Un jugement de la CJUE sur l’accord de pêche avec le Maroc pourrait mettre en cause l’avenir de la politique extérieure de l’UE.
Jeanne Laperrouze consultante en affaires européennes. Elle est diplômée de l’école doctorale de l’Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé de l’Université de Toulouse (IRDEIC)
Début janvier, la Commission européenne a proposé d’ouvrir des négociations dans le but de renouveler le protocole sur l’accord de pêche entre l’UE et le Royaume du Maroc qui arrive à échéance le 14 juillet 2018. L’accord autorise des navires de pêche européens à exploiter certaines ressources maritimes au large du territoire marocain en échange d’une compensation financière. Rien ne semblait faire douter du succès de ces négociations, lorsque le 10 janvier, l’Avocat général Melchior Wathelet a rendu des conclusions dans lesquelles il propose à la Cour de Justice de l’UE (CJUE) d’invalider le protocole du fait qu’il s’applique au Sahara occidental, un territoire qu’il juge « occupé » illégalement par le Maroc. Des conclusions aux implications lourdes de conséquences pour l’avenir de l’accord de pêche, mais aussi pour celui de la politique extérieure de l’UE.
L’affaire concerne une question soumise à la CJUE par un tribunal britannique suite au dépôt de plainte par Western Sahara Campaign (WSC), une association plaidant le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Il est demandé à la CJUE de répondre à trois questions : la Cour elle-elle est compétente pour apprécier la légalité des accords internationaux conclus par l’Union ? Une association telle que WSC est-elle habilitée à contester la légalité de l’accord de pêche ? L’accord de pêche est-il légal du point de vue du droit européen.
C’est la première fois que le juge européen est saisi pour une question visant des accords internationaux, c’est dire l’importance du précédent que sa décision, attendue le 27 février, pourrait créer. Plusieurs arguments s’opposent cependant aux conclusions de l’Avocat général. Un rappel de certaines bases du droit international et européen est nécessaire pour faire la lumière sur ce cas.
D’après les Traités européens, la CJUE ne peut être saisie que préalablement à la conclusion d’un accord international. D’autre part, et aussi surprenant que cela puisse-t-il paraitre pour les non-juristes, seuls les sujets du droit international, à savoir les Etats et les organisations habilitées à signer des accords internationaux (ONU, UE…), peuvent annuler un accord international et en dénoncer les termes devant une Cour. Western Sahara Campaign ne peut donc pas attaquer la légalité de l’accord liant l’UE et le Maroc, ni la CJUE l’annuler.
Un autre problème dans le raisonnement de l’Avocat général Wathelet est celui de la qualification du Maroc de « puissance occupante ». Quel que soit la légitimité que l’on accorde à la présence du Maroc au Sahara occidental, ce dernier est considéré par les Nations Unis comme un « territoire non autonome », une nuance subtile pensera-t-on, qui signifie pourtant que l’ONU n’y reconnait aucune puissance étatique. Il serait dangereux de penser que la Cour de Justice de l’Union puisse soudainement requalifier une situation très complexe et ainsi se substituer au Conseil de Sécurité de l’ONU pour résoudre un conflit vieux de plusieurs décennies, alors même que la position des capitales européennes sur la question reste incertaine.
Enfin, l’Avocat général place dans son argumentaire les droits de l’Homme au-dessus de tout accord international, en particulier celui du droit des peuples à l’autodétermination. Un noble principe en apparence qui pourrait, s’il était dorénavant appliqué, menacer la négociation d’un nouvel accord de pêche avec le Maroc, mais aussi de tout autre partenariat avec de nombreux pays, tels que la Turquie ou l’Arménie.
En d’autres termes, ce serait prendre le risque de priver l’UE de toute manœuvre dans sa politique extérieure en l’empêchant de conclure des traités avec des pays peu respectueux des droits de l’Homme. Des politiques entières (politique de voisinage, accord de Cotonou) s’en verraient compromises alors que leur principe même est de faire progresser les partenaires de l’UE vers les valeurs démocratiques.
Par Jeanne Laperouzze - Source de l'article Euractiv
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