De l’euphorie suscitée par les révolutions populaires à la tragédie des conflits actuels, les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) continuent de faire la une de l’actualité.
Or, un autre drame se joue dans les pays riches comme dans les pays pauvres, sous des formes parfois différentes et qui ne reçoit pas toujours l’attention qu’il mérite. De quoi s’agit-il ? De la dégradation continue de l’état de santé général des habitants, attestée par la publication de statistiques inquiétantes et aggravée par le sous-financement des systèmes publics de santé, dont les services pèchent par la qualité comme par la quantité.
Les pays MENA ne consacrent que 8 % en moyenne de leurs budgets nationaux à la santé, contre 17 % dans les pays de l’OCDE. Cette faiblesse des dépenses publiques oblige les particuliers à assumer l’essentiel du coût des soins. D’où ce choix cornélien pour les ménages, surtout les plus démunis : faut-il rogner sur la santé ou sur d’autres postes essentiels, comme la nourriture ou l’éducation ?
La région paie aujourd’hui au prix fort la négligence des autorités en matière de santé publique, sachant que, faute d’action concertée, un renchérissement encore plus sensible est inéluctable. L’obésité prend les proportions d’une quasi-épidémie dans les pays MENA, dont certains frôlent les records mondiaux. En Égypte, une femme sur deux et un homme sur cinq sont obèses, ce qui lui vaut de figurer parmi les 20 pays du monde les plus touchés par cette maladie.Avec un taux d’obésité féminine de 55 %, le Koweït arrive en deuxième position de ce triste palmarès mondial. Et toujours parmi le top 20 des pays connaissant la plus forte obésité chez les femmes, les Émirats arabes unis (EAU, 42 %), Bahreïn (38 %) et la Jordanie (38 %). La situation n’est guère plus réjouissante du côté de l’obésité masculine, avec quatre pays MENA dans les 20 premiers rangs : le Koweït, avec un taux de 30 %, les EAU (25 %), l’Arabie saoudite (23 %) et Bahreïn (21 %).
L’obésité est étroitement corrélée à des maladies chroniques (diabète, hypertension artérielleet toutes sortes de pathologies cardiaques). Les maladies du cœur sont d’ailleurs la première cause de mortalité et de handicap dans les pays arabes, devant l’hypertension (et ce, depuis 20 ans).
Dans le même temps, les enfants de la région sont souvent victimes de dénutrition/malnutrition et présentent des retards de croissance. Parmi les Égyptiens de moins de 5 ans, 30 % sont trop petits pour leur âge et 20 % sont obèses. Les chiffres mettent aussi en évidence de profonds écarts géographiques : en milieu urbain, environ 35 % de ce groupe d’âge connaissent un retard de croissance, contre 52 % en milieu rural.Au Yémen, la malnutrition et les retards de croissance ont atteint la cote d’alerte : près de 60 % des enfants ne grandissent pas normalement et les décès prématurés liés à la malnutrition sont en hausse. La dénutrition infantile pèse également lourd en Iraq, en Libye, au Maroc ou en Syrie.
Chez les enfants, la dénutrition représente un risque vital mais elle a aussi des effets délétères durables, notamment sur le développement cognitif. Les résultats scolaires, la productivité et le niveau de vie une fois adultes risquent d’en pâtir. En outre, un enfant dénutri a de fortes chances de prendre du poids en vieillissant, ce qui accroît la probabilité de contracter un diabète ou une maladie cardiaque.
Chez les jeunes, et notamment les jeunes hommes, les accidents de la circulation constituent actuellement la principale cause de mortalité.En un an, 35 900 jeunes hommes ont succombé à un traumatisme routier (2010).Alors que la route reste la troisième cause de mortalité dans le monde arabe, tous groupes d’âge confondus (en 2010, 73 500 personnes ont perdu la vie à la suite d’un accident de la circulation), les jeunes paient un tribut disproportionné. La route menace aussi l’avenir de ces pays, en décimant les plus jeunes : en 2010, 3 950 enfants de moins d’un an y ont perdu la vie.
Première cause d’affection chez les femmes des pays MENA, la dépression fait des ravages, surtout parmi les 15-49 ans. La région détient d’ailleurs un record mondial pour la prévalence de la dépression féminine. Si le phénomène n’épargne pas non plus les hommes de ces pays, plus déprimés qu’ailleurs, l’écart en pourcentage entre les deux sexes y est plus important que dans le reste du monde — à l’exception notable de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Face à l’ampleur de ces défis sanitaires, les gouvernements devraient privilégier les actions préventives. Or il n’en est rien. Les mesures de prévention seraient pourtant source, à terme, d’incroyables économies. Et surtout, elles permettraient d’améliorer l’état de santé des populations à qui l’on épargnerait ainsi de futures souffrances. Plusieurs facteurs jouant sur la santé ne dépendent pas forcément de ce seul secteur : c’est le cas de l’éducation, de l’assainissement, des routes ou de l’environnement. Des politiques intersectorielles s’attaquant aux comportements à risque pourraient aussi favoriser une prise en charge préventive.
