Nasser Kamel, Secrétaire général UpM : « La Méditerranée redevient une priorité française
 et européenne, et c’est une très bonne chose ! »

Nasser Kamel, Secrétaire général depuis juin 2018 de l’Union pour la Méditerranée (UpM), lors de son échange avec des journalistes de l’Association de la Presse Diplomatique Française (APDF), à Paris, le 5 mars 2019. © AM/AP.P

Invité le 5 mars dernier à échanger avec les journalistes de l’Association de la Presse Diplomatique Française (APDF) à l’occasion d’une visite à Paris où il a été auditionné par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Nasser Kamel, Secrétaire général depuis juin 2018 de l’Union pour la Méditerranée (UpM), a dressé un vaste tour d’horizon des questions communes aux Deux Rives du Mare Nostrum. 

L’occasion aussi de lever quelques malentendus et surtout de se réjouir du renouveau d’intérêt de l’Union européenne pour la Méditerranée.

Au rang des malentendus qui perdurent depuis la création même de l’Union pour la Méditerranée, à Paris le 13 juillet 2008, il y a cette idée fausse selon laquelle l’UpM aurait eu une vocation politique, y compris la plus ambitieuse de toutes, celle qui aurait consisté à « régler » le conflit israélo-palestinien… À partir de là, il est clair que les détracteurs en tout genre de l’UpM eurent très vite le jeu facile à répéter en toute occasion que l’UpM échouait, qu’elle ne servait à rien, « la preuve »… Et bien sûr, les insurrections des pays arabes de 2011, l’effondrement de l’État libyen et la guerre civile en Syrie, le pic de la crise migratoire de 2015 (avec 1,8 million de migrants, contre quelques dizaines de milliers en 2018), ont contribué à abonder injustement le discours sur « l’inutilité » de l’Union pour la Méditerranée.

En vérité, l’UpM n’a jamais eu le mandat de s’impliquer dans les questions politiques de la région, même si finalement, après plus de dix ans de fonctionnement, on peut lui reconnaître le mérite d’avoir réussi à faire se parler régulièrement, lors de ses rencontres thématiques régionales, des représentants de pays qui « normalement ne se parlent pas », ou très peu.
Ainsi Nasser Kamel a-t-il rappelé aux journalistes de l’APDF que l’Union pour la Méditerranée, s’inscrivant dans le prolongement du Processus de Barcelone (1995) devait être en fait considérée comme une « union de projets et non pas un projet d’union, son objet fondamental étant de contribuer à créer les conditions propices au développement humain en Méditerranée » et à l’intégration économique régionale Nord-Sud, aujourd’hui encore l’une des plus faibles au monde.

L’UpM n’est pas non plus une agence de développement [elle ne finance pas des projets, contrairement à ce que fait par exemple l’Agence française de développement (AFD), ndlr] mais elle s’implique dans un rôle de « facilitateur », dont plusieurs exemples de projets réalisés ou en cours prouvent d’ailleurs la pertinence : construction de l’usine de dessalement d’eau de la bande Gaza (562,3 millions d’euros de financement, dont 77,1 M€ par l’UE) ; dépollution du lac de Bizerte en Tunisie (80 M€ via la BEI, la BERD, avec un don de l’UE), création de l’université EuroMed de Fès, au Maroc (100 M€, avec le soutien de l’AFD), etc. : à ce jour, quelque 53 projets de coopération régionale ont été labellisés par l’UpM, le label constituant un levier facilitateur, tant du financement que pour l’adhésion de nouveaux partenaires.

Ces préalables étant levés, l’échange s’est rapidement centré sur la question des flux migratoires.

Parmi les journalistes de l’Association diplomatique de la presse française (APDF) ayant participé à la rencontre avec la Secrétaire général de l’UpM, Nasser Kamel, on reconnaît notamment : le Président de l’APDF, Jean-Christophe PLOQUIN (La Croix, à gauche de N.K.) ; Pascal AIRAULT (L’Opinion, à droite de N.K.), ainsi que Marie BEZOU (Le Bulletin Quotidien) ; Bechara BON ; Ariane BONZON (Slate.fr) ; Marie HOURTOULE (Guidiplo international) ; Jacques HUBERT-RODIER (Les Echos) ; Harold HYMANN (CNews) ; Dominique LARESCHE (Tv5Monde) ; Étienne LEENHARDT (France tv) ; Alfred MIGNOT (Africapresse.Paris). © Isabel Pardillos/UpM

Agir sur « les causes réelles » des migrations

En diplomate chevronné, Nasser Kamel s’est d’abord employé à en relativiser l’importance : « Le pire de ce que nous avons connu dans la région depuis 2011 est maintenant derrière nous », considère-t-il, évoquant notamment la forte baisse des flux migratoires après le pic de 2015 et le fait que le nombre de migrants illégaux qui essaient de traverser la Méditerranée est somme toute « négligeable » au regard de la population totale de la Rive sud. D’autre part, la démographie de la région est aujourd’hui en phase de stabilisation.

