Défiant à la fois l’accord égypto-chypriote de 2013 et les convention internationales, la Turquie a annoncé ses intentions de lancer des travaux d’exploration de pétrole et de gaz dans l’Est du bassin méditerranéen, provoquant ainsi une montée de la tension avec Le Caire.
La tension est montée d’un cran entre l’Egypte et la Turquie. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de tensions diplomatiques causées par le soutien de la Turquie aux Frères musulmans, mais d’un litige direct relatif aux droits d’exploitation de champs gaziers et pétroliers de la Méditerranée orientale. Quelques jours après que l’Egypte eut inauguré la première phase du champ gazier de Zohr, dans la Méditerranée, la Turquie a dit qu’elle avait le droit d’exploiter des gisements en Méditerranée orientale. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a prétendu, dimanche 4 février, que la Turquie comportait de potentiels champs d’hydrocarbures (pétrole et gaz) dans l’Est de la Méditerranée. Défiant Le Caire, mais aussi le droit international, il a affirmé que son pays envisageait de lancer des travaux d’exploration de pétrole et de gaz dans l’Est du bassin méditerranéen dans un avenir proche, donnant lieu à un vif débat juridique et politique. « L’exploration de ces ressources et les études y afférentes constituent un droit souverain de la Turquie », a déclaré le ministre.
Des plans que l’Egypte a catégoriquement rejetés. Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères a affirmé, jeudi 8 février, la légalité de l’accord de délimitation des frontières maritimes entre l’Egypte et Chypre. Le porte-parole du ministère, Ahmad Abou-Zeid, a surtout mis en garde la Turquie contre « toute tentative de compromettre les droits souverains de l’Egypte », affirmant que l’accord est conforme au droit international et que les deux parties l’ont déposé auprès des Nations- Unies.
Dans ce différend, les convoitises de la Turquie semblent être renforcées par l’inauguration, la semaine dernière, du champ gazier de Zohr, présenté comme le plus grand de la Méditerranée, et découvert par l’Egypte en août 2015. Le champ de Zohr possède des réserves de l’ordre de 850 milliards de m3 de gaz et occupe une surface de 100 km2, à environ 200 km de la côte égyptienne.
Une découverte qui avait été faite grâce à l’accord de délimitation des frontières maritimes, conclu en 2013 entre l’Egypte et Chypre.
Cet accord reconnaît le droit de l’Egypte à exploiter les richesses dans sa zone maritime en vertu de la Convention des Nations-Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM).
Légitimité de la position égyptienne
Aujourd’hui, en réclamant, à tort, des droits non existants sur la Méditerranée, la Turquie dépasse la ligne rouge, comme l’affirme Le Caire. Elle enfreint surtout les lois internationales et la CNUDM, ratifiée par l’Egypte en 1982. A noter que la Turquie a refusé de signer cette convention, qui détermine les règles de l’utilisation des océans par l’homme et définit les droits des Etats à explorer et à exploiter les ressources naturelles du plateau continental. Le refus de la Turquie est dû à un litige de délimitation des frontières maritimes l’opposant à la Grèce et à Chypre depuis 1974.
Des experts en droit international étayent les raisons de l’illégitimité des revendications turques. Salah Hafez, ancien vice-ministre du pétrole et membre du Comité de démarcation de la frontière maritime entre l’Egypte et Chypre, affirme que l’accord de 2013 tire sa légalité du fait qu’il est déposé aux Nations-Unis et reconnu au niveau international. « L’Egypte est en position de force, alors que les revendications de la Turquie sont infondées. Personne ne peut remettre en cause l’accord égyptochypriote de 2013, qui est conforme aux lois internationales. De même, la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer protège les droits de l’Egypte. Des raisons invalidant toutes allégations turques à ce sujet », affirme Hafez. Il précise que cette convention fixe la largeur des eaux territoriales de l’Egypte à 12 000 marines. A l’intérieur de cette zone, l’Egypte exerce également ses droits souverains à des fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles biologiques ou non biologiques des fonds marins et de leur soussol et des eaux sus-jacentes. « En conclusion, la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer et la démarcation de la frontière maritime entre l’Egypte et Chypre assurent le droit légal de l’Egypte dans cette affaire », indique Hafez.
Hafez rappelle par ailleurs que la concertation égypto-chypriote visait notamment à faire face aux tentatives de prospections pétrolières abusives qu’effectuaient la Turquie et Israël au détriment des droits de l’Egypte et d’autres pays de la Méditerranée. « Ce sont donc les buts et les intérêts mutuels de l’Egypte et de Chypre qui ont favorisé la conclusion de l’accord de 2013. Les deux pays se sont mis d’accord sur le partage des zones du fond marin dans les eaux internationales en Méditerranée pour y développer l’exploration pétrolière », précise Hafez. A noter que Chypre est privée, depuis l’invasion en 1974, de son tiers nord par la Turquie en réaction à un coup d’Etat visant à rattacher l’île à la Grèce.
Forte presence de la marine égyptienne
« La Turquie ne doit pas provoquer l’Egypte en Méditerranée, la marine égyptienne étant fort présente et apte à protéger les droits du pays », indique Hafez. En effet, la marine égyptienne est actuellement engagée dans un plan de modernisation et de développement sans précédent. L’Egypte a multiplié les commandes, afin de renforcer les capacités de sa flotte et devenir une grande puissance navale régionale. « Une stratégie qui consiste à mieux contrôler les intérêts maritimes de l’Egypte et à protéger ses eaux territoriales de toute menace extérieure », explique Hafez. Sur le volet politique, Magdi Sobhi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, explique que maintes considérations empêchent la Turquie d’entrer effectivement en conflit direct avec l’Egypte. Il assure que le fait que Chypre est membre de l’Union Européen (UE) rend la situation difficile pour la Turquie.
« Avec ses déclarations, la Turquie ne menace pas seulement l’Egypte, mais aussi Chypre. Mais ni l’UE, ni l’Otan ne peuvent accepter l’intimidation de la Turquie envers Chypre. En même temps, la Turquie ne peut pas sacrifier ses relations avec l’UE ou créer des conflits en tant que membre de l’Otan avec les autres membres », indique Sobhi. Ainsi, Sobhi estime que les marges de manoeuvres de la Turquie restent limitées et ne lui permettront pas d’aller plus loin.
Par May Atta - Source de l'article Al Ahram
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