Dans le titre même il y a comme une forme de provocation, «positive» j’entends, tant le terme Maghreb n’a pas encore de réalité, à ce jour, ni politique, ni économique. Ce qui est d’autant plus frustrant qu’il y a derrière ce mot Maghreb un profond sentiment d’appartenance fort et ancien.
Depuis trois ans, nombreux sont les Libyens qui ont trouvé refuge en Tunisie, bien plus nombreux que les 20.000 Tunisiens échoués à Lampedusa. Durant la guerre de décolonisation mais aussi durant les années noires en Algérie, nombreux sont ceux qui se sont établis durablement en Tunisie. Les populations sont proches, mais c’est la politique qui détruit leurs espoirs.
Lorsqu’on parle du Maghreb dans sa relation avec le Nord, on est obligé de porter son regard sur l’ensemble de la Méditerranée. La Méditerranée, espace de conquêtes et point de départ des plus belles aventures humaines, lieu de brassages multiculturels, est notre bien commun. Lien commun ou barrière commune, c’est selon.
Mais hélas, le constat est amer, la Méditerranée reste la région la moins intégrée du monde…après le Maghreb ! Cela prouve au moins une chose, c’est que l’histoire et la géographie ne suffisent pas à elles seules à impulser une vision politique, et cela même si elles contribuent à forger un sentiment d’appartenance.
Aujourd’hui les riverains de la Méditerranée partagent les mêmes priorités, que sont les questions de croissance, d’emploi, d’agriculture, d’énergie, d’eau et d’autres encore. Mais l’intégration méditerranéenne n’est une priorité pour personne. Il y a d’abord, comme je l’ai dit plus haut, une absence de vision commune de l’avenir du bassin méditerranéen, mais aussi un manque de culture commune des pouvoirs publics et politiques du Nord.
Le Nord de la Méditerranée est en majeure partie déjà intégré à travers l’UE. Mais est-ce un hasard, ou une fatalité, si la crise économique et sociale en Europe a frappé plus durement les pays du Sud, ceux justement qui forment l’Europe méditerranéenne? Ces pays qui auraient pu (ou dû) œuvrer pour une intégration régionale méditerranéenne sont aujourd’hui recroquevillés sur eux-mêmes, alors même que cette crise devrait leur ouvrir les yeux sur une réalité géographique incontestable, qui doit être consacrée en nécessité économique et sociale durable.
Aujourd’hui, le Sud a besoin de la demande du Nord, qui a lui-même besoin de susciter une demande au Sud. Chacun a autant besoin de l’autre pour optimiser son offre. Si le Sud a besoin de la technologie du Nord, le Nord aura nécessairement besoin de la compétitivité du Sud. Il faut être en mesure de construire une chaîne de valeurs commune et intégrée. Si c’est là le sens du nouveau concept de co-localisation, alors oui du point de vue du Sud, on peut y souscrire.
Mais si la co-localisation, c’est de transférer au Maghreb les process à faible valeur ajoutée, pour en faire l’atelier de l’Europe, l’arrière-boutique sale et délabrée, cela ne fonctionnera plus. Les politiques des deux rives doivent le comprendre, rétablir la confiance et proposer d’autres modèles pour doper l’investissement, avant l’explosion sociale qui guette. L’Europe a toujours peur des risques liés à une immigration massive, négligeant l’importance du développement du Sud pour sa propre croissance. Il faut arrêter d’avoir peur si on veut pouvoir se donner une chance, tous ensemble. Les populations et les opérateurs économiques sont fatigués des conflits, des désaccords et des peurs, ils veulent de l’initiative et de l’investissement, de l’espoir en somme.
L’Europe propose aux pays de la rive sud un statut de partenariat privilégié avec à la clé un accord de libre-échange complet et approfondi. Ce que Bruxelles nomme le «Tout sauf les institutions», sauf que dans le même temps, l’UE continue de mettre en œuvre des procédures d’exclusion à l’encontre de la Tunisie et des pays du Maghreb en matière d’éligibilité aux financements et d’accès aux marchés publics. Cette approche du partenariat doit changer, et les investisseurs des deux rives attendent des signaux clairs. Certes, il y a toujours un rapport de force entre partenaires, mais il doit être équilibré et franc.
L’Union pour la Méditerranée était une riche idée, et l’axe retenu de structurer la Méditerranée autour de projets communs est une approche constructive. Cela pouvait au moins compenser la défaillance des appareils politiques, pour engager les opérateurs économiques et associatifs dans une construction commune et durable, qui aurait pu, dans un deuxième temps, s’imposer aux politiques comme un vecteur de croissance. Cette initiative aurait pu, et pourrait encore, conduire à «des réalisations concrètes créant des solidarités de fait», comme le disait Robert Schuman à propos de l’Europe et ainsi constituer un outil de convergence à l’échelle de la Méditerranée et empêcher que les pays ne soient individuellement emportés sous la pression des transformations de l’économie mondiale, et que le Sud ne soit définitivement marginalisé.
Mais avant de donner des leçons à la rive nord, le Maghreb doit se regarder en face et faire le constat sans concession de ses propres échecs. L’absence d’intégration a des conséquences économiques et sociales profondes. D’autant que, sans l’intégration maghrébine de 80 millions d’habitants au pouvoir d’achat en croissance, il y a peu de chances que le Nord s’intéresse durablement au Maghreb, ni que le Maghreb puisse négocier des accords équilibrés avec l’UE. Certes, l’Union européenne peut jouer un rôle de catalyseur dans cette intégration maghrébine, et la France un rôle moteur au sein de l’Union, mais le veulent-elles vraiment? Oui, il y a l’instabilité que vit aujourd’hui la Libye, ainsi que le dossier du Sahara Occidental qui pollue les relations entre le Maroc et l’Algérie, mais seule l’intégration économique apportera des réponses solides et durables.
Pour cela, le Maghreb doit prendre son destin en main. Car là non plus, il n’est pas interdit de construire des initiatives communes visant à renforcer l’intégration à travers des projets et accords communs, tendant à faciliter la circulation des personnes et des biens, favoriser la création de zones franches frontalières, travailler à des projets communs économiquement structurants, intégrer des filières industrielles, adopter des standards et des normes communes. Après des années de blocage, il est heureux de voir que dans quelques jours (le 1er mars), un nouvel accord commercial préférentiel entre l’Algérie et la Tunisie entrera en vigueur, et qu’en ce moment même se tient à Marrakech le Forum des entrepreneurs maghrébins, initiative privée pour mettre, avec d’autres groupes de la société civile, la pression sur les politiques en faveur d’une intégration économique et sociale la plus large.
Le Maghreb n’a pas d’autres choix stratégiques que celui-là, et le secteur privé a aujourd’hui un rôle majeur à jouer dans la concrétisation de ces choix, pour montrer qu’il croit et investit dans l’édification de ce marché commun, et la Banque maghrébine d’investissement (qui sera installée à Tunis courant 2014) sera l’instrument idéal pour cela.
En parallèle, aucun des pays du Maghreb ne pourra faire l’impasse sur des réformes structurelles, économiques et sociales profondes, rendues nécessaires par l’essoufflement de nos modèles de développement. L’avenir du Maghreb comme de l’Europe se résume à l’intégration. Si nous ne sommes pas en mesure de l’engager maintenant, et tous ensemble, il restera toujours au Maghreb le projet de sixième califat qui lui offre une autre opportunité d’intégration.
Par Walid Bel Hadj Amor - Source de l'article Leaders
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