Cela dit, le diplomate regrette que sur la question migratoire l’on s’en tienne encore surtout à « une logique de gestion [« management », dit-il] de la problématique, et non d’action sur ses causes réelles. Il y a des manques,estime-t-il, même si l’Europe a pris conscience récemment de l’importance de la dimension économique en mettant en œuvre un plan d’investissement qui vise en particulier le Sahel et l’Afrique subsaharienne. » [Il fait ici référence du Plan d’investissement extérieur (PIE) de l’Union européenne, adopté en septembre 2017, « afin de contribuer à stimuler l’investissement dans les pays partenaires d’Afrique et du voisinage européen », ndlr].

Reste que la priorité encore patente au « management » crée des tensions, notamment issues des différences de perception : « L’Afrique du Nord et le Moyen Orient se voient comme des victimes, car plus de 10 millions de migrants vivent dans le sud de la Méditerranée, et représentent par exemple jusqu’à 30 % de la population du Liban, et autour de 25 % à 30 % en Jordanie… Ainsi, quand l’Europe demande aux pays du sud d’en faire plus, la réponse relève un peu de la frustration… Nous sommes aussi victimes que vous ! Travaillons ensemble sur les causes de ce phénomène – insuffisance du développement économique, changement climatique… – et ne nous focalisons pas sur la seule logique des mesures sécuritaires », souligne Nasser Kamel.

Dans cette optique, le Secrétaire général de l’UpM se félicite cependant d’observer « un regain d’intérêt sur la coopération méditerranéenne parce que cette logique est en train de prendre l’ascendant, la Commission européenne et les leaders politiques de l’Europe prenant conscience qu’il faut dépasser l’approche gestionnaire et s’impliquer plus sur la dimension du développement de l’Afrique. Il faut donc agir sur les causes de fond de l’immigration, en utilisant notamment le Plan d’investissement extérieur (PIE) de l’Union européenne ainsi que les leviers des processus de Rabat et de Khartoum pour les migrations ».

Le programme ambitieux du prochain sommet des Deux Rives

Si l’UpM, co-présidée par l’Union européenne et un pays du sud (la Jordanie, actuellement) repose sur « une relation paritaire et consensuelle entre ses membres » ( la co-présidence s’appliquant à tous les niveaux : sommets, réunions ministérielles et réunions des hauts fonctionnaires), comme le fait remarquer son Secrétaire général, certains pays sont plus actifs que d’autres, notamment l’Italie, l’Allemagne et bien sûr la France.

Ainsi, l’initiative d’Emmanuel Macron de tenir un sommet des Deux Rives à Marseille, le 24 juin prochain, est selon Nasser Kamel un autre exemple du regain d’intérêt des dirigeants politiques européens pour la coopération en Méditerranée. Il s’en félicite : « Cela démontre que la Méditerranée redevient une priorité de la politique étrangère de l’Europe. La France est au cœur de ce processus, la France est de retour en Méditerranée ! La Méditerranée redevient une priorité française et européenne, et c’est une très bonne chose. »

Ce sommet – première initiative présidentielle d’envergure pour la région, depuis celle de Nicolas Sarkozy de créer l’UpM, en 2008 – regroupera les dix pays riverains de la Méditerranée occidentale du groupe « 5+5 »*, plus l’Égypte, qui présidera l’Union africaine, et l’Allemagne. Un sommet au programme ambitieux qui traitera de l’économie, de l’innovation, de l’énergie, du développement durable, du climat, de l’éducation et de la culture, et auquel Emmanuel Macron souhaite voir participer la société civile.

