L'aspiration démocratique et la revendication de dignité des peuples du monde arabe ont été au coeur des révoltes ouvertes par l'insurrection tunisienne. Les années de dictature et la permanence de régimes autoritaires pèsent lourd. Le couvercle commence à peine à se soulever.
Mais les commentateurs qui se sont succédé dans les médias ont bloqué leur curseur exclusivement sur la démocratie. Ainsi, même un journal économique comme La Tribune évoquait à peine la question économique comme élément constitutif de l'insurrection.
Or notre hypothèse est que la crise économique est le facteur-clé du mouvement de révolte ou de révolution du monde arabe. Il est celui qui a permis de faire éclater une colère qui n'aurait pu vraisemblablement exploser que beaucoup plus tard. L'effondrement brutal des économies arabes non rentières (puis rentières) dû à la crise a brisé le tacite pacte social - développement versus autoritarisme - qui caractérisait la Tunisie, l'Egypte et la Libye, et qui est encore le modèle dominant d'autres pays (Jordanie, Maroc, Syrie, pays du Golfe, etc.).
Aujourd'hui, l'équation politique se calcule sur les bases suivantes. La crise a fait tomber les dirigeants répressifs et politiquement grillés. Des réformes constitutionnelles vont ouvrir (vraisemblablement largement, voire très largement) le champ démocratique. Mais les gouvernements de transition et les gouvernements élus vont être jugés par les citoyens à l'aune de leur capacité à créer des emplois et à donner du pain. Or, d'une part, les gouvernements tunisien et égyptien vont devoir restaurer une économie brisée par la période de la révolte et, d'autre part, vont surnager dans un monde économique toujours secoué par la crise.
Autrement dit, si l'attente populaire est déçue, nous risquons de voir se jouer un deuxième tour révolutionnaire qui, cette fois-ci, portera de nouveaux extrémistes ou de nouveaux populistes autoritaires au pouvoir. Et, dans cette nouvelle configuration, les violences seront au rendez-vous dans des proportions sans commune mesure avec celles du mois de janvier 2011. De ce point de vue, l'instabilité commence à peine...
C'est donc la seconde phase du processus révolutionnaire qui sera décisive. Celle du rééquilibrage des économies arabes. Comme le note le Forum euroméditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise) dans son dernier rapport, "ceci indique que, dès la sortie de crise, les pays concernés devront veiller à maintenir la confiance par une gestion rigoureuse des grands équilibres et par une ouverture très prudente aux marchés internationaux (pourtant indispensable)". Or ces économies ont globalement raté la phase de développement des années 1970-1980 qui ont vu le décollage de l'Asie.
Les mauvais choix politico-économiques n'ont permis que des stratégies de rattrapage. Pourtant, l'enjeu est colossal : "Si l'on poursuit les tendances actuelles, sans dégrader la situation relative d'emploi (taux d'emploi et taux de chômage constants), il faudrait créer 22,5 millions d'emplois d'ici à 2020. Avec la pression démographique, ce seront 130 millions de personnes sans emploi et 12 millions de chômeurs officiels supplémentaires. Ce sont donc 30 millions de personnes supplémentaires qui ne se sentiront pas intégrées dans cette région (avec une part importante de hauts diplômés puisque les pays méditerranéens ont déjà beaucoup investi dans l'éducation)."
Il faudra aussi trouver 300 milliards d'euros en investissements d'ici à 2030 pour des pays méditerranéens dont la moitié de la population est âgée de moins de 15 ans. Ou bien, sous une forme dynamique, "il faudrait une croissance annuelle de plus de 8 % en moyenne pendant quinze ans". Tant que ces pays ne seront pas passés du bon côté de la transition démographique (c'est-à-dire dans vingt à trente ans pour les seuls pays du Maghreb), nous vivrons assis sur une poudrière.
On a souvent parlé, jusqu'à en épuiser le contenu, de plan Marshall pour tout et n'importe quoi. Aujourd'hui, ce concept prend tout son sens. Les déclarations dramatiques parlant d'une Méditerranée où tout se perd et se gagne sont rattrapées par la réalité. Les "révolutions" en marche dans le monde arabe ne sont que les prémices d'un malaise beaucoup plus profond de sociétés éreintées et spoliées mais qui, désormais, ont décidé de dire non.
En s'engageant pour le changement en Tunisie et en Egypte, le président Obama a, semble-t-il, compris l'aspiration démocratique qui s'exprime. Il n'est pas sûr qu'il ait bien perçu le fait que cela entraînait corrélativement la modification en profondeur du modèle économique dont son pays a été le porteur depuis trente ans.
