La France a élu, le 7 mai 2017, Emmanuel Macron nouveau président de la République qui connait parfaitement l’Algérie. Je pense fermement que certaines tensions entre l’Algérie et la France ne sont que passagères.
Il ne s’agit nullement d’occulter la mémoire indispensable pour consolider des relations durables entre les deux pays, mais plutôt de préparer ensemble l’avenir avec un respect mutuel et un co-partenariat équitable.
Il faut être conscient que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d’État, mais sur des réseaux et des organisations décentralisés à travers l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération, le dialogue des cultures, la tolérance et la symbiose des apports entre l’Orient et l’Occident. Car il est dangereux de s’enfermer dans un ghetto qui enfanterait inéluctablement la violence. Les derniers évènements devraient encore mieux nous faire réfléchir en évitant cette confrontation des religions, car autant l’islam, le christianisme ou le judaïsme ont contribué fortement à l’épanouissement des civilisations et à la tolérance en condamnant toute forme d’extrémisme. Les relations futures entre la France et l’Algérie doivent également concerner l’espace Europe-Maghreb et plus globalement l’espace euro-méditerranéen.
Les deux pays peuvent être des vecteurs dynamisants. Généralement, l’Europe du Sud et le Maghreb ne sauraient échapper à cette adaptation aux mutations mondiales (la crise actuelle devant entraîner de profonds bouleversements à la fois géostratégiques et socio-économiques) et plus encore toute la région méditerranéenne. Car il y a lieu de dépasser les nationalismes chauvinistes étroits dans la mesure où le véritable patriotisme à l’avenir se définira comme la capacité d’accroître ensemble le niveau de vie de nos populations par notre contribution à la valeur ajoutée mondiale. Le monde actuel est caractérisé par l’interdépendance. Cela ne signifie pas la fin du rôle de l’État, mais une séparation du politique et de l’économique qui ne saurait subir les aléas de la conjoncture, l’État se consacrant à sa mission naturelle de régulateur macro-économique et macro-social. Je pense fermement après analyse que l’intensification de la coopération entre l’Algérie et la France – sans pour autant oublier les USA, les pays émergents notamment la Chine, le Japon, l’Inde, le Brésil, la Turquie, la Corée du Sud, la Russie, etc., et d’une manière plus globale entre l’Europe et le Maghreb, fondée sur un véritable co-développement, le partenariat –, l’introduction de l’investissement direct permettrait de bouleverser les comportements bureaucratiques rentiers conservateurs et les inscrire dans une perspective dynamique profitable aux populations de la région afin de faire du bassin méditerranéen un lieu de paix et de prospérité.
C’est que l’espace méditerranéen peut être ce cadre de création de réseaux rationnels permettant de communiquer avec des cultures lointaines en favorisant la symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident. Ce réseau doit favoriser les liens de communication, la liberté, dans la mesure où les excès du volontarisme collectif inhibent tout esprit de créativité. C’est que le Maghreb et l’Europe sont deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d’ouverture sur la latinité et le monde arabe avec des liens naturels et dans son ensemble porte de culture et d’influences anglo-saxonnes. Il est indispensable que l’Europe développe toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l’intérieur de cet ensemble. En fait, la constitution d’espaces régionaux économiques faibles est une étape d’adaptation structurelle au sein de l’économie mondialisée avec pour objectif de favoriser la démocratie politique, une économie de marché concurrentielle humanisée, les débats contradictoires d’idées par des actions sociales et culturelles pour combattre l’extrémisme et le racisme, la mise en œuvre d’affaires communes sans oublier que les entreprises sont mues par la seule logique du profit. Ainsi, il y a lieu d’accorder une attention particulière à l’action éducative, car l’homme pensant et créateur devra être à l’avenir le bénéficiaire et l’acteur principal du processus de développement. C’est pourquoi je préconise la création d’une université euro-maghrébine ainsi qu’un centre culturel de la jeunesse méditerranéenne comme moyen de fécondation réciproque des cultures pour la concrétisation du dialogue soutenu afin d’éviter les préjugés et les conflits source de tensions inutiles ainsi que d’une banque centrale euro-méditerranéenne pour favoriser les échanges. L’Algérie et la France peuvent aider à la création de ces structures dynamisantes.
C’est dans ce contexte que doit être appréhendée une approche réaliste du co-partenariat entre l’Algérie et la France, en tenant compte de la quatrième révolution économique mondiale. Au niveau mondial, nous assistons à l’évolution d’une accumulation passée se fondant sur une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d’accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances, des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d’araignée à travers le monde, avec des chaînes mondiales segmentées de production où l’investissement, en avantages comparatifs, se réalise au sein de sous-segments de ces chaînes. Comme le note justement mon ami Jean-Louis Guigou, président de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen, à Paris), il faut faire comprendre que, dans l’intérêt tant des Français que des Algériens, et plus globalement des Maghrébins et des Européens ainsi que de toutes les populations sud-méditerranéennes, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain, doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l’Algérie, et à l’est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie, passant par une paix durable au Moyen-Orient, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique.
Plus précisément, économiquement, l’Algérie et la France présentent l’une et l’autre des atouts et des potentialités pour la promotion d’activités diverses et cette expérience peut être un exemple de ce partenariat global devenant l’axe privilégié du rééquilibrage du sud de l’Europe par l’amplification et le resserrement des liens et des échanges sous différentes formes. Pour le bilan officiel du commerce extérieur de l’Algérie de 2016, les pays de l’Union européenne sont toujours les principaux partenaires de l’Algérie, avec respectivement 47,47% des importations et 57,95% des exportations. À l’intérieur de cette région économique, on peut relever que le principal client est l’Italie qui absorbe plus de 16,55% des ventes à l’étranger, suivie par l’Espagne de 12,33% et la France de 11,05%. Pour les principaux fournisseurs, la France occupe le premier rang des pays de l’UE avec 10,15%, suivie par l’Italie et l’Espagne avec respectivement 9,93% et 7,69% du total des importations. Durant les deux premiers mois de 2017, l’Italie a été notre principal client avec une part de 17,73% des ventes algériennes à l’étranger, suivie par l’Espagne avec 15,14% et la France avec 12,63%. La Chine qui représente notre principal fournisseur durant les deux mois de l’année 2017 a expédié 20,21% de nos importations, suivie par la France avec 8,17% et l’Italie avec 6,88%, la France restant le premier investisseur hors hydrocarbures. Les échanges entre l’Algérie et la France peuvent être intensifiés dans tous les domaines : agriculture, industrie, services, tourisme, éducation, sans oublