et Gênes. Plus de la moitié des conteneurs en provenance de l’Asie orientale et à destination de Milan, par exemple, est déchargée dans un port nord-européen.
Le trafic de conteneurs devrait augmenter de 164 pour cent avant 2020
En d’autres termes, la plupart des porte-conteneurs venant d’Asie passent par le canal de Suez, traversent la Méditerranée en ignorant Gênes, Marseille, Barcelone et Valence, ajoutant ainsi trois jours au temps de transport, pour atteindre Rotterdam ou Hambourg. Le déchargement des marchandises dans un port atlantique ou nord-européen au lieu d’un port du sud de l’Europe entraîne un surcoût financier et environnemental important qui nuit à la compétitivité de l’Europe.
En fait, selon une étude réalisée par le port de Barcelone, la distribution optimale des flux de conteneurs en termes économiques et environnementaux serait de 37 pour cent pour les ports du nord de l’Europe et de 63 pour cent pour les ports du sud, selon l’origine et la destination finale des biens importés et exportés. Basée en partie sur la méthodologie de l’Agence européenne pour l’environnement, cette étude conclut qu’une redistribution du trafic portuaire vers les ports du sud de l’Europe permettrait une réduction de près de 50 pour cent des émissions de carbone.
Une telle redistribution est bien sûr impensable aujourd’hui, tant pour des raisons politiques qu’économiques. Le déséquilibre actuel du trafic de conteneurs reflète le dynamisme économique du nord de l’Europe, l’efficacité de ses installations portuaires et les excellentes infrastructures routières et ferroviaires qui lui permettent de connecter ces ports à pratiquement toute l’Europe, en sus des économies d’échelle réalisées grâce au volume des biens qui transitent par ces ports. Mais étant donné que le trafic de conteneurs devrait augmenter de 164 pour cent avant 2020, les ports du sud de l’Europe devraient pouvoir porter leur part à 40-50 pour cent des flux de conteneurs entre l’Asie orientale et l’Europe.
Pour parvenir à ce rééquilibrage, les ports sud-européens devront améliorer leurs infrastructures, notamment les connections ferroviaires au réseau européen. La politique du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), que l’UE réexamine aujourd’hui en profondeur, est un élément essentiel en ce sens parce qu’elle constitue le plan directeur du développement des infrastructures de base européennes.
Bien que ces infrastructures soient principalement financées par les États membres individuels de l’UE sur leurs propres fonds, le RTE-T est contraignant et fixe des projets prioritaires pour chacun d’entre eux. Il est donc absolument indispensable que le RTE-T tienne compte de l’importance des connections ferroviaires avec les ports du sud de l’Europe.
Il est nécessaire pour ce faire que les décideurs donnent la priorité aux critères d’efficacité et qu’ils tiennent compte des coûts environnementaux, à la fois du transport maritime et terrestre. Si l’Europe et ses entreprises veulent rester compétitives et atteindre l’objectif stratégique « Europe 2020 » - une Europe qui utilise ses ressources de manière efficace – l’infrastructure ferroviaire des pays européens riverains de la Méditerranée est vitale.
Il existe, à l’évidence, un autre facteur géopolitique indispensable à ce rééquilibrage : le canal de Suez doit rester une route maritime sûre et fiable. Toute menace sur le fonctionnement normal du canal ferait passer le trafic de conteneurs par la pointe sud de l’Afrique, marginalisant la Méditerranée (et provoquant une flambée des coûts).
La Méditerranée a joué un rôle crucial dans les premières civilisations égyptienne et mésopotamienne, était la mer des Phéniciens, des Grecs et des Romains et le centre du monde, d’abord pour les Arabes et les barbares, et plus tard pour les Ottomans et les Espagnols. Aujourd’hui, après avoir perdu de son importance à la suite d’ouvertures de nouvelles liaisons maritimes pour le commerce européen vers les Amériques et l’Extrême-Orient, la Méditerranée voit s’offrir à elle une occasion de retrouver son prestige passé.
Javier Solana et Angel Saz - LesEchos.fr
Source - http://lecercle.lesechos.fr/node/35212
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire