Abdelkader Amara : "En matière d'énergie nucléaire, le Maroc n'a pas de projet à court terme, mais l'option reste ouverte"

L'Usine Nouvelle a rencontré Abdelkader Amara, ministre de l'Energie du Maroc, à l'occasion de son passage à Paris début février. 
Il dresse un état des lieux de la prospection pétrolière dans son pays et présente les solutions que le Maroc met en place, en renouvelables notamment, pour subvenir à ses besoins énergétiques qu'il importe aujourd'hui à plus de 95%. Il détaille également la politique du Maroc en matière d'énergie nucléaire et notamment le projet d'une Agence de sûreté nucléaire.
L'Usine Nouvelle : Comment définir la politique énergétique au Maroc?
Abdelkader Amara : Nous disposons d'une feuille de route pragmatique, réaliste et précise. Elle comprend plusieurs axes. Le mix énergétique de notre pays comporte des énergies fossiles importées que l'on cherche à optimiser sur le marché international comme le charbon qui est assez compétitif. Nous utilisons aussi le fuel parce qu'il nous laisse une certaine souplesse dans la gestion des pics électriques. Nous montons en charge pour le gaz naturel que le Maroc utilise peu. Dans ce mix énergétique nous voulons introduire aussi massivement les énergies renouvelables : éolien, solaire et hydroélectrique.

Concernant les ressources en hydrocarbures du Maroc, les explorations nous montrent qu'il y a des probabilités de trouver notamment du gaz. Nous avons déjà quelques millions de mètres cubes dans la zone du Gharb [au nord-ouest du pays NDLR].Si nous arrivons à passer de quelques millions à quelques milliards de mètres cubes, ce sera à la fois un exploit et un encouragement pour les sociétés exploratrices d'aller de l'avant.
Vous fondez des espoirs sur une possible production nationale d'hydrocarbures, quasi inexistantes aujourd'hui, grâce aux forages d'exploration qui vont doubler cette année pour atteindre une vingtaine. Comment attirez vous les pétroliers?
Nous avons amendé le code des hydrocarbures. Il offre un partage de la production très favorable aux compagnies pétrolières avec 75% leur revenant alors que nous nous contentons de 25%. Cela fait dire à certains industriels qu'au Maroc un baril de pétrole équivaut à 7 barils dans d'autres pays que je ne citerai pas. C'est attirant et alléchant. Sans ce cadre incitatif de choc les compagnies ne viendraient pas. J'ajoute qu'en matière d'exploration, certaines couches géologiques au Maroc s'apparentent notamment à celles du Golfe du Mexique. Cela veut dire qu'il y a de réelles chances de découvertes, notamment en offshore.  

Comment est financée la prospection pétrolière?
L'effort de recherche et d'exploration qui nécessite des financements est supporté par les compagnies. L'Etat ne peut pas se permettre d'investir dans ces domaines hautement capitalistiques et risqués. Toutes les phases de reconnaissance, d'exploration et d'exploitation sont cadrées par notre code des hydrocarbures. Généralement les phases de reconnaissance sont faites par des indépendants. Les majors ne rentrent en jeu qu'après. Tout ce que vous pourrez voir sur mon bureau sont des accords évolutifs. Même après avoir signé un accord, une firme connue à l'international peut être amenée à changer son tour de table en vendant des parts à un major. BP a ainsi racheté des parts à Kosmos Energy.

La presse marocaine a parlé récemment de projet de coopération avec la France dans le domaine de l'énergie nucléaire. Qu'en est-il vraiment? 
Les discussions entre le Maroc et la France sur ce sujet ont toujours existé. Le Maroc, vous le savez, a caressé l'idée d'entrer dans le domaine électronucléaire. Mais comme ministre je n'ai sur mon bureau aucun projet sur ce sujet. Ce dont nous disposons jusqu'à maintenant c'est un réacteur de 2 MW près de Rabat pour préparer les qualifications humaines et technologiques et répondre à des besoins en matière de radiologie de santé ou d'agriculture.

Un réacteur nucléaire commercial est-il envisageable pour le Maroc ?
Un projet électronucléaire peut prendre une quinzaine d'années. Mais nous ne sommes pas du tout dans cette logique. Pour clarifier les choses, l'option reste toujours ouverte mais aujourd'hui, je vous assure que je n'ai aucune décision en vue sur ce sujet-là. Tout ce que nous avons fait jusqu'à maintenant se rapporte au CNESTEN [Centre national de l'énergie, des sciences et des techniques nucléaires NDLR] de Rabat, qui exploite ce réacteur de recherche de 2 MW. Cela nous permet de répondre à des besoins médicaux radiologiques et de santé comme je vous l'ai dit.

Par ailleurs, nous sommes en train de travailler sur le cadre législatif. Sous peu, un texte portant sur une future Agence de sûreté nucléaire va être débattu au parlement. Ce sont les prérequis nécessaires. Pour l'instant, nous en sommes au stade de la réflexion et des échanges avec l'AIEA [Agence internationale de l'énergie atomique]. Un décision lourde comme celle de se doter d'un réacteur nucléaire commercial ne se prend pas du jour au lendemain. On ne construit pas une centrale nucléaire comme une centrale à charbon!
Quel état des lieux peut-on faire des énergies renouvelables au Maroc ?
Le Maroc s'est focalisé sur l'hydroélectricité, l'éolien et le solaire. Notre pays a une tradition de barrages datant de l'époque du roi Hassan II. Nous avons une capacité installée d'environ 1300 mégawatts. Nous aimerions atteindre 2000 mégawatts. Pour y arriver, nous misons notamment sur les STEP [Station de transfert d’énergie par pompage NDLR]. Elles nous permettraient de stocker de l'énergie éolienne ou solaire.

