Codéveloppement - Agriculture et agroalimentaire : les enjeux méditerranéens

Il n'y a pas d'avenir sans codéveloppement car la situation dans la zone méditerranéenne est préoccupante même s'il existe beaucoup d'espoir », constate Jean-Louis Rastoin, professeur émérite à Montpellier SupAgro et directeur de la chaire Unesco « Alimentations du monde ». 

Abdelkader Taïeb Ezzraïmi, un chef d'entreprise algérien et le professeur Jean-Louis Rastoin (à d.) ont pu échanger et répondre aux questions de Sébastien Abis administrateur au CIHEAM (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes).
Abdelkader Taïeb Ezzraïmi, un chef d'entreprise algérien et le professeur
Jean-Louis Rastoin (à d.) ont pu échanger et répondre aux questions
de Sébastien Abis administrateur au CIHEAM (Centre international
de hautes études agronomiques méditerranéenn
es).
La sous-alimentation, la malnutrition par carence, les maladies liées à l'alimentation, la très forte dépendance externe, des modèles de production mal adaptés, le peu de prise en compte de la biosphère, des ressources humaines rarement adaptées, des infrastructures insuffisantes et des investissements matériels et immatériels insuffisants sont autant de problèmes listés par Jean- Louis Rastoin.

Des propos confirmés par Abdelkader Taïeb Ezzraïmi, PDG du groupe algérien SIM évoquant les cultures céréalières : « l'irrigation s'impose pour la culture des céréales afin de sécuriser la production. Nous ne devons plus compter sur la pluviométrie. Il faut augmenter les superficies pour le blé tendre et introduire des variétés mieux adaptées. Les programmes de coopération doivent tenir compte des programmes nationaux mis en place par les pays ».

Karim Daoud, vice-président du Syndicat des agriculteurs de Tunisie et président du groupement des éleveurs de la race tarentaise dresse un bilan similaire : « dans notre pays, il y a une absence de stratégie. La filière viande rouge est par exemple très peu et très mal développée. Il y a une mise à l'écart des races rustiques qui auraient pourtant été intéressantes, vu les ressources et le climat. Les marchés aux bestiaux ne sont pas structurés, les abattoirs sont plutôt des tueries et il y a une absence de formation à tous les niveaux. Le codéveloppement ne peut se faire qu'avec une politique clairement affichée. Les axes de développement doivent être plus approfondis et les actions doivent s'inscrire dans la durée, au moins sur dix ans. On doit arrêter de faire du saupoudrage ».

Marché agricole et alimentaire maghrébin

La filière céréales représente près de 50 % des terres arables au Maghreb. Mais si la production a fortement augmenté depuis trente ans (la consommation est très importante, 250 kg/ habitant/an au Maroc, par exemple), les pays ne sont pas autosuffisants. Ainsi 120 millions de tonnes de céréales sont consommées chaque année en Afrique du Nord et au Moyen-Orient alors que seulement 50 millions sont produites. Il en résulte des importations massives (environ 10 milliards de dollars par an).

Au problème de l'instabilité des rendements qui restent au-dessous de 15 q/ha vient s'ajouter une gouvernance publique forte. Les prix sont fixés à tous les maillons de la filière et finissent par grever lourdement les budgets publics. Cette économie administrée entrave la performance des entreprises.

Pour ce qui est de l'élevage, les situations sont plus contrastées. Certains pays comme l'Algérie limitent le développement des filières lait et viandes approvisionnées localement. En revanche, le Maroc, la Tunisie et la Turquie ont stimulé la production nationale par des droits de douane prohibitifs. La filière viande reste composée d'une multitude d'intermédiaires, ce qui entraîne une dilution de la valeur ajoutée. Le secteur de l'abattage est notamment sous-équipé et répond rarement aux standards sanitaires.

Si des difficultés existent, les bonnes volontés et les idées ne manquent pas. Ainsi, Jezia Lahmar Rachid, PDG d'Imenrobb SA en Tunisie, a choisi de valoriser la production de dattes. Son entreprise produit du café de dattes à partir des noyaux du fruit emblématique du sud tunisien, du miel de datte (sirop extrait à froid) et de la pâte à tartiner de dattes. Elle a donc réussi à réhabiliter un produit du terroir.

Les différents intervenants ont émis quelques pistes pour mieux produire ensemble, des deux côtés de la Méditerranée : créer un marché commun agricole et alimentaire maghrébin en partenariat avec l'UE, lancer un programme régional de redéploiement de la diète méditerranéenne, développer des filières territorialisées durables associant céréales, légumineuses, plantes fourragères et élevage par jumelages entre régions européennes et maghrébines, améliorer les connaissances des filières et marchés, renouveler les modèles de production agricoles, renforcer les organisations professionnelles, réaliser des co-investissements en matière de logistique, de R & D et de formation.

Vers un label méditerranéen ?

L'idée fait son chemin, mais ne fait pas pour autant l'unanimité. Certains défendent les spécificités des produits composant la diète méditerranéenne reconnue en 2010 comme patrimoine immatériel de l'humanité par l'Unesco.

Khadija Bendriss, chef de la division de la labellisation au ministère marocain de l'Agriculture et de la Pêche maritime avance : « le rapprochement réglementaire et les visions stratégiques de plusieurs pays du bassin méditerranéen en faveur de la reconnaissance des indications géographiques, via un cadre légal et réglementaire, pourraient permettre de concilier les efforts pour promouvoir les produits de terroir méditerranéen à travers un dispositif commun ».

Christian Teulade, président du syndicat des AOP olive de Nîmes et huile d'olive de Nîmes, ne partage pas tout à fait cet avis : « je suis perplexe. Nous avons déjà de nombreux instruments qui devraient être utilisés avec plus de rigueur. Un label méditerranéen pourrait complexifier les choses pour le consommateur».

Aujourd'hui, il y a 1 190 d'indications géographiques enregistrées dans les pays de l'UE dont 75 % issues des pays méditerranéens.

Source de l'article la Marne agricole

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