Or notre hypothèse est que la crise économique est le facteur-clé du mouvement de révolte ou de révolution du monde arabe. Il est celui qui a permis de faire éclater une colère qui n'aurait pu vraisemblablement exploser que beaucoup plus tard. L'effondrement brutal des économies arabes non rentières (puis rentières) dû à la crise a brisé le tacite pacte social - développement versus autoritarisme - qui caractérisait la Tunisie, l'Egypte et la Libye, et qui est encore le modèle dominant d'autres pays (Jordanie, Maroc, Syrie, pays du Golfe, etc.).
Aujourd'hui, l'équation politique se calcule sur les bases suivantes. La crise a fait tomber les dirigeants répressifs et politiquement grillés. Des réformes constitutionnelles vont ouvrir (vraisemblablement largement, voire très largement) le champ démocratique. Mais les gouvernements de transition et les gouvernements élus vont être jugés par les citoyens à l'aune de leur capacité à créer des emplois et à donner du pain. Or, d'une part, les gouvernements tunisien et égyptien vont devoir restaurer une économie brisée par la période de la révolte et, d'autre part, vont surnager dans un monde économique toujours secoué par la crise.
Autrement dit, si l'attente populaire est déçue, nous risquons de voir se jouer un deuxième tour révolutionnaire qui, cette fois-ci, portera de nouveaux extrémistes ou de nouveaux populistes autoritaires au pouvoir. Et, dans cette nouvelle configuration, les violences seront au rendez-vous dans des proportions sans commune mesure avec celles du mois de janvier 2011. De ce point de vue, l'instabilité commence à peine...
C'est donc la seconde phase du processus révolutionnaire qui sera décisive. Celle du rééquilibrage des économies arabes. Comme le note le Forum euroméditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise) dans son dernier rapport, "ceci indique que, dès la sortie de crise, les pays concernés devront veiller à maintenir la confiance par une gestion rigoureuse des grands équilibres et par une ouverture très prudente aux marchés internationaux (pourtant indispensable)". Or ces économies ont globalement raté la phase de développement des années 1970-1980 qui ont vu le décollage de l'Asie.
Les mauvais choix politico-économiques n'ont permis que des stratégies de rattrapage. Pourtant, l'enjeu est colossal : "Si l'on poursuit les tendances actuelles, sans dégrader la situation relative d'emploi (taux d'emploi et taux de chômage constants), il faudrait créer 22,5 millions d'emplois d'ici à 2020. Avec la pression démographique, ce seront 130 millions de personnes sans emploi et 12 millions de chômeurs officiels supplémentaires. Ce sont donc 30 millions de personnes supplémentaires qui ne se sentiront pas intégrées dans cette région (avec une part importante de hauts diplômés puisque les pays méditerranéens ont déjà beaucoup investi dans l'éducation)."
Il faudra aussi trouver 300 milliards d'euros en investissements d'ici à 2030 pour des pays méditerranéens dont la moitié de la population est âgée de moins de 15 ans. Ou bien, sous une forme dynamique, "il faudrait une croissance annuelle de plus de 8 % en moyenne pendant quinze ans". Tant que ces pays ne seront pas passés du bon côté de la transition démographique (c'est-à-dire dans vingt à trente ans pour les seuls pays du Maghreb), nous vivrons assis sur une poudrière.
On a souvent parlé, jusqu'à en épuiser le contenu, de plan Marshall pour tout et n'importe quoi. Aujourd'hui, ce concept prend tout son sens. Les déclarations dramatiques parlant d'une Méditerranée où tout se perd et se gagne sont rattrapées par la réalité. Les "révolutions" en marche dans le monde arabe ne sont que les prémices d'un malaise beaucoup plus profond de sociétés éreintées et spoliées mais qui, désormais, ont décidé de dire non.
En s'engageant pour le changement en Tunisie et en Egypte, le président Obama a, semble-t-il, compris l'aspiration démocratique qui s'exprime. Il n'est pas sûr qu'il ait bien perçu le fait que cela entraînait corrélativement la modification en profondeur du modèle économique dont son pays a été le porteur depuis trente ans.
Le retour de l'action collective est une nécessité vitale et la moribonde Union pour la Méditerranée doit être repensée dans une nouvelle dimension collective, pour porter ce nouveau plan Marshall basé sur les mêmes enjeux politico-stratégiques que le premier : empêcher la violence interne et la guerre par une politique intensive de développement.
Par Jean-François Daguzan, Fondation pour la recherche stratégique, rédacteur en chef de la revue "Maghreb-Machrek"
Article paru dans l'édition du 17.03.11 du Monde - http://www.lemonde.fr/idees/
Par Jean-François Daguzan, Fondation pour la recherche stratégique, rédacteur en chef de la revue "Maghreb-Machrek"
Article paru dans l'édition du 17.03.11 du Monde - http://www.lemonde.fr/idees/
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire