Je me souviens du jour où, lors d’une conférence en Tunisie, un jeune parlementaire m’a demandé pourquoi il était plus pertinent d’investir dans la fibre optique pour un village reculé sur l’île de Djerba que d’améliorer des services plus fondamentaux comme l’électricité ou l’irrigation.
Il est intéressant de noter que ces deux types d’investissement ne s’excluent pas l’un l’autre, car, la plupart du temps, les projets d’infrastructure conventionnels peuvent proposer la fibre moyennant un coût supplémentaire marginal. Cependant, à l’époque, j’ai répondu qu’investir dans l’infrastructure internet ne devrait pas être considéré uniquement comme une activité économique, mais aussi comme une extension des valeurs du « Printemps arabe ».
Dans l’ensemble du monde arabe, Internet joue un rôle essentiel : il favorise l’inclusion sociale, la responsabilité, les droits de l’homme et la participation citoyenne. Pendant le Printemps arabe, le rôle capital des médias sociaux a fait de la Toile un facilitateur de la démocratie et de la transformation sociale. Cependant, trois ans plus tard, la région est en pleine agitation et la transition politique a des répercussions économiques complexes, dont pâtissent les jeunes en particulier. Aujourd’hui, dans le monde arabe, un jeune sur quatre ne travaille pas, et on dénombre quatre jeunes sans emploi pour un adulte au chômage[1]. Dans cet environnement difficile, il est clair pour les jeunes de la région que la démocratie à laquelle ils aspirent ne pourra devenir une réalité que si, outre la liberté d’expression, ces pays peuvent également parvenir à une solide croissance économique qui offrira des opportunités d’emploi à la jeunesse. La question est de savoir si l’internet, qui a joué un rôle si crucial pendant le Printemps arabe, contribuera autant à répondre à ces nouvelles aspirations.
Environ 30 % de la population des pays arabes a entre 15 et 24 ans. Une génération d’environ 100 millions de jeunes grandit ainsi dans un monde de plus en plus interconnecté et où les technologies de l’information et de la communication évoluent rapidement[2]. Cette jeunesse nombreuse, interactive, férue de technologie et désireuse de profiter de la révolution du savoir qui est en marche dans le monde, cette jeunesse est une chance pour le monde arabe.
D’ici 2020, 50 milliards d’appareils seront reliés à l’internet, faisant des données et des contenus en ligne le pétrole de l’avenir[3]. Mais, dans cette perspective, le monde arabe est-il bien préparé et bien connecté ? Aujourd’hui, moins de 20 % du monde arabe a accès à l’internet haut débit[4]. L’amélioration des performances et l’accessibilité à l’internet haut débit devraient être une priorité des pouvoirs publics. Sans un accès internet d’un coût abordable et de qualité, 100 millions de jeunes seront exclus et ne pourront pas profiter d’une multitude de débouchés et de connaissances échangées. Pourra-t-on encore parler de « printemps » dans ces conditions ?
Malgré la somme des travaux consacrés aux stratégies haut débit par les pays du monde arabe, l’importance d’Internet pour le développement social et économique reste un concept étranger à la plupart des gouvernants. Quelques chiffres aideront peut-être à y voir plus clair.
Chaque jour, on dénombre dans le monde arabe[5] :
- 100 millions de recherches sur Google, soit l’équivalent de 70 000 jours de création et de partage de savoir, si l’on considère que chaque recherche dure un peu moins d’une minute ;
- 36 000 nouveaux utilisateurs qui s’enregistrent sur Facebook, soit plus que le nombre quotidien de naissances dans la région ;
- l’équivalent de 60 jours de vidéos téléchargées sur YouTube, ce qui correspond environ à la durée des contenus diffusés par les principales chaînes de télévision de la région ;
- 10 832 000 tweets, soit plus du triple du contenu de tous les journaux arabes imprimés chaque jour ;
- 37 095 955 utilisateurs Facebook de moins de 30 ans[6], soit plus de quatre fois le nombre total d’étudiants inscrits à l’université.
