La dynamique des "printemps" arabes a finalement passé l'obstacle libyen. La guerre civile dans laquelle avait basculé "l'Etat des masses" avait en effet porté un coup sévère à la vague partie de Tunisie.
Parce qu'elle alimentait tout d'abord l'hypothèse d'une résilience de certains régimes autoritaires ou dictatoriaux. Parce qu'ensuite la paralysie de cet "émirat" pétrolier maghrébin déstabilisait par ricochet la Tunisie et l'Egypte, obligés d'accueillir des dizaines de milliers d'expatriés chassés par les combats vers des économies déjà au point de rupture. Ces deux pays peuvent espérer aujourd'hui un répit avec la remise en route de la production pétrolière libyenne.
Même s'il faudra attendre la neutralisation définitive de Mouammar Kadhafi pour que le succès de l'insurrection soit total, un troisième régime autoritaire arabe est donc tombé depuis le début de l'année. Celui du président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, en convalescence en Arabie saoudite depuis bientôt trois mois, est en sursis.
Tout comme celui de son homologue syrien, Bachar Al-Assad, cible d'une contestation qui a résisté depuis le 15 mars, date de son déclenchement, à une répression bien plus féroce que celle qui s'était manifestée un mois plus tôt en Libye et qui avait incité la Ligue arabe à lâcher le plus ancien de ses potentats, ouvrant la voie à une résolution historique des Nations unies, et à un soutien occidental décisif aux insurgés.
L'élan historique qui a saisi le monde arabe ne s'est donc pas enlisé dans les sables entre Tripoli et Benghazi. Pour autant, après les cinq semaines extraordinaires qui avaient vu chuter, de la mi-janvier à la mi-février, les deux figures les plus emblématiques mais en apparence les plus solides des Etats arabes, Zine El-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, le cas libyen a constitué un sérieux rappel au réel.
La guerre de mouvement livrée avec succès contre le tyran par une génération spontanée d'opposants via les réseaux sociaux a depuis laissé la place à une bataille d'attrition contre ce même tyran ou bien contre le système qu'il coiffait. Les "printemps" dureront donc bien plus qu'une saison et les transitions seront nécessairement douloureuses, comme on peut le constater déjà en Egypte et en Tunisie où l'euphorie des premières semaines de liberté absolue s'est rapidement dissipée. Encore s'agissait-il de pays considérés comme "homogènes", bien loin des mosaïques régionales ou confessionnelles libyenne, yéménite ou syrienne.
Points de résistance
Au-delà de la répression sanglante syrienne, la soif arabe de changement doit tenir compte de nombreux points de résistance et de foyers contre-révolutionnaires, notamment dans la péninsule arabique mais également au Maghreb.
Les régimes au pouvoir en Algérie et en Arabie saoudite, adossées à leurs ressources pétrolières, ont résisté jusqu'à ce jour aux appels au moindre changement. Les monarchies jordanienne et surtout marocaine ont esquissé pour leur part une évolution sans que l'on puisse savoir aujourd'hui quelle en sera la portée véritable d'autant qu'elles ont été invitées à rejoindre le Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar). Ce dernier risque d'apparaître pour longtemps comme un bastion du conservatisme institutionnel en dépit de la singularité du système politique koweïtien.
La dynastie des Saoud, désormais critique vis-à-vis de la répression syrienne, a d'ailleurs orchestré, sans s'attirer outre mesure les foudres occidentales, la mise au pas de la contestation au Bahreïn, en mars, qui a débouché sur le premier échec, à ce jour, des "printemps" arabes. Quelles que soient les erreurs commises par cette contestation principalement chiite, et qui dénonçait l'autorité quasi-absolue de la dynastie sunnite au pouvoir depuis trois siècles bien que minoritaire, cette répression a laissé en héritage un pays plus divisé et plus fracturé que jamais.
Après les impulsions du début de l'année, il faudra sans doute attendre les échéances électorales tunisiennes (en octobre) puis égyptiennes (qui n'ont pas encore été fixées), puis peut-être en Libye ou au Yémen, si le président Saleh passe la main, pour pouvoir prendre la mesure de l'émergence ou non de sociétés civiles capables de remplir les espaces politiques laissés vides par les régimes déchus.
Il faudra aussi mesurer le poids des populismes, notamment religieux, qui pourront également s'y exprimer. On pourra peut-être alors répondre à cette question essentielle : les régimes autoritaires arabes renversés en 2011 auront-ils été victimes d'excès conjoncturels – l'usure du pouvoir, la dérive patrimoniale –, ou d'un mal structurel – leur inadaptation à l'émancipation conquise de haute lutte par leurs sociétés ?