Le monde arabe a tous les atouts pour réussir la prévention : une population instruite, des médias relativement bien développés et des relais vitaux pour des campagnes d’information du grand public efficaces. Les taux de scolarisation étant élevés, des interventions ciblées dans les écoles sur la sécurité routière, l’alimentation et la nutrition, etc., pourraient avoir une réelle influence. Le problème se situe donc plus au niveau du leadership, indispensable pour définir une vision et des stratégies qui sous-tendront l’action publique en faveur d’une amélioration de la santé publique.
Face à la faiblesse des dépenses publiques de santé, les ménages des pays à revenu intermédiaire sont contraints de couvrir eux-mêmes pratiquement 40 % des soins. Dans les pays à faible revenu, cette proportion atteint 55 %. Or, beaucoup n’ont pas les moyens d’assumer ces coûts et choisissent donc, soit de renoncer à un traitement indispensable, soit de mettre en péril un équilibre financier déjà précaire.
En ne finançant pas suffisamment la santé publique, les pays MENA fragilisent l’accès aux soins et leur qualité. Pour les patients de la région, cela se traduit par d’interminables files d’attente, l’absentéisme du personnel, le manque d’intimité et de confidentialité et des dessous-de-table. Le niveau de satisfaction vis-à-vis des services actuels est très faible. Cette Égyptienne est désabusée : « L’hôpital public, c’est là où vous perdez la vie… l’hôpital privé, c’est là où vous perdez votre argent ».
Pour prendre cette situation à bras le corps, il faut développer des systèmes de santééquitables et redevables. Le nouveau rapport de la Banque mondiale sur la santé, Équité et redevabilité : s’engager en faveur des systèmes de santé en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, définit quelques-étapes à suivre pour y parvenir, dont la région, qui se trouve à un tournant critique de son histoire, ferait bien de s’inspirer.
Les profonds changements à l’œuvre offrent une opportunité unique pour instaurer plus d’équité et de redevabilité.
L’Équité renvoie à la suppression des disparités systématiques, grâce à la prévention et la prise en charge ; à la juste répartition des coûts en fonction de l’aptitude à payer des patients ; et à une réponse plus juste aux besoins, aux droits et aux attentes des personnes voulant se faire soigner. Pour parvenir à cette équité, les gouvernements doivent : a) mettre en place des mécanismes correctement ciblés en faveur des groupes vulnérables (par exemple, en intensifiant les efforts pour lutter contre les maladies liées à la pauvreté, en supprimant les obstacles à la santé maternelle et infantile et en organisant des campagnes de sécurité routière en direction des jeunes, pour faire baisser le nombre de victimes) ; b) réduire le poids des dépenses qui restent à la charge du patient, surtout pour les plus vulnérables, et élargir la couverture médicale ; et c) créer des systèmes réactifs, par le biais de la formation, de la réglementation et de la prise en compte des remarques des usagers.
La Redevabilité recouvre à la fois la responsabilité et la reddition de comptes. Autrement dit, l’obligation de garantir des services de prise en charge médicale prodigués en temps utile, efficaces, sans danger, sensibles à l’aspect du coût et orientés sur le patient. Pour parvenir à cette redevabilité, les gouvernements doivent : a) surveiller les prestations de santé grâce à des systèmes automatiques de suivi en temps réel qui permettent d’identifier les lacunes et les points faibles ; b) opérer un suivi des dépenses de santé pour garantir l’efficience et endiguer le gaspillage et la corruption ; c) fournir des informations transparentes aux malades, leur indiquant clairement les dépenses prises en charge, et les sensibiliser à leurs droits par une « Déclaration des droits des patients » ; d) promouvoir les enquêtes d’évaluation par la population pour permettre la remontée d’informations ; e) surveiller les données relatives à la sécurité des patients, pour améliorer la qualité en envoyant des alertes (notamment sur les effets indésirables de certains traitements) ; et f) faire savoir aux prestataires qu’ils seront tenus comptables de leurs actions tout en les incitant à améliorer la qualité des soins (en introduisant par exemple un système de remboursement en fonction de certaines normes de qualité et des résultats obtenus).
La multiplicité des défis étouffe-t-elle tout espoir de réforme ? Certainement pas. Les pays arabes y parviendront, comme d’autres avant eux. Investir dans la santé, c’est investir dans le capital humain, d’abord et avant tout celui des enfants, des jeunes gens et des femmes — en bref, dans les générations futures — pour leur permettre de mener une vie productive le plus longtemps possible et en bonne santé. L’enjeu dépasse le simple droit à la santé : il s’agit d’assurer l’avenir du monde arabe en reconnaissant que cet investissement est le plus judicieux qu’il soit.
Le temps presse…
Par Amina Samlali - Source de l'article Banque Mondiale
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