D'ailleurs, sous peu, nous approcherons grâce à la STEP d'Abdelmoumen dans le sud [région d’Agadir NDLR] ces 2 000 mégawatts. De plus, l'Etat ouvre ce secteur au privé. Récemment [le 24 décembre NDLR], j'ai donné une concession dans le bassin de Oum Er-Rbia pour un investissement de 1,2 milliards de dirhams (environ 107 millions d'euros NDLR] au groupe américain Brookstone Partners. Il va produire de l'électricité et aussi construire des barrages. [trois barrages et stations hydroélectriques dans la province de Beni-Mellal seront construits par Platinum Power, filiale de Brookstone partners  pour une capacité annoncée de 36 mégawatts NDLR].
Et concernant l'éolien et le solaire sur lesquels le Maroc mise beaucoup?
En matière d'éolien, le coût a beaucoup baissé. Selon les spécialistes, nous serions déjà au même niveau de coût de production que les énergies fossiles. Nous avons des parcs publics avec l'ONEE et des parcs privés à Tarfaya et Essaouira par exemple.

Dans le solaire, nous avons un grand projet de 2 000 MW dispatché sur 5 sites. Celui d'Ouarzazate (Noor NDLR) avec 160 MW en CSP [Concentrated solar power NDLR] en travaux prévoit un stockage de 3 heures pour mieux gérer les heures de pointe. Des montages financiers astucieux avec des prêts concessionnels garantis par l'Etat nous permettent de tirer le coût vers le bas. Nous sommes en train de mener les projets Noor II et Noor III. Sous peu, nous allons avoir Noor IV. Nous aurons une station de 500 MW avec différentes technologies pour produire de l'électricité et en tester certaines.
Comment avez vous orienté votre action depuis votre arrivée au ministère de l'énergie en octobre dans ce domaine ?
Depuis que je suis à la tête de ce département, j'ai lancé une étude sur l'ouverture de la moyenne tension aux sources d'énergie renouvelable qui profiterait au photovoltaïque dont le coût a lui aussi beaucoup baissé. La moyenne tension va être un plus pour les producteurs d'électricité. La basse tension permettrait de s'ouvrir sur le photovoltaïque résidentiel pour les particuliers. Nous développons cette filière industrielle avec de la recherche grâce à des organismes comme l'Iresen [?Institut de Recherche en Energie Solaire et Energies Nouvelles NDLR] et l'Aderee [L’Agence Nationale pour le Développement des Energies Renouvelables et de l'Efficacité Energétique NDLR]. Nous visons une intégration industrielle avec les différents maillons de la chaine. C'est très important pour notre pays. On devrait s'acheminer à l'horizon 2020 vers 42% de notre capacité électrique provenant d'énergies renouvelables.

Cet objectif de 42% en 2020 est vraiment atteignable ?
C'est un pari audacieux. Mais nous restons pragmatiques. Notre pays importe 96% de ses besoins énergétiques. En année pluvieuse, ce taux peut descendre à 93% grâce à la production hydro-électrique mais toujours est-il que nous sommes au-delà de 90% avec une facture énergétique très élevée aux alentours de 100 milliards de dirhams [8,9 milliards d'euros NDLR]. A l'éolien ou au solaire, s'ajoute la possibilité d'utiliser de la biomasse, la géothermie etc…

Quels sont les enjeux en matière de compétences dans l'énergie?
Au Maroc, nous avons une main d'œuvre qualifiée et bon marché. C'est ce que notre pays montre dans l'aéronautique, l'automobile ou l'électronique. Dans les énergies renouvelables, notre objectif est d'arriver à faire partie des pays pourvoyeurs de cette technologie. Grâce à l'Iresen, l'Aderee et aussi Masen [Agence marocaine de l'énergie solaire NDLR] nous disposons d'un socle scientifique et technologique. Il nous faudrait mieux structurer ce marché afin de donner de la visibilité aux entreprises marocaines. Il y a déjà dans ce sens des accords de coentreprise signés avec de grands groupes étrangers au Maroc qui incluent un transfert de technologie. Nous nous devons d'avoir les ressources humaines nécessaires. C'est une prise de conscience à amplifier au niveau notamment des universités qui  doivent être en phase avec les défis marocains.

Enfin, le groupe Winxo (ex-Compagnie marocaine des hydrocarbures) vient d'annoncer le projet de construction d'un grand terminal pétrolier au sud de Casablanca. Que pensez-vous de ce projet et cela ne risque-t-il pas de concurrencer le futur port méditerranéen Nador West Med tourné aussi vers les hydrocarbures ?
Je leur souhaite bonne chance! C'est un projet important. Ça veut dire que les dirigeants de cette société ont confiance dans le climat des affaires de leur pays. Les investissements d'aujourd'hui sont les gains de demain. Ce secteur de la logistique des hydrocarbures est un marché compétitif qui se structure. Il est clair que nous avons une demande croissante en butane et que nous importons du gazole. Je pense que cet investissement a sa place. En ce qui concerne Nador, nous ne sommes pas dans un projet de la même envergure [il sera plus grand ndlr].

Par Nasser Djama - Source de l'article Usine Nouvelle

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