Méditerranée et le réveil du monde arabe

En ce début d’année 2011, j’ai de nouveau 20 ans. Bien qu’approchant de la cinquantaine, j’ai 20 ans. J’ai 20 ans comme ma fille qui va les avoir l’été prochain, j’ai 20 ans comme les jeunes du monde arabe, de Tunisie, d’Egypte, de Lybie, peut-être d’Algérie et du Yemen et d’autres pays du Maghreb, du Machret et au-delà car le parfum du jasmin semble se répandre jusqu’en Chine.

Pourtant, il y a peu, quelques semaines seulement, je trouvais notre monde extrêmement angoissant, « plombé » pour longtemps. Qui aurait pu croire que ces événements qui vont surement à tout le moins, bouleverser l’équilibre du monde arabe, de la Méditerranée, du monde lui-même et par conséquent notre rapport à lui, se produiraient maintenant dans cette région du monde ?
Pour bien comprendre la situation, il faut replacer ces événements dans ce que Braudel appelle la « longue durée », c’est-à dire dans un contexte historique engagé depuis la fin de la guerre froide qui est celui de libération progressive des peuples, notamment du joug des deux supers-puissances qui se partageaient et dominaient le monde, Etats-Unis et URSS.

On peut dire que ce processus a été amorcé dans les années 1980 quand les pays d’Amérique latine, Argentine et Chili entre autres se sont débarrassés de leurs dictatures à l’époque inféodées aux Etats-Unis.
La chute du mur de Berlin en 1989 devait par la suite engager les pays d’Europe centrale et orientale dans leur libération de la tutelle de l’URSS et entamé la désagrégation du bloc soviétique en 1991. A l’époque, quelques historiens allaient même jusqu’à évoquer la « fin de l’histoire » et par contre coup, ces événements déjà historiques devaient pour longtemps renforcer les Etats-Unis dans leur rôle de super puissance à l’échelle mondiale et de gendarme de la planète. Dans le même temps, profitant de la fin du socialisme réel dans les pays de l’ex bloc de l’est, le modèle libéral devait s’exporter à tout jamais dans le monde et permettre l’enrichissement des peuples de la Terre dans le cadre de la globalisation croissante des échanges mondiaux.
Les attentats du 11 septembre 2001, bien qu’ayant frappé en plein cœur les symboles de la domination militaire et économique de la puissance américaine que sont le pentagone et les tours du world trade center, n’ont pas remis en cause la mondialisation pourtant contestée par de nombreux peuples.
Ils ont précisément révélé l’affirmation des irrédentismes, des replis identitaires face à la globalisation économique, amorcé l’éclatement multipolaire du monde, fragilisé plus que jamais de toute son histoire la puissance américaine, contesté sa domination sur le monde et contribué à voir émerger de nouvelles puissances avec lesquelles il nous faut maintenant compter, la Chine en tout premier lieu qui devrait à l’horizon 2020 devenir la première puissance mondiale mais aussi, l’Inde, de nouveau la Russie…etc.
Cependant, devant l’éclatement du monde auquel les puissances occidentales assistent depuis les attentats du 11 septembre et qui remet en cause jusqu’à leur fondement et leurs principes, la peur légitime du terrorisme islamique en premier lieu sur leur sol et dans les pays du Proche et du Moyen Orient a essentiellement constitué le socle des relations internationales depuis 2001.
Les guerres d’Irak et d’Afghanistan dans lesquelles les américains et leurs alliés se sont enlisés et continuent de s’enliser, révèlent la faiblesse de cette vision du monde qui inscrit celui-ci dans le choc voire, la guerre des civilisations décrite par certains spécialistes américains à la suite de Huttington.
Selon eux, les pays arabes étaient irrémédiablement condamnés à la dictature, au mieux, à des régimes autoritaires soutenus d’ailleurs par les occidentaux, ces derniers considérant qu’ils constituaient des remparts face à l’intégrisme religieux et à l’obscurantisme auxquels les peuples de ces pays étaient fatalement soumis.
Les régimes autoritaires des pays arabes ont également semble t’il agité le spectre du terrorisme religieux auprès de leur population afin de mieux les soumettre à leur autorité et il n’est maintenant pas interdit de penser que ces régimes également corrompus entretenaient des rapports étroits avec les réseaux terroristes dont les ramifications sont nombreuses dans ces pays.
Un certain nombre de spécialistes de la question terroriste avaient déjà alerté sur ces compromissions et analysé ce phénomène mais malheureusement, ils n’ont guère été entendus.
Il faut également replacer les événements actuels du monde arabe dans leur contexte géopolitique et géostratégique pour comprendre l’extrême prudence des diplomaties occidentales face à eux. Les répercussions du soulèvement lybien sur la flambée actuelle des cours du pétrole le montrent aisément.
