Fathallah Sijilmassi : Je voudrais avant tout préciser que l’UpM est un cadre institutionnel de dialogue et de coopération et d'un processus qui a vocation à évoluer et à se consolider dans le temps. L’objectif global que se sont fixé les 43 États membres de l’UpM et tel qu’inscrit dans la déclaration de Paris de juillet 2008 vise à atteindre une zone de prospérité de paix et de stabilité en Méditerranée qui profiterait à tous les pays de la région. Bien entendu, cet objectif était également inscrit dans les accords de Barcelone de 1995.
L’avancée majeure est que la déclaration de Paris a fait référence pour la première fois aux instruments de coopération régionale, avec un mécanisme de suivi permanent (réunion de hauts fonctionnaires), une structure commune (secrétariat général de Barcelone) et une approche opérationnelle orientée vers la mise en œuvre de projets régionaux dans des domaines prioritaires tels que l’énergie, l’eau, le développement des PME, etc., comme priorités mesurables ayant un impact sur la vie des citoyens.
Je dirai donc que nous sommes dans une continuité renforcée du Processus de Barcelone. Des pays tels que la France et l’Espagne ont joué, aux côtés des autres pays européens méditerranéens, un rôle clé pour donner une nouvelle impulsion opérationnelle au partenariat régional.
Beaucoup d’observateurs estiment que les ambitions affichées par l’UpM au départ ont été tempérées. Partagez-vous ce point de vue ?
Je ne le partage pas, car je constate que les objectifs politiques et globaux sont plus que jamais confirmés. L’ambition est toujours là. Plus d’actualité que jamais. C’est la méthode de travail qui a changé. Les États membres de l’UpM ont résolument choisi d’adopter une approche plus pragmatique et graduelle. Il s’agit d’être ambitieux dans la vision et opérationnel dans la démarche.
L’UpM est venu donner un souffle nouveau au partenariat déjà existant avec pour la première fois la création d’une organisation conjointe qui donne la même voix pour les pays du Sud et les pays du Nord. Ce nouveau partenariat d’égal à égal nous permet en même temps de rester en pleine cohérence avec la politique européenne de voisinage, qui, elle-même, connaît une nouvelle impulsion à la faveur du budget européen 2014-2020.
Le contexte qui a accompagné la création de l’UpM a totalement changé, tant sur le plan économique qu’au niveau politique. Est-ce que l’UpM a suivi cette mutation ? Comment ?
L’adaptation de toute organisation ou structure à vocation multilatérale à son environnement régional et international est fondamentale. L’UpM de 2014 ne peut ressembler à celle d’il y a 6 ans. Elle a franchi une nouvelle étape dans son processus de développement et de consolidation institutionnelle et opérationnelle. D’ailleurs, je tiens à rendre hommage au travail remarquable initié par mon prédécesseur Youssef Amrani en 2011.
L’organisation dispose aujourd’hui d’un secrétariat général opérationnel fort de 65 personnes représentant près de 23 nationalités différentes incluant la présence permanente de hauts responsables détachés de la Commission européenne, de la BEI et de la BERD. Je pense que dans le contexte actuel la meilleure contribution concrète et utile de l’UpM est de soutenir les pays concernés dans l’identification, la mise en œuvre et le financement de projets concrets qui sont prioritaires pour leurs populations.
C’est la raison pour laquelle nous avons adapté nos priorités aux thématiques de la jeunesse, de l’emploi, du développement local, du soutien à la société civile, et du renforcement du rôle des femmes dans la société. Cela se fait naturellement en complément de notre action dans le domaine de l’enseignement supérieur, des infrastructures, de l’eau, de l’environnement, des énergies renouvelables et du transport.
On dit que les pays nordiques de l’Union semblent montrer moins d’engouement pour les projets de l’UpM ? Dans quelle mesure est-ce vrai ? Et comment les impliquer davantage ?
