Erdogan menace frontalement les géants pétroliers en Méditerranée orientale

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À l'occasion de la mise en service d'un navire de combat, le président turc a menacé tous les acteurs économiques qui souhaiteraient exploiter le gisement de gaz naturel dans la ZEE chypriote, leur promettant un sort comparable à celui de ses ennemis en Syrie.

Une partie d'échecs bien particulière se déroule au large des côtes chypriotes, en Méditerranée orientale. Ses joueurs viennent des États-Unis, d'Égypte, de Chypre, du Liban, de Turquie, du Qatar, d'Italie, d'Israël et de France. Ils s'appellent Recep Tayyip Erdogan, Nicos Anastasiades, Total, Qatar Petroleum, ENI et ExxonMobil. Tous ont les yeux rivés sur le prix qui reviendra aux vainqueurs: la possibilité d'exploiter un gisement de gaz naturel situé dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote. Son ampleur est encore inconnue, mais il attise toutes les convoitises.

Alors que les géants pétroliers occidentaux se mobilisent pour débuter des forages exploratoires dans la ZEE chypriote, le président turc a profité de la mise en service d'un navire de combat ce dimanche pour menacer frontalement les puissances souhaitant exploiter les ressources du champ de gaz en tenant Ankara à l'écart. Utilisant un vocabulaire tranchant, Erdogan a qualifié les majors pétrolières de «pirates», et a promis aux «forbans» qui défieraient son pays un sort similaire à celui de ses ennemis en Syrie, expliquant que la Turquie «n'abandonnera pas le terrain» aux puissances étrangères. «Nous n'accepterons pas les tentatives d'extraction de ressources naturelles» dans les eaux turques, à Chypre ainsi qu'en Méditerranée orientale, a-t-il renchéri, avant d'ajouter que «ceux qui pensaient qu'ils pourraient s'installer en Méditerranée orientale ou dans la mer Egée en défiant la Turquie commencent seulement à mesurer l'ampleur de l'erreur qu'ils ont commise».
Casse-tête géopolitique

Ces déclarations ne sont que les dernières en date d'une longue liste d'avertissements envoyés par Recep Tayyip Erdogan à ses adversaires. Le conflit autour du gisement de gaz naturel chypriote remonte à sa découverte, en 2011. Depuis, la République de Chypre, au centre de l'attention, a multiplié les contrats d'exploration avec de nombreux géants des hydrocarbures comme le français Total, l'italien ENI et l'américain ExxonMobil, très vite attirés par les perspectives représentées par le gisement. Le gouvernement chypriote espère profiter de cette manne gazière pour financer de nombreux programmes de développement sur l'île, et souhaite que les firmes d'hydrocarbure puissent commencer leurs forages dès que possible.

Cependant, ces ambitions se heurtent à la volonté d'Ankara. La Turquie conteste les contours de la ZEE chypriote et le président Erdogan se pose en défenseur de la «République turque de Chypre du nord» (RTCN), qui occupe la moitié nord de l'île et dont l'existence n'est pas reconnue par la communauté internationale. Selon lui, les Chypriotes turcs doivent avoir une place à la table des négociations et «l'État» devra recevoir une part des ressources générées par l'exploitation du champ de gaz. Une idée balayée du revers de la main par les Chypriotes grecs, qui conditionnent tout partage à une résolution du conflit qui divise l'île depuis plus de 45 ans.

Ces derniers mois, l'affaire a pris de l'ampleur à mesure que les appétits s'aiguisaient et que l'ampleur du champ gazier se précisait. En novembre dernier, le président chypriote, Nicos Anastasiades avait ainsi expliqué au Figaro que la «présence dans notre zone des grandes compagnies internationales» comme Total ou ExxonMobil était la «meilleure réponse» aux «protestations» turques. Il attendait également le soutien de la France, et souhaitait que cette dernière défende la «souveraineté» chypriote face aux agissements d'Ankara.

En février, toutefois, un nouveau palier a été franchi. Au début du mois, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, avait déclaré dans un entretien à Kathimerini qu'Ankara était «prête à prendre toutes les mesures nécessaires» pour défendre les intérêts turcs et chypriotes turcs en Méditerranée orientale. «En tant que copropriétaires de l'île, les Chypriotes turcs ont un droit inaliénable aux ressources naturelles qui l'entourent», avait-il ajouté. Quelques jours plus tard, la Turquie avait profité de la crise politique en Italie pour bloquer un navire affrété par la firme italienne ENI, l'empêchant de rejoindre son lieu de forage dans la zone économique chypriote. Ankara avait alors prétexté des «manœuvres militaires», et le bateau était finalement reparti bredouille face aux bâtiments de guerre turcs.
«Provocations»

Après plusieurs mois d'accalmie, les tensions sont reparties à la hausse cet été. Les autorités chypriotes ont multiplié les rencontres avec les dirigeants des grandes firmes d'hydrocarbure, dont Total, l'été dernier, et ExxonMobil, au début du mois d'octobre. Les différentes sociétés ont exprimé à de nombreuses reprises leur volonté de forer dans la zone, l'américain Exxon parlant même d'un début prévu «à un moment donné au quatrième trimestre» 2018.

Début octobre, le gouvernement chypriote a proposé aux groupes énergétiques de répondre à un appel d'offres pour exploiter un nouveau bloc gazier dans sa ZEE, une invitation qui a suscité l'ire de la Turquie qui revendique la possession de cette zone. Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères avait alors rappelé que «la Turquie n'a jamais autorisé et n'autorisera jamais un pays étranger, une compagnie ou un navire à conduire des recherches non autorisées» sur les ressources naturelles de son territoire.

Les postures guerrières du président turc suscitent l'inquiétude des puissances de la région, dont Israël et l'Egypte: début 2018, le gouvernement égyptien avait déployé des navires autour de sa ZEE et du gigantesque champ gazier Zhor, découvert par ENI en 2015, en réponse aux déclarations turques. La situation, déjà tendue, risque de s'aggraver fortement dans les mois à venir, à mesure que les forages se multiplieront autour de la petite île de Chypre.

Par Wladimar Garcia - Source de l'article Le Figaro

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