Se fondant sur cette perspective de coopération réaffirmée en Méditerranée, Nasser Kamel projette dès à présent l’action de l’UpM au-delà des Deux Rives, vers la « profondeur » africaine : « L’Union pour la Méditerranée peut jouer un rôle de passerelle au profit d’une coopération Europe-Méditerranée-Afrique subsaharienne… Nous avons un début de conversation avec l’Union européenne à ce sujet, et je vais me rendre à Addis-Abeba [capitale de l’Éthiopie] pour défendre l’idée de créer un lien structurel entre l’Union africaine et l’UpM. L’Afrique est le continent de demain, celui où il y aura le plus de croissance et des classes moyennes avec des attentes et des besoins énormes. C’est un continent d’opportunités y compris dans les nouvelles technologies. »



L’UpM en pointe pour l’action en faveur des droits des femmes

Avec la croissance inclusive, le développement durable et l’employabilité des jeunes, l’autonomisation socio-économique des femmes est un autre axe prioritaire d’action de l’UpM, « au cœur de mon mandat », relève Nasser Kamel. Un défi, mais aussi l’un des points sur lequel on avance le plus. »

En effet, explique-t-il, lors de la conférence de Paris, le 12 septembre dernier, les 43 pays membres de l’UpM sont parvenus à « une vision commune de ce qu’il faut faire » dans le domaine de l’autonomisation de la femme, de l’égalité des sexes, de la place de la femme dans le monde du travail.

Il est d’ailleurs prévu sur ce sujet que chaque pays membre présentera à l’avenir un faisceau d’indicateurs qui permettront d’évaluer et de comparer l’avancée sur ces droits des femmes dans chaque pays, précise le Secrétaire général, se félicitant que sur les 43 pays adhérents, « il n’y en a pas eu un seul pour émettre la moindre réserve sur les engagements très progressistes » de l’UpM en faveur des femmes.

« Je suis fier de ce travail commencé il y a deux ans », déclare encore Nasser Kamel, rendant hommage à l’action de son prédécesseur, le diplomate marocain Fathallah Sijilmassi, qui fut pendant six ans (2012-2018) Secrétaire général de l’UpM, après avoir été ambassadeur de son pays à Paris, à l’instar de Nasser Kamel.

Concernant la jeunesse, autre cible prioritaire d’action de l’UpM, Nasser Kamel demande « que l’Europe ouvre sa porte avec un programme comme Erasmuspour les jeunes sud-méditerranéens. Qu’ils puissent passer six mois à un an en Europe, et réciproquement pour les jeunes Européens. Et aussi d’organiser des échanges de professeurs et de programmes, ainsi que d’établir l’équivalence des diplômes. »

Élections européennes : « la raison va l’emporter »

Interrogé enfin sur le risque de régression de ce renouveau d’une politique partenariale Nord-Sud plus active, en cas de victoire des « populistes » aux prochaines élections européennes, Nasse Kamel a considéré que « la raison va l’emporter c, les Européens « vont faire le bon choix » d’une Europe qui comprend que c’est au travers d’une « coopération renforcée avec ses voisins en créant des richesses ensemble que l’Europe, avec une démographie problématique, – pour ne pas dire plus – a besoin de plus de coopération avec son voisinage méditerranéen.

Le besoin de travailler ensemble s’impose d’évidence. Au sud de la Méditerranée, il y a une force de travail qualifiée. L’Europe doit intégrer cette réalité pour créer une “coprospérité” entre les deux rives. La Chine, et bien d’autres puissances mondiales ont déjà fait le pari de la Chine. »

Et si l’Europe ne veut pas se retrouver « marginalisée dans les cent ans qui viennent, et avec elle toute la Méditerranée », elle n’a d’autre choix que d’intensifier sa coopération avec l’Afrique, estime Nasser Kamel.

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*Le dialogue « 5 + 5 » a été lancé en 1990 en format « Affaires étrangères » puis décliné en divers fora thématiques. L’Initiative 5+5 Défense, composante sécuritaire du dialogue, a été créée en 2004, sous l’impulsion de la France. Ce forum de coopération multilatérale entre les deux rives de la Méditerranée occidentale réunit cinq États de la rive sud de la Méditerranée (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie) et cinq États de la rive nord (France, Italie, Malte, Portugal et Espagne). Il constitue un cadre préférentiel favorisant la connaissance mutuelle et les échanges sur les enjeux sécuritaires communs de l’espace « 5 + 5 » (terrorisme, flux migratoires, trafics notamment).

Par Alfred Mignot - Source de l'article AfricaPresse.Paris

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