Certes la Lybie n’est pas notre principal fournisseur d’or noir. Elle ne représente somme toute qu’à peine plus de 2% des approvisionnements pour la France. Néanmoins dans un contexte déjà tendu du marché du brut dû à la fois à la croissance des puissances émergentes telles que la Chine, l’Inde, le Brésil…etc et à la perspective de rareté dans les prochaines décennies, il n’est pas interdit de penser que les bouleversements actuels dans cette partie du monde risquent pour longtemps de déstabiliser les cours du pétrole déjà très fluctuants depuis le premier choc pétrolier de 1973.
Par ailleurs, même si aucune marque d’hostilité ne se fait entendre depuis le début des événements à l’égard d’Israël, il n’en reste pas moins que l’état Hébreux, largement soutenu par les occidentaux, Amérique en tête, quelles que soient d’ailleurs les pressions et les exactions commises à l’encontre des populations palestiniennes des territoires occupés, notamment par l’implantation depuis ces dernières années, des colonies juives condamnée pourtant par l’ONU sur la bande de Gaza et ailleurs, est en première ligne face à des événements dont il craint des répercussions pour sa stabilité et sa sécurité à court ou moyen terme.
En tout état de cause, les peuples tunisien et égyptien se sont soulevés. Le peuple lybien, lui le fait davantage dans la douleur comme le montre le déroulement des événements jour après jour, voire d’heure en heure. Toutefois, ce processus parait irréversible et quoiqu’il advienne par la suite, les choses dans ces pays et dans d’autres peut-être dans cette foulée, ne seront jamais plus comme avant.
Bien sûr, il faut être extrêmement prudent, on ne peut pronostiquer sur l’avenir. Néanmoins, ce qu’il y a d’extrêmement positif, c’est que ces peuples aient pu, malgré notre vision faussée d’eux-mêmes et contre toute attente ou notre aveuglement à ne pas voir la réalité de la situation dans ces pays, se révolter contre leurs dictateurs et contre l’inadmissible.
Or ces événements n’étaient pas totalement imprévisibles si on les analyse de façon objective. Certes le moment de leur déclenchement était inattendu. Cependant, ils se sont déclenchés d’une part, dans un contexte pour le moins tendu du marché international des matières premières agricoles nécessaires à l’alimentation quotidienne. Depuis les années 1980, quelques révoltes populaires, toutes réprimées bien évidemment, en Algérie, en Tunisie et en Egypte éclataient sporadiquement, déjà contre la flambée des prix des produits alimentaires.
D’autre part, ces mouvements se sont déclenchés dans des pays où la vitalité démographique est particulièrement forte et où l’accès des jeunes à l’instruction et à des formations de plus en plus qualifiées est particulièrement élevé et contribue à accroître un désir légitime d’émancipation individuelle et collective. Qui plus est, internet et les réseaux sociaux ont accentué et accéléré ce vaste processus de libération des peuples.
« L’Homme révolté » de Camus apparait d’une singulière actualité lorsqu’il y décrit tout le positif qu’il y a dans la révolte en ce qu’elle refuse l’arbitraire et l’inadmissible et en ce qu’il n’y a en elle aucun retour en arrière possible. De fait, rien ne sera jamais plus comme avant pour ces peuples du monde arabe qui viennent de se soulever ou qui s’appètent à le faire.
Bien malin qui peut prédire l’avenir dans ces circonstances dans lesquelles ces phénomènes semblent d’une spontanéité surprenante. Néanmoins, ces soulèvements soudains contiennent dans leur germe un vaste champ des possibles. Pour faire en sorte que ce champ des possibles conduise vers une véritable démocratisation, les diplomaties occidentales seraient bien avisées de les encourager.
On peut émettre un souhait pour l’avenir, celui d’un partenariat économique et politique entre l’Union Européenne et particulièrement la France et l’arc méditerranéen. Il n’est pas interdit de penser que notre renouveau émergera de la rive sud de la Méditerranée.
L’Union pour la Méditerranée proposée par la France parait aller dans ce sens. Alors qu’à l’horizon 2020, la Chine sera la première puissance mondiale, les pays arabes dans lesquels la croissance démographique est forte, ne deviendront ils pas des pays avec lesquels il faudra compter également ?
François Marteau, Saintes (17)
Publié dans Courrier des lecteurs du 17 mars 2011
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Les illustrations sont de Noemi dans son blog vous trouverez des dessins et collages, d'encres et de pastels autour de thèmes d'actualité... Une proposition personnelle et colorée de l'actualité, dans laquelle elle allie son expérience de journaliste (13 ans de télé quand même) et sa passion pour le dessin. Une façon aussi de dire ses colères, ses joies, et tout l'éventail intermédiaire de sentiments face aux tribulations de notre drôle de monde. J'espère que vous apprécierez comme moi.
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