Les printemps arabes ont souvent été qualifiés de «révolutions 2.0», célébrant le rôle de Facebook. Comment ce réseau social, qui fête ses dix ans ce lundi, est-il utilisé aujourd’hui dans ces pays ?
A l’éclosion des printemps arabes, les médias occidentaux ont observé, fascinés, le rôle des réseaux sociaux dans ces soulèvements populaires. On parla de «révolution 2.0» voire de «révolution Facebook», soulignant à quel point Internet avait été crucial pour obtenir la chute des régimes dictatoriaux en Tunisie, en Egypte ou encore en Libye.
Avec le recul, de nombreux observateurs pointent l’emballement, à tort, autour de ce phénomène. Oui, Facebook a aidé à mettre en relation et mobiliser des centaines de milliers de personnes d’horizons divers, avides de liberté après des décennies d’oppression. Mais non, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont fait la révolution. «On a survalorisé le rôle de Facebook car les informations nous venaient de là», explique Arnaud Mercier, professeur de l'Université de Lorraine et responsable de l’Observatoire du Web journalisme.
Utilisation accrue
Trois ans plus tard, que reste-t-il de l’usage du réseau dans les pays qui ont mené, avec ou sans succès, leur révolution? Son utilisation ne s’est pas essoufflée, au contraire. Mais désormais, les gouvernements livrent eux aussi bataille sur ce terrain, dont ils ont compris l’intérêt et la puissance. «En Iran, en Libye, en Syrie, au Maroc et en Tunisie, ils se sont organisés et ont investi dans du matériel de cyberflicage. Une véritable armée s’est développée sur Facebook pour mater les opposants», affirme Mounir Bensalah, blogueur marocain et auteur de «Réseaux sociaux et révolutions arabes ?».
C’est particulièrement vrai en Syrie, où le soulèvement populaire a laissé place à une guerre dévastatrice. Grand spécialiste de l’infiltration, le régime de Bachar al-Assad s’est dissimulé sous de faux profils pour espionner ses opposants et diffuser massivement sa propagande. «Beaucoup d’informations orientées, issues de sources officielles, circulent sur les réseaux sociaux, relève Bichara Khader, directeur du Centre d'Etudes et de Recherches sur le Monde Arabe Contemporain, en Belgique. Elles font croire que le régime a remporté une manche, que les opposants sont des terroristes etc». Une offensive que les insurgés peinent à contrer depuis leurs villes dévastées, faute de pouvoir se connecter correctement. «Ce déséquilibre dans l’accès à Internet désavantage l’opposition, qui doit rivaliser d’imagination pour parvenir à envoyer des informations à l’étranger sur ce qui se passe dans le pays», poursuit le chercheur.
En Egypte, Twitter et Facebook sous contrôle renforcé
Les nouvelles autorités égyptiennes, lancées depuis la chute d’ex-président Mohamed Morsi dans une grande campagne de répression contre les Frères musulmans et toute opposition, ont elles aussi assailli Facebook pour traquer leurs adversaires. Jeudi dernier, elles ont encore franchi un cap en déclarant officiellement qu'elles arrêteraient toute personne incitant à la violence, notamment contre la police, sur les réseaux sociaux. Dix personnes ont déjà été arrêtées. «Internet était déjà surveillé, mais là il s’agit d’établir un contrôle étatique direct, et pas seulement via les services de renseignement», explique Stéphane Lacroix, chercheur au Ceri.
De nombreux membres ou sympathisants des Frères musulmans, retombés dans la clandestinité (20.000 sont en prison), font les frais de cette chasse aux sorcières. «Ils sont très présents sur Facebook, qui leur permet avant tout de se compter, de garder le moral et de maintenir une forme de cohésion. Comme c’est risqué, ils donnent leur mot de passe à un ami pour qu’en cas d’arrestation et de procès, leur page puisse être fermée et que son contenu ne puisse être retenu contre eux», raconte le chercheur, qui a déjà vu «environ 10% des pages [qu’il suit] être fermées».
Les opposants tunisiens n’ont pas le même problème. Pour eux, Facebook sert avant tout «d’outil de coordination militante», assure Arnaud Mercier. «Pendant les débats sur l’Assemblée constituante, les laïcs étaient très actifs. C’était le moyen de rester vigilant. Facebook n’a pas fait la Constitution, mais elle a rendu plus facile et aisée la veille et l’appel à la mobilisation».
Malgré la guerre d’informations en ligne, où s’affrontent autorités et opposants, tous rappellent que Facebook ne reste qu’un outil. Et que tout se passe essentiellement sur le terrain, IRL («In Real life»).
Par Faustine Vincent - Source de l'article 20Minutes
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