Dans le cadre du forum Connect qui réunit à Marrakech compagnies aériennes et aéroports européens, les ministres marocains ont rappelé le rôle des différents acteurs dans le cadre de l'objectif 2020 qui vise vingt millions de visiteurs pour le royaume. Ici, pas (ou peu) de langue de bois, les propos sont clairs et fermes et, pour certaines situations, pourraient être transposés dans le contexte du transport aérien français.
"Qu'est-ce qu'on gagne en protégeant la compagnie nationale Royal Air Maroc ?" s'interroge Najib Boulif, ministre des Transports. "Il y a un calcul entre la micro-économie, celle du transporteur, et la macro, celle des intérêts du pays."
Imaginons de tels propos dans la bouche de Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État aux Transports, sur l'avenir d'Air France. On a vu les hurlements récents lorsque ce dernier a accueilli la direction de la low cost easyJet - la deuxième compagnie en France - au ministère pour la concrétisation d'une commande d'Airbus.
Restructuration lourde
Au Maroc, la concurrence aérienne s'est libérée depuis la création d'un ciel ouvert en 2008 entre le Maroc et l'Europe. Avant l'open sky, des négociations longues et complexes des droits de trafic étaient nécessaires entre les services diplomatiques des États qui protégeaient alors leurs compagnies nationales, ce qui permettait même de verrouiller les tarifs des billets des différents opérateurs. Aujourd'hui, les prix sont libres et les compagnies low cost ont porté de 3 à 11 millions le nombre de sièges annuels sur le Maroc.
Royal Air Maroc, qui a des coûts d'opération en moyen-courrier trop élevés (comme à Air France), a dû se restructurer, sans devenir réellement compétitive sur les destinations loisirs, et elle a perdu 30 points de parts de marché. Une restructuration lourde est intervenue en 2011 avec la réduction de l'effectif de moitié, la sortie de dix avions de la flotte et l'arrêt des lignes déficitaires, notamment celles vers les provinces françaises. Le retour à l'équilibre est intervenu en 2012 et un peu moins de 8 millions d'euros de résultat d'exploitation ont été dégagés l'an dernier. Mais, comme à Air France, le long-courrier, notamment ici vers l'Afrique subsaharienne, compense les pertes des destinations en concurrence frontale avec les low cost.
Casablanca protégé
"Avec l'open sky, tout n'est pas ouvert, il reste des portes et des fenêtres", prévient le ministre en exposant les limitations en cours. Ainsi, les compagnies étrangères, si elles n'ont aucun problème pour ouvrir des lignes vers les aéroports du Maroc - elles y sont même incitées financièrement -, trouvent une fin de non-recevoir pour desservir Casablanca, le hub de Royal Air Maroc (RAM). En France, Orly et, dans une moindre mesure, Roissy-CDG sont également protégés par l'attribution au compte-gouttes de slots d'atterrissage, ce qui protège la compagnie nationale et son réseau. Antoine Pussiau, P-DG de Transavia, la filiale low cost d'Air France-KLM, aimerait bien desservir Casablanca, mais il n'a pas reçu le feu vert des Marocains, malgré la signature à Marrakech d'une convention de développement de la destination avec Abderrafia Zouitene, directeur général de l'Office national marocain du tourisme. L'espagnole Vueling et la britannique EasyJet fulminent depuis que leurs dessertes historiques de Casablanca ont été fermées et portent l'affaire en justice.
Le Boeing 787 Dreamliner prévu à la fin de l'année
Le développement de la RAM passe par celui de son réseau vers l'Afrique, en correspondance avec les vols arrivant à Casablanca depuis l'Europe. Un passager sur deux est ainsi en connexion. La desserte de N'Djamena et du Nigeria vient d'être ajoutée. "Nous avons la deuxième offre vers l'Afrique de l'Ouest, derrière Paris et devant Londres", souligne Habiba Laklalech, directrice générale adjointe finances de Royal Air Maroc. RAM, qui dessert São Paulo depuis le mois d'octobre, veut trouver un nouveau souffle long-courrier avec l'arrivée du Boeing 787-9, la version longue du Dreamliner. Le premier appareil desservira en décembre New York et Montréal, les suivants permettront d'ouvrir de nouvelles routes, notamment vers Pékin, pour répondre à la forte demande des hommes d'affaires chinois en Afrique. "Nous avons quand même des projets en moyen-courrier avec la livraison d'Embraer 190, des modules de cent sièges qui vont nous permettre d'ouvrir de nouvelles destinations moyen-courriers à faible trafic", indique la dirigeante de la RAM.
Un "open sky" du continent africain reste souhaité. Le projet marocain qui associe transporteurs et hôteliers pour qu'il y ait une adéquation entre les deux secteurs prévoit, à terme, un développement des destinations africaines et la création de compagnies régionales, sous l'autorité d'un décideur unique, probablement marocain. Une compagnie panafricaine a aussi été évoquée lors du colloque Connect. "Cette compagnie doit atteindre la taille critique de quinze appareils. On ne doit pas se limiter à des accords bilatéraux à quatre ou cinq avions", demande Zouhair Mohamed El Aoufir, aujourd'hui CEO de l'Office national des aéroports marocains et qui a été patron de feu Air Sénégal International qui associait la RAM et l'État sénégalais.
Pour satisfaire une nouvelle clientèle, notamment allemande et espagnole, qui représente 60 % des arrivées sur le royaume et leur offrir des vols à partir de leurs aéroports nationaux, la création d'une compagnie low cost marocaine, privée, basée à Marrakech et à Agadir, est à l'étude. Le modèle choisi serait celui des compagnies turques, telles que Pegasus Airlines, très efficace. Atlas Blue, low cost hybride à moitié charter, filiale de la RAM, avait été une expérience malheureuse, balayée par la crise en 2008. Selon une étude réalisée par le département du Tourisme, il faut augmenter le nombre de dessertes sur plusieurs destinations et passer de 600 à 1 800 à courte échéance.
Par Thierry Vigoureux - Source de l'article Le Point
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