Averroès, ce qui nous arrive de Méditerranée

Résultat de recherche d'images pour "rencontres averroes 2018"

Une tribune de Thierry Fabre, fondateur des Rencontres d’Averroès et directeur du programme Méditerranée de l’Iméra (Institut d’études avancées), à l’occasion des Rencontres d’Averroès (2) dont La Croix est partenaire.

Cette 25e édition se déroulera du 15 au 18 novembre au théâtre de La Criée, à Marseille, sur le thème : « Quelles relations entre les sexes, d’hier à demain, en Méditerranée ? »

« L’éthique, c’est être à la hauteur de ce qui nous arrive », écrit Gilles Deleuze. Qu’est-ce qui nous arrive de Méditerranée ? Des sources, des défis et des questions sur notre monde à venir et sur nos façons de l’habiter.

La Méditerranée a donné son nom et son visage à l’Europe, depuis cette belle princesse de la mythologie, enlevée par Zeus, depuis Sidon. Le monde méditerranéen est donc une composante à part entière de ce que nous sommes.

Héritage grec et latin, volontiers reconnu ; héritage judéo-­arabe aussi, largement oublié, dénié voire expulsé, comme le fit Isabelle la Catholique au lendemain de la prise de Grenade en 1492.

Nos héritages

Être à la hauteur de ce qui nous arrive du monde méditerranéen, c’est d’abord conjuguer les héritages, associer pleinement Athènes et Rome à Jérusalem et Cordoue, enseigner et transmettre Averroès et Maïmonide comme Aristote ou Marc Aurèle.

Cette autre généalogie dans laquelle il s’agit de s’inscrire, profondément méditerranéenne, ne peut être dans le déni ou le refus de notre héritage sémitique, judéo-­arabe. Les sources viennent de loin et elles nous constituent, références indispensables à travers lesquelles se pose le débat si marqué aujourd’hui autour des appartenances et des identités.

Irons-nous vers une forme de clôture, néo-maurassienne, qui revient en force et qui nous sépare, nous oppose et inspire la haine ? Ou bien réussirons-nous à être dans l’Ouvert d’une Méditerranée des deux rives qui nous relie dans un possible monde commun ?

Face à l’exil

Ce qui nous arrive du monde méditerranéen, ce sont des défis, qui sont avant tout humains, à travers les réfugiés et les exilés, trop souvent naufragés dans cette mer qui devient la frontière la plus dangereuse du monde. Comment être à la hauteur d’un tel ébranlement humain ? Ne pas succomber à la peur, au repli et au rejet, mais retrouver plutôt des visages, des histoires, des sauvetages. Alors notre regard peut changer sur ces réfugiés et ces exilés, sur ces hommes, ces femmes et ces enfants qui sont de véritables aventuriers de leur propre existence. Ce sont eux « qui nous expliqueront ce que l’Europe est devenue, qui nous montreront, comme dans un miroir, ce que nous sommes devenus (1) ».

Une génération à la recherche d’elle-même

Ce qui nous arrive de Méditerranée, ce sont au fond de grandes questions sur ce que nous voulons être et devenir. Une Europe citadelle, emmurée dans ses certitudes et dans ses peurs, repliée sur ses passions identitaires et qui renonce à ses valeurs, à son récit, à son projet, né sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale ? Ou plutôt une Europe sans rivages, qui renoue avec la confiance, un élan, un désir de faire ensemble pour tenter de construire un possible monde commun ?

Ce qui nous arrive de Méditerranée, ce sont des défis portés par les jeunes générations, largement majoritaires dans les sociétés de l’autre rive. Elles ont bien plus le goût de la vie que le goût de la mort et se cherchent un avenir en dehors de la confrontation, alors que tant de forces, négatrices, essaient de les paralyser. Mais pour cela il nous faut enfin comprendre que dans ces sociétés, il n’y a pas rien entre les militaires et les islamistes. Il y a toute une génération à la recherche d’elle-même…

Défier le chaos

Ce qui nous arrive de Méditerranée n’est pas seulement sombre, c’est aussi une Méditerranée créatrice qui défie le désordre et le chaos. Elle est déjà là, avec une immense fertilité qu’on ne soupçonne même pas. Elle invente un monde, son monde. Un tout autre récit peut ainsi naître, à partir de là, pour suivre ce que j’appelle volontiers une « voie méditerranéenne », cette pensée de midi, si chère à Camus, de la mesure face à la démesure, dont nous avons le plus grand besoin aujourd’hui, compte tenu de l’état de notre planète et singulièrement de notre mer Méditerranée.

Toutes ces questions et bien d’autres encore, ce sont elles qui sont en débat à l’occasion des Rencontres d’Averroès, dont ce sera cette année la 25e édition. Parler, se parler, chercher ensemble à « penser la Méditerranée des deux rives » et ainsi tenter d’être à la hauteur de ce qui nous arrive…


Par Thierry Fabre - Source de l'article La Croix

(1) Davide Enia, La Loi de la mer, Albin Michel, 2018, p 153
(2) La première table ronde, vendredi 16 novembre, à 15 heures, réunira Monique Baujard, Sophie Bessis, Asma Lamrabet et Marc-Alain Ouaknin autour du sujet : « Des relations fondées sur des textes, sacrés et profanes ? », un débat animé par Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef à La Croix. Trois autres tables rondes suivront samedi et dimanche matin.
Pour connaître le programme : www.rencontresaverroes.com/

Aucun commentaire: