La privatisation, remède aux maux économiques de l’Égypte

En 1991, l’Égypte s’est engagée dans un programme de réforme économique et d’ajustement structurel (ERSAP) pour sortir de l’impasse économique. En proie à des difficultés financières, le pays avait dû rééchelonner sa dette publique à deux reprises, en 1987 puis 1991. 

Cairo Street

La mise en œuvre de l’ERSAP a peu avancé jusqu’en 2003, date à laquelle le gouvernement a promu une plus grande libéralisation de l’économie, avec l’adoption d’un taux de change flottant et d’une série de mesures visant à faire passer le pays de l’économie planifiée à l’économie de marché.

Si ces réformes ont porté leurs fruits, elles n’ont pas été suivies d’un aggiornamento politique. Par ailleurs, le pouvoir en place n’a jamais défendu de manière convaincante le choix de la libéralisation économique : hier comme aujourd’hui, le discours dominant est de nature nationaliste et veut apaiser les courants islamistes. En conséquence, le programme de libéralisation de l’économie a été vivement critiqué, taxé de corruption et soupçonné de servir les intérêts des grands groupes.

La privatisation était un élément clé de l’ERSAP. À ce titre, 382 entreprises d’État ont fait l’objet d’une privatisation partielle ou totale. En 2009, la cession des actifs publics avait rapporté à l’État 57,4 milliards de livres égyptiennes (soit près de 9,4 milliards de dollars). Le rythme du programme de privatisation a suivi celui du processus de réforme général: lent entre 1991 et 2004/05, avec environ 15 sociétés privatisées par an, il s’est accéléré entre 2004 et 2006, parallèlement aux grandes réformes économiques, et a donné lieu pendant cette période à la privatisation de 77 entreprises, soit environ 25 par an.

La performance de ces entreprises privatisées a varié selon le degré de désengagement de l’État, selon qu’il était partiel ou total. Les privatisations totales se sont accompagnées d’un redressement des entreprises et d’un accroissement de leur rentabilité. Elles ont en outre été suivies d’une augmentation des dépenses d’investissement et d’une amélioration de l’exploitation. L’emploi a cependant baissé dans les trois quarts des entreprises concernées.

En revanche, au niveau des entreprises partiellement privatisées, les performances ne se sont guère améliorées, précisément parce qu’une cession partielle n’entraînait pas de remaniement dans la gestion de l’entreprise. Les bons résultats des entreprises privatisées ont constitué une réussite majeure du processus. L’objectif principal de l’ERSAP visait en effet le passage à une économie de marché, ce qui supposait le démantèlement d’entreprises d’État inopérantes, une meilleure soutenabilité des comptes publics et l’amélioration de la performance économique globale.
Après la révolution de 2011, le président Mohamed Morsi (destitué depuis) a annoncé la suspension du programme de privatisation. Le programme avait été à l’origine de nombreuses grèves et avait attisé la colère de l’opinion contre les politiques de libéralisation. Depuis la révolution, près de 40 procédures judiciaires ont été intentées pour annuler la privatisation de certaines entreprises. La plupart des procédures sont toujours en cours, mais dans certains dossiers, les tribunaux se sont prononcés en faveur du retour des sociétés dans le giron de l’État. Certains investisseurs se tournent désormais vers des instances internationales d’arbitrage afin d’obtenir réparation au regard des pertes occasionnées.

Dans le cadre de ces recours en annulation, les principaux motifs invoqués étaient le faible prix de vente et les pratiques de corruption. Certes, certaines entreprises ont été sous-valorisées, mais elles l’ont été en grande partie à la suite des interventions conduites par l’État sous la pression de l’opinion publique. Dans le cas emblématique du grand magasin Omer Effendi, le bien avait été initialement évalué à un milliard de livres égyptiennes ; cependant, les pouvoirs publics ont insisté pour que le repreneur conserve tous les actifs (notamment immobiliers, en raison de leur valeur historique) et les employés, ce qui a eu pour conséquence de diviser par deux la valeur marchande de l’entreprise. Le cas Omer Effendi de même que l’essentiel du programme de privatisation ont été perçus comme une vaste entreprise de corruption, et ce en dépit des résultats positifs obtenus. Le programme a été même décrit par diverses formations politiques comme contraire aux « intérêts de la nation ».

Les déboires de la privatisation en Égypte en disent long sur l’état de l’opinion publique en matière de libéralisation économique en général. Le régime en place et le gouvernement intérimaire ont adopté des mesures populistes afin de contenir la colère du pays. Les autorités se sont notamment prononcées en faveur d’une fixation des prix et de l’instauration de salaires minimum et maximum, en dépit de l’incidence négative de ces mesures sur l’économie. Subissant la pression de la rue et la dégradation de l’environnement économique, les dirigeants égyptiens se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins, tiraillés entre les doléances populaires et la poursuite de réformes économiques de fond mais douloureuses.

Les difficultés que connaît l’économie égyptienne ne se dissiperont pas d’elles-mêmes. Si les réformes nécessaires ne sont pas adoptées, les nouvelles orientations économiques connaîtront le même sort que le programme de privatisation. Cependant, de cette période récente ressort un enseignement majeur. Pour qu’une réforme réussisse, il faut l’expliquer de telle manière qu’une large partie de la population la comprenne et y accorde son soutien.

Par Karim Badr El-Din - Source de l'article Blog de la Banque Mondiale

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