Par Gilles Paris - Article paru dans l'édition du Monde du 26 août 2011
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/25/aux-printemps-arabes-succederont-des-transitions-douloureuses_1563229_3212.html
Parce qu'elle alimentait tout d'abord l'hypothèse d'une résilience de certains régimes autoritaires ou dictatoriaux. Parce qu'ensuite la paralysie de cet "émirat" pétrolier maghrébin déstabilisait par ricochet la Tunisie et l'Egypte, obligés d'accueillir des dizaines de milliers d'expatriés chassés par les combats vers des économies déjà au point de rupture. Ces deux pays peuvent espérer aujourd'hui un répit avec la remise en route de la production pétrolière libyenne.
Même s'il faudra attendre la neutralisation définitive de Mouammar Kadhafi pour que le succès de l'insurrection soit total, un troisième régime autoritaire arabe est donc tombé depuis le début de l'année. Celui du président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, en convalescence en Arabie saoudite depuis bientôt trois mois, est en sursis.
Tout comme celui de son homologue syrien, Bachar Al-Assad, cible d'une contestation qui a résisté depuis le 15 mars, date de son déclenchement, à une répression bien plus féroce que celle qui s'était manifestée un mois plus tôt en Libye et qui avait incité la Ligue arabe à lâcher le plus ancien de ses potentats, ouvrant la voie à une résolution historique des Nations unies, et à un soutien occidental décisif aux insurgés.
L'élan historique qui a saisi le monde arabe ne s'est donc pas enlisé dans les sables entre Tripoli et Benghazi. Pour autant, après les cinq semaines extraordinaires qui avaient vu chuter, de la mi-janvier à la mi-février, les deux figures les plus emblématiques mais en apparence les plus solides des Etats arabes, Zine El-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, le cas libyen a constitué un sérieux rappel au réel.
La guerre de mouvement livrée avec succès contre le tyran par une génération spontanée d'opposants via les réseaux sociaux a depuis laissé la place à une bataille d'attrition contre ce même tyran ou bien contre le système qu'il coiffait. Les "printemps" dureront donc bien plus qu'une saison et les transitions seront nécessairement douloureuses, comme on peut le constater déjà en Egypte et en Tunisie où l'euphorie des premières semaines de liberté absolue s'est rapidement dissipée. Encore s'agissait-il de pays considérés comme "homogènes", bien loin des mosaïques régionales ou confessionnelles libyenne, yéménite ou syrienne.
Points de résistance
Au-delà de la répression sanglante syrienne, la soif arabe de changement doit tenir compte de nombreux points de résistance et de foyers contre-révolutionnaires, notamment dans la péninsule arabique mais également au Maghreb.
Les régimes au pouvoir en Algérie et en Arabie saoudite, adossées à leurs ressources pétrolières, ont résisté jusqu'à ce jour aux appels au moindre changement. Les monarchies jordanienne et surtout marocaine ont esquissé pour leur part une évolution sans que l'on puisse savoir aujourd'hui quelle en sera la portée véritable d'autant qu'elles ont été invitées à rejoindre le Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar). Ce dernier risque d'apparaître pour longtemps comme un bastion du conservatisme institutionnel en dépit de la singularité du système politique koweïtien.
La dynastie des Saoud, désormais critique vis-à-vis de la répression syrienne, a d'ailleurs orchestré, sans s'attirer outre mesure les foudres occidentales, la mise au pas de la contestation au Bahreïn, en mars, qui a débouché sur le premier échec, à ce jour, des "printemps" arabes. Quelles que soient les erreurs commises par cette contestation principalement chiite, et qui dénonçait l'autorité quasi-absolue de la dynastie sunnite au pouvoir depuis trois siècles bien que minoritaire, cette répression a laissé en héritage un pays plus divisé et plus fracturé que jamais.
Après les impulsions du début de l'année, il faudra sans doute attendre les échéances électorales tunisiennes (en octobre) puis égyptiennes (qui n'ont pas encore été fixées), puis peut-être en Libye ou au Yémen, si le président Saleh passe la main, pour pouvoir prendre la mesure de l'émergence ou non de sociétés civiles capables de remplir les espaces politiques laissés vides par les régimes déchus.
Il faudra aussi mesurer le poids des populismes, notamment religieux, qui pourront également s'y exprimer. On pourra peut-être alors répondre à cette question essentielle : les régimes autoritaires arabes renversés en 2011 auront-ils été victimes d'excès conjoncturels – l'usure du pouvoir, la dérive patrimoniale –, ou d'un mal structurel – leur inadaptation à l'émancipation conquise de haute lutte par leurs sociétés ?
Par Gilles Paris - Article paru dans l'édition du Monde du 26 août 2011
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/25/aux-printemps-arabes-succederont-des-transitions-douloureuses_1563229_3212.html
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