Monsieur le Président du Conseil,
Vous avez choisi pour votre première visite officielle hors de votre pays de venir dans le mien; le privilégiant ainsi à Bruxelles et Berlin, vous rompez avec la tradition de vos prédécesseurs. Et vous démontrez votre originalité politique, le souffle nouveau que vous insufflez en politique.
Vantant votre talent et votre tempérament de gagneur, on vous crédite d'une volonté rénovatrice entendant refonder votre famille politique et revitaliser la politique italienne. C'est l'écho au nord de la Méditerranée de ce à quoi s'applique sa rive sud comme transfiguration du politique.
Soyez donc le bienvenu en ce pays dont le peuple voue pour le vôtre une tendre amitié. Savez-vous que la cote d'amour de l'Italie en notre pays est encore plus grande que celle pour l'ancien protectorat? Elle est le fait des masses humbles, non seulement des élites et des classes éduquées; et elle grandit dans les rangs des jeunes. Ceux-ci usent bien plus couramment de l'italien que du français, regardent souvent votre télévision et apprécient plutôt vos produits ainsi qu'ils adorent vos talentueuses équipes de football.
Assurément, vous savez à quel point les liens entre nos deux pays sont étroits, à l'image de nos frontières si proches, si unies, géographiquement, sociologiquement et culturellement, même si elles sont aujourd'hui désunies idéologiquement. Or, c'est à tort qu'elles le sont encore. En cela, vos prédécesseurs n'ont fait que plier devant les diktats d'une Europe autiste. Aussi, permette que je salue votre ambition de faire force de volonté pour amener votre pays à regarder enfin vers notre mer commune et votre détermination à recentrer la politique de votre pays sur la Méditerranée, en faire l'élément central de la diplomatie de Rome.
Monsieur le Président du Conseil,
Votre pays et tout le continent européen sont à la veille d'élections cruciales, et on s'attend à une flambée xénophobe qui sera aussi europhobe dans certains pays; dans le vôtre, cette défiance sera probablement très virulente. Car l'Italien, citoyen méditerranéen, sait mieux que quiconque que sa destinée est d'abord méditerranéenne et que la politique européenne, y compris migratoire, y est suicidaire.
Vous êtes juriste, spécialiste en marketing net vous ne vous laissez pas avoir par le marketing des droites extrêmes ni ne cédez au marketing électoral détournant l'attention des problèmes réels vers le bouc émissaire d'un immigré fictif. Car vous savez bien qu'il n'y a plus d'immigrés depuis longtemps; il n'y a que des expatriés, des gens qui bougent. Si en Europe, on agite encore l'épouvantail immigré, celui-ci n'existe que dans la tête de ceux qui l'agitent. S'il y a des clandestins, c'est pour cause d'absence de la possibilité de circulation légale sans restrictions ni affronts. Aujourd'hui, la marque de notre époque est la circumnavigation; il n'y a que des voyageurs, commerçants d'hier, puisque dans le vocable commerce, il y a toutes les variétés d'échanges, y compris amoureux.
Vous êtes maire de la capitale de la belle région de Toscane, et vous connaissez mieux que quiconque l'importance du commerce et des échanges marchands, les commerçants du popolo ayant été à l'origine de l'essor de Florence, en faisant le berceau de la Renaissance. C'est ce qui ne se fait plus en Méditerranée avec la fermeture des frontières qui, de plus, ne combat pas la clandestinité, mais la crée. Elle retient ceux qui sont chez vous, les empêchant de partir sans pouvoir empêcher ceux qui sont chez nous de partir vers vous. Peut-on résister à telle forme d'amour?
Ils n'iraient pas en Italie s'ils ne l'aimaient pas ceux qui meurent entre nos frontières, victimes chaque jour de l'holocauste moderne dénoncé par une voix de justesse de vos compatriotes, maire de Lampedusa ! Ce faisant, ils ne cherchent pas nécessairement à s'y installer; ils ne font que survivre à leur façon; c'est leur manière de défendre leur droit au travail, ce même droit dont vous entendez faire la cause majeure de votre parti.
Certes, le monde — et plus particulièrement l'Europe — est en crise; celle-ci vient du fait que l'on continue à vivre sur des schémas d'un monde fini et qu'on refuse de prendre les réformes nécessaires. Et ce non seulement sur le plan interne des États, mais aussi des rapports internationaux dans ce lac commun en un monde devenu un immeuble planétaire. Or, si l'on osait se libérer du mythe de l'immigration, on verrait que la crise est juste dans les têtes, un monstre commode pour ne rien tenter, non seulement par paresse intellectuelle, mais aussi par égoïsme et conformisme.
Monsieur le Président du Conseil,
La Tunisie et déjà un partenaire privilégié pour l'Italie; mais c'est aussi tout le Maghreb devenant démocratique qui le sera encore plus, commel'a été et le redeviendra la Libye; et grâce aux rapports étroits tuniso-libyens, cela peut reprendre dès aujourd'hui. Or, les rapportséconomiques et humains tuniso-italiens seront encore plus étroits et plus fructueux dans un espace démocratique de liberté.
Il ne sert à rien de donner des crédits à la Tunisie espérant le développement d'emplois stabilisant la population en place; le monde est à la circulation, la circumnavigation. La meilleure façon de créer des emplois, de permettre le maintien des populations dans leurs patries, c'est de leur permettre de voyager, de créer et d'innover. C'est même le b.a.-ba de la doctrine libérale.
Les dimensions de la Tunisie font que ses besoins sont insignifiants par rapport aux moyens de ses partenaires. Que sont les besoins de la Tunisie? Une bagatelle par rapport à la capacité financière et d'investissement de ses partenaires qui ont bien plus à y gagner en termes de stabilité et de viralité démocratique. Que représentela communauté tunisienne en Europe et quel est le poids des problèmes qu'elle pose ? Pratiquement rien; ce qui autorise de tenter avec cette communauté qui a prouvé sa maturité politique unecourageuse politique de frontières ouvertes. C'est donner, du même coup, la meilleure garantie à la stabilisation à la démocratie naissante en Tunisie.
Monsieur le Président du Conseil,
Au Moyen Âge, votre ville était arrivée à imposer sa monnaie à l'Europe. Osez aujourd'hui initier avec la Tunisie une nouvelle politique migratoire enfin sensée et elle finira par s'imposer à l'Europe comme ce fut avec le florin. La libre circulation rationalisée dans un espace de démocratie ne fera pas que vider votre pays de ses clandestins, initiant un essor certain aux projets entre les deux rives de la Méditerranée. Car ce sont toujours les hommes les meilleurs créateurs des richesses; autant ils bougeront et circuleront librement, autant les richesses augmenteront, les profits aussi. C'est ce qui a fait le succès de votre ville dû pour l'essentiel à ses hommes, commerçants, marchands, changeurs et banquiers.
Alors, osez innover, prenez des risques et plaidez une nouvelle donne en notre lac commun. Pariez sur la Tunisie, son modèle et l'intelligence de son peuple et proposez la création avec lui d'un espace de démocratie commençant par une libre circulation humaine sous visa biométrique, respectueux des réquisits sécuritaires, en préalable à une future adhésion tunisienne à l'Europe. Car la Tunisie et tout le nord de l'Afrique font partie de l'Europe; déjà Hegel l'assurait et cela ne suscitait hier aucun doute; mais aujourd'hui, on rompt avec l'intelligence et on cède à la facilité. Celle-ci ne serait qu'ineptie si elle n'était criminogène.
Oui, M. Renzi, démontrez par les actes que vous ne vous ferez pas dicter votre ligne de conduite par Bruxelles, y compris en matière de gestion migratoire. Vous avez bien démontré l'exception italienne qui ose dénoncer l'Europe faite de virgules et de pourcentages. Osez donc lui dire aussi que la Méditerranée ne peut se réduire à des drames humains quotidiens bafouant ses valeurs et son humanité; votre contribution ne sera pas seulement nécessaire, mais aussi salutaire. Car si l'Europe n'existe pas sans l'Italie, elle n'existera plus sans Méditerranée paisible. Or, la politique migratoire insensée continuant, l'Europe est en train d'installer durablement la guerre et l'insécurité à ses portes; les ferments de la haine et de l'ignominie sont déjà là, et ils sont pour l'essentiel de son fait.
Un espace de démocratie avec une circulation enfin reconnue aux humains, au même titre qu'aux marchandises, donnera un coup de fouet à l'économie au sud comme au nord de la Méditerranée et rendra sa compétitivité aux entreprises italiennes, aidant à sortir nos pays du marasme économique qu'il connaît. En Tunisie, l'Italie conquerra alors d'autres secteurs que ses habituels domaines d'activité dans l'alimentaire et le vestimentaire. Et quelle longueur d'avance elle aura ainsi sur la concurrence,sans parler du prestige dont profiterontimmanquablementles cinquante-cinq mille entreprises italiennes présentes en Tunisie !Ainsi, le spectre actuel de la viabilité des entreprises italiennes présentes dans notre pays ne sera que du passé grâce aux retombées assuréessur l'économie et le commerce de la libre circulation humaine rationalisée telle que j'y appelle.
Monsieur Renzi,
Lemondea changé et continue de changer. Il ne suffit plus à l'Italie d'offrir des crédits à la Tunisie pour soutenir ses petites et moyennes entreprises. Il faut rompre avec la politique d'autisme européenne. Osez l'édification d'un espace méditerranéen de démocratie et vous forcerez l'Europe marchant sur la tête à changer sa folle politique de gribouille. Car le salut de l'Europe est au sud, le sien propre, mais aussi celui qui commence avec la Tunisie, une démocratie qui ne se stabilisera que grâce à une Europe revitalisant une Méditerranée transformée en cimetière.
Comme vous avez eu la lucidité et le courage de faire le diagnostic du mal rongeant votre famille politique, permettez que je vous paraphrase en disant qu'une certaine Europe a vécu, qu'il est temps d'opérer des coups francs dans les dogmatismes de sa politique migratoire, faute de quoi l'Europe et l'Occident ne seront plus fréquentables.
Hier, j'ai demandé à Madame l'ambassadrice de l'Europe en Tunisie au nom du peuple tunisien ce qui s'assimile à une assistance à démocratie en péril. Ce fut en vain. Elle ne semble pas avoir votre détermination à ancrer votre pays dans son milieu naturel, l'espace méditerranéen. La vôtre est légitime et est à saluer; faut-il que cet espace ne soit pas un ersatz de l'imposture que fut l'Union pour la Méditerranée,ne devant pas être centré sur des politiques purement économiques et sécuritaires.
De méchantes langues disent que vous seriez plus enclin à la formule qu'à l'action, aux slogans qu'aux idées. Prouvez en Tunisie qu'il n'en est rien et proposez le New Deal du siècle 21;votre nom sera celui du politique organique, le politique compréhensif, premier politique européen postmoderne.
Dès votre arrivée au pouvoir, vous avez commencé à réformer votre pays; on dit que vous affectionnez de surprendre pour vous imposer. Usez de la même stratégie, surprenez les cénacles européens endormis dans leur monde fini, osez la libre circulation sous visa biométrique et défendez l'adhésion de la Tunisie en Europe. Alors, vous ne serez pas l'étoile filante dans le ciel politique de votre pays, mais le politique soleil d'Occident le réconciliant avec ses sources lumineuses d'Orient !
Monsieur Renzi,
Vous connaissez parfaitement bien la démocratie chrétienne; on vous dit même très croyant; vous savez donc mieux que quiconque que la religion chrétienne n'a pas toujours été compatible avec la démocratie. Comment pourrait-il en être autrement pour l'islam qui a été bien plus libéral que la tradition judéo-chrétienne et que reprend aujourd'hui l'intégrisme soi-disant musulman?
Vous revendiquez courageusement une banalité affichée, et vous avez raison, car le roi clandestin de la postmodernité est l'homme sans qualité. On compte sur vous pour ouvrier une troisième voie en Occident; étendez donc votre talent à la Méditerranée en y initiant les Européens à la foidans la solidarité véritable en une Méditerranée revenue à sa vocation initiale, celle d'un lac de paix, une mer vraiment commune. Soyez l'exemple politique du Christ en Méditerranée; faites qu'à force de foi dans la démocratie et l'altérité, l'on marche enfin en sûreté sur les eaux de la Méditerranée!
Et bon séjour en votre nouvelle terre de mission pour l'épiphanie d'une nouvelle Méditerranée, Monsieur Renzi; osez y être le paraclet politique postmoderne !
Par Farhat Othman - Source de l'article Leaders
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