Aujourd’hui, grâce au pouvoir de la connectivité numérique, les pays de la région MENA ont une occasion historique de faire progresser leurs programmes de développement en direction d’une société de plus en plus jeune. Considérer le développement dans la région sous l’angle de la connectivité peut être vu comme une réponse naturelle aux défis de la transition.
Pourquoi ? Parce que l’amélioration de la connectivité est une nécessité si l’on veut que les jeunes soient en mesure d’innover au niveau local. C’est le fondement de toute économie tournée vers l’avenir. L’accès à l’enseignement à distance, à des cours en ligne, à des sites d’apprentissage des langues, à des blogs éducatifs, à des vidéos pédagogiques, aux médias sociaux, à l’information, au commerce électronique, à des jeux en ligne, à des loisirs, à des réseaux sociaux et à des plateformes de crowdsourcingpeut contribuer à stimuler l’innovation locale et permettre aux jeunes de la région de relever eux-mêmes les défis auxquels ils sont confrontés et de trouver eux-mêmes des solutions.
Ainsi, des établissements d’enseignement de premier plan proposent des cours entiers en ligne. Avec l’internet haut débit, un jeune ingénieur qui développe un prototype de systèmes d’irrigation en Égypte rurale peut accéder à l’équivalent de milliers d’heures de cours en ligne du MIT pour compléter sa formation. Les incubateurs et les villes intelligentes de la région sont devenus de véritables oasis pour l’accès à l’internet haut débit, permettant à des milliers d’entrepreneurs de traduire leurs idées en modèles réalisables. Les plateformes de financement participatif (crowdfunding), telles que Zoomaal, Aflamnah et Eureeca ont permis de lever des millions de dollars pour financer des start-up dans tout le monde arabe. Récemment, Hind Hobeika, 25 ans, a fait beaucoup parler d’elle sur le marché des technologies « mettables ». Cette diplômée de l’université a en effet conçu un petit appareil qui peut se fixer sur n’importe quelle paire de lunettes de natation pour suivre les performances des nageurs. Installée à Beyrouth, Hind Hobeika a réussi à mobiliser 75 000 dollars sur un site Web de crowdfunding américain. Elle a été contactée par plusieurs entreprises de capital-risque et d’investisseurs providentiels locaux. Sa petite entreprise pourrait finir par peser plusieurs millions de dollars.
Le monde arabe doit parler la langue de l’avenir. Les outils de réseautage social non seulement renforcent l’engagement des citoyens dans la région et favorisent l’inclusion sociale, mais ils peuvent également créer de nouvelles opportunités sur le plan de l’emploi, de l’entrepreneuriat et du développement social. L’accès à l’internet haut débit peut accroître les débouchés pour les start-up et les entrepreneurs, qui pourront ainsi atteindre des marchés plus vastes, ainsi que pour les entreprises locales, qui pourront se développer et devenir compétitives à l’échelle mondiale. Il peut jouer un rôle majeur dans la modernisation des secteurs clés pour le développement, tels que l’éducation, la santé et les services publics, car il crée un environnement favorable aux idées innovatrices et à l’expansion de nouveaux modèles économiques.
On voit que la connectivité haut débit est, à l’évidence, un outil stratégique pour l’avenir de la région et sa jeunesse, et qu’elle doit constituer à ce titre une priorité. En renforçant l’accès au haut débit, on peut permettre au monde arabe de devenir un important fournisseur de contenu numérique original, et donc un acteur de premier plan de l’économie numérique de demain. Internet a autonomisé les jeunes pendant le Printemps arabe et il continue de jouer un rôle important aujourd’hui.
[1] OIT, Tendances mondiales de l'emploi des jeunes 2013.
[2] Statistiques de la population issues de Banque mondiale, 2013,http://elibrary.worldbank.org/doi/pdf/10.1596/978-0-8213-9904-0
[4] Broadband Networks in MENA: Accelerating Access to High-Speed Internet, Banque mondiale, 2014.
[5] Ces calculs se fondent sur les statistiques relatives aux médias sociaux communiquées par Discover Digital Arabia, 2013.
[6] Dubai School of Government, Arab Social Media Report 2013.
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