Sommet Afrique-Europe d’Abidjan: l’économiste Jean-Louis Guigou plaide pour un «new deal»

Sommet Afrique-Europe d’Abidjan: l’économiste Jean-Louis Guigou plaide pour un «new deal»

Est-ce l’effet Donald Trump? Toujours est-il qu'il n’y a pas eu d’engagement collectif pour l’Afrique lors du G20 de Hambourg, en Allemagne. 
Par conséquent, beaucoup d’espoirs se reportent à présent sur le sommet Afrique-Europe, prévu en novembre prochain à Abidjan, en Côte d’Ivoire. L’Ipemed, l’Institut de prospective économique sur la Méditerranée, sera l’un des partenaires de ce sommet. Son président, l’économiste français Jean-Louis Guigou, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.


RFI : A l’horizon du prochain sommet Afrique-Europe de novembre 2017 à Abidjan, vous appelez de vos vœux un new deal entre les deux continents. Mais concrètement, quels outils proposez-vous de mettre en place ?

Jean-Louis Guigou : D’abord pourquoi un new deal ? C’est parce que s’offre à l’Allemagne, à la France et à l’Europe et à la Commission européenne la perspective de préparer le sommet Afrique-Europe à la fin du mois de novembre à Abidjan avec 27 chefs d’Etat européns et 40 chefs d'Etat Africains. C’est le moment où le nouveau couple, avec un nouveau président français de 39 ans avec une nouvelle chancelière ou un nouveau chancelier plein d’énergie, va dire "allez on y va". Alors quels sont les outils ? Il y a trois outils importants pour coopérer. Le premier, c’est un traité politique et économique qui consiste à dire "il faut passer du commerce à la redistribution de l’appareil de production".

Qu’on peut appeler la coproduction ?

Oui, la coproduction. La deuxième chose, c’est une banque intercontinentale pour assurer la sécurité des investissements et la mobilité des capitaux. Ce ne sont pas des délocalisations. La délocalisation, c’est un départ, là c’est la redistribution avec des pays voisins de niveaux de développement différents, avec partenariats et transferts de technologies. Et il y a enrichissement et création de valeurs au nord et au sud. Et puis la troisième chose, c'est mettre en place une fondation et si à Abidjan il y avait ces trois outils décidés, croyez-moi que ça changerait.

Une banque intercontinentale, une banque paritaire, mais concrètement qu’est-ce que cela voudrait dire pour les capitaux ?

Ça veut dire à l’heure actuelle qu'avec les contrôles de change, la sécurisation n’est pas du tout assurée pour les capitaux. Les banques et les assurances assurent le risque économique, assurent le risque technique mais vous avez aussi les risques politiques. D’ailleurs, les chefs d’entreprise disent qu'aller en Afrique, aller en Algérie, aller au Nigeria, ils ne savent pas s'il va y avoir des nationalisations, ils ne savent pas s'il va y avoir des changements radicaux, des règlements etc. Donc, il y a trop de risque politique et personne ne le prend. Or ça, ça peut s’assurer, ça doit se faire.

Alors toutes ces idées, elles ont déjà été lancées sous le quinquennat François Hollande par Hubert Védrine, par Lionel Zinsou, par le Club Africa France, qu’est-ce-que vous voulez faire de plus ?

Ce rapport Védrine avait le mérite de montrer qu’entre la France et l’Afrique, il y avait eu un déclin des parts de marché et qu'il fallait revenir sur le terrain etc. De mon point de vue, c’est une bonne chose, mais maintenant cette perspective France-Afrique ou Afrique-France, c’est la même chose, ce n’est plus la bonne dimension. La France avec 80 millions d'habitants... Entrer en relation avec l’Afrique, 1,2 milliard d’individus, la France n’est pas au bon niveau, c’est l’Europe qui est au bon niveau. Et c’est l’Europe qui doit s’engager sur l’ensemble de l’Afrique. Et la deuxième chose que le rapport Védrine, de mon point de vue, a négligé relativement, c’est qu'il ne parlait que de France-Afrique et d'Afrique Subsaharienne. Il a shunté la Méditerranée et les pays arabes. Or, nous nous disons, c’est Europe-Méditerranée-Afrique et ce qui me rend très optimiste, c’est que le président Macron dit : « Je veux construire ce grand espace, France-Europe-Méditerranée-Afrique. Et c’est toute la chaine qui va du nord de l’Europe jusqu’à la pointe de l’Afrique du Sud qui doit être une grande zone d’intégration, une grande alliance. »

C’est ce que le candidat Macron disait à son discours de Marseille du 1er avril dernier ?

Exactement. Le discours de Marseille est fondateur. Il disait « les routes de la liberté et de la responsabilité qui vont de la Méditerranée jusqu’à l’Afrique, mais en partant de l’Europe ». Donc c’est très saint-simonien, parce que sur une route le riche et le pauvre empruntent la même voie de communication. Ce qu’il y a de bien dans les chemins de fer, c'est que même si vous êtes en première classe ou en seconde classe, tout le monde part à la même heure et arrive à la même heure, et donc la route est un lieu d’échange à l’intérieur duquel les riches, les pauvres, les différentes religions sont en mesure d’échanger. Même si vous avez à l’heure actuelle le chaos, même si vous avez à l’heure actuelle toutes ces guerres de religions, ce sont des épiphénomènes qui vont passer à l’échelle de 10, 15, 20 ans, ça sera éradiqué. Nous avons trop d’intérêt à progresser ensemble.

Ce que vous disent les diplomates du quai d’Orsay, c’est que vous êtes un utopiste et que les Africains, disent-ils, ne nous font pas une déclaration d’amour.

Mais c’est un peu le garçon et la fille qui veulent se fiancer, quel est le premier qui va faire la déclaration d’amour et qui va dire à l’autre « je t’aime » ? Entre l’Europe et l’Afrique à cause de la colonisation, nous avons mauvaise conscience et les Chinois en ont profité, ils sont venus. Les Chinois sont efficaces, les Chinois sont rapides et les chefs d’Etat africains aiment ça. Les Chinois ont des projets, ils ont les financements, mais les Chinois ne sont pas aimés. Mes amis africains me disent : « On les supporte, on travaille avec eux, mais on ne les aime pas ». Et donc arrive ce désir d’amour. Je pense que le sommet Afrique-Europe, ça doit être le grand moment des retrouvailles. Et ce que les Allemands veulent faire en Afrique, c’est développer des activités et ce qu'ils vont faire, c’est vendre des services. Ils vont contribuer à l’industrialisation de l’Afrique et toucher la rémunération de leurs brevets ou de leur assistance technique. Si les Français restent dans la conquête des parts de marché, alors ils se plantent complètement par rapport aux Allemands qui disent : « mais non, ce n’est pas le commerce qui compte, c’est de coproduire ». Et si on fait une alliance économique et politique, alors nous pouvons redevenir le centre du monde, vraiment le centre du monde, c’est ça l’arrimage entre nos deux continents.

Par Christophe Boisbouvier - Source de l'article RFI

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