Je dirais que c’est tout le contraire ! Les pays nordiques sont très impliqués dans les projets socio-économiques, en particulier ceux qui soutiennent l’entrepreneuriat féminin. La Suède est également très active dans l’UpM puisqu’elle soutient un de nos projets lancés en 2013 en matière de promotion de l’investissement privé et de la gouvernance de l’eau à travers l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (SIDA).
Nous avons également un partenariat très actif avec la Norvège, qui n’est pourtant ni membre de l’UE ni de l’UpM, avec le soutien de laquelle nous développons de nombreux projets pour la jeunesse et les femmes. Je voudrais aussi ajouter, en réponse à votre question, les relations naturelles et actives que nous avons avec les pays du Golfe également et je veux rendre hommage à l’engagement de ces pays en faveur du développement des pays arabes méditerranéens. Le Maroc est, à cet égard, un bon exemple, compte tenu de sa relation stratégique privilégiée avec les pays du CCG.
Axe central de l’autoroute transmaghrébine, le plan solaire méditerranéen, l'initiative méditerranéenne pour l’emploi… beaucoup de projets sont lancés. Mais qu’en est-il du financement ? N’avez-vous pas des difficultés sur ce plan ?
Nous sommes conscients du contexte international particulièrement difficile sur le plan financier et budgétaire. Mais en même temps, nous avons réussi à lancer et à boucler le financement de plusieurs projets socio-économiques importants durant l’année 2013. Nous avons lancé un projet de «jeunes femmes créateurs d’entreprises», visant à permettre à plus de 10 000 jeunes femmes de bénéficier de formations pour créer leurs propres entreprises.
Je peux citer également le projet «Logimedta» dans le domaine de la logistique en Méditerranée ou encore le projet sur le développement des PPP (partenariats public-privé) dans la gestion et de gouvernance de l’eau ou encore l’Université euro-méditerranéenne de Fès, qui est d’ailleurs l’un des projets les plus emblématiques pour l’UpM et le Maroc. Il faut rappeler que ce projet est né de la volonté de Sa Majesté le Roi Mohammed VI de faire de Fès un centre d’excellence pour l’enseignement supérieur avec un rayonnement euro-méditerranéen et international conforme à la tradition historique de cette ville et du Maroc en général.
S’agissant des projets structurants comme l’autoroute transmaghrébine, nous sommes actuellement dans un stade avancé du projet en étroite concertation avec les pays concernés par la première phase, c’est-à-dire le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Les études de faisabilité sont encourageantes et je reste optimiste sur le lancement du début des travaux prochainement. C’est un projet essentiel. En matière d’Énergie, une conférence ministérielle s’est tenue pour la première fois le 11 décembre dernier à Bruxelles et a permis aux États membres d’échanger et de se concerter sur un secteur stratégique pour l’ensemble des pays. D’ailleurs, à travers le développement du plan solaire marocain, le Maroc se place à l’avant-garde des pays méditerranéens qui investissent dans les énergies renouvelables. Il existe aujourd’hui un vrai champ du possible à développer. De nombreuses institutions financières bilatérales et multilatérales sont prêtes à s’engager financièrement.
Quels sont les projets concrets qui concernent le Maroc et quel rôle joue l’UpM pour appuyer le Royaume dans ce sens ?
Le Royaume a lancé une série de chantiers structurants allant dans le sens du développement économique et de démocratisation. Je voudrais souligner ici que le Maroc est et a toujours été très actif dans l’espace euro-méditerranéen. Ceci est dans la logique naturelle des choses, compte tenu de la forte vocation méditerranéenne du Maroc, qui se trouve actuellement engagé avec l’Union européenne dans deux voies complémentaires, une voie bilatérale : il est le premier pays de la Rive-Sud de la Méditerranée à disposer d’un statut avancé, c’est-à-dire d’un cadre bilatéral renforcé qui prend en considération les avancées considérables réalisées par le Maroc depuis une quinzaine d’années sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et une voie régionale : le Maroc est activement engagé au sein de l’Union pour la Méditerranée, garde une priorité absolue pour la construction du Maghreb, est membre actif du processus sous-régional du 5+5 sans oublier bien entendu sa très dynamique politique arabe et africaine.
La participation du Maroc dans l’Union pour la Méditerranée s’inscrit dans la continuité de son engagement historique et son ancrage stratégique dans cet espace. Enfin, et au-delà des projets et initiatives dans lesquels le Maroc est fortement impliqué, l’UPM, en réunissant trois continents, l’Europe, l’Afrique et l’Asie, revêt une importance stratégique sur les plans politique, sécuritaire, économique et humain. Elle représente ainsi un carrefour où interagissent plusieurs sous-régions et groupes régionaux tels que la Ligue arabe, l’UMA, les pays de l’Accord d’Agadir, le Dialogue 5+5, les pays du Dialogue méditerranéen de l’OTAN, etc. Elle incarne des groupes d’intérêts communs et des «réalités géopolitiques» diverses qui viennent accompagner la vocation maghrébine prioritaire du Maroc.
Face à l’élargissement de l’espace stratégique méditerranéen vers le Sud, la stabilité politique et économique dont bénéficie le Maroc, additionnée à sa forte implication dans les processus, les initiatives et les projets régionaux, lui permet de jouer un rôle clé au sein de la zone euro-méditerranéenne et de conforter son ancrage atlantique et africain. Cet enchaînement Méditerranée-Afrique-Atlantique montre d’une part le prolongement naturel de la Méditerranée (occidentale et orientale) à l’Afrique (et la zone sahélo-saharienne), créant un espace de partenariat et de coopération qui va au-delà du bassin méditerranéen et dans lequel le Maroc joue un rôle stratégique. La visite qu’effectue actuellement Sa Majesté le Roi en Afrique confirme l’importance de cet axe stratégique majeur.
Le troisième Forum des entrepreneurs maghrébins s’est tenu à Marrakech les 17 et 18 février. Que fait concrètement l’UpM pour soutenir des initiatives et projets d’intégration sous-régionale ?
Le Maghreb est aujourd’hui, plus que jamais, un impératif tant pour des raisons de sécurité et de stabilité, mais également pour des raisons de potentiel économique et de compétitivité. En tant que marocain, maghrébin et méditerranéen, je continuerai à me mobiliser pour que l’UpM continue et contribue au renforcement de la coopération régionale au Maghreb.
Les actions du secrétariat général de Barcelone auprès des différents gouvernements et autres acteurs de la région ainsi que celles que nous développons dans le cadre du 5+5 en sont une bonne illustration. Ceci, me semble-t-il, est naturellement complémentaire avec les actions engagées partout en Méditerranée en faveur du développement. À cet égard, je suis très heureux que la troisième édition du forum des entrepreneurs maghrébins ait pu se tenir au Maroc et à Marrakech les 17 et 18 février. Dès la première heure, l’UpM s’est montrée active et intéressée à soutenir ce Forum dont on est le partenaire institutionnel.
Les différends entre plusieurs pays membres de l’Union – notamment au sujet du conflit arabo-israélien – empêchent la concrétisation de plusieurs projets et partenariats. Comment comptez-vous surmonter cet obstacle ?
Les obstacles liés au processus de paix au Proche-Orient se posaient déjà par le passé dans le cadre des accords de Barcelone, ce n’est pas une nouveauté. La nouveauté est que nous croyons à l’approche projets à géométrie variable, car elle porte un message clair : travaillons ensemble dans un cadre partenarial d’égal à égal avec les pays qui le souhaitent dans les domaines qu’ils préfèrent. Et nous agissons, avec un feu vert politique, dans le cadre de projets à caractère socio-économique. Nous sommes par définition un espace de dialogue et de coopération régionale pour tous les 43 pays de l’UpM. Dans le respect des priorités politiques des pays membres, l’UpM est une contribution essentielle à la promotion de la paix et la stabilité dans la région.
Par Abdelwahed Rmiche & Brahim Mokhliss - Source de l'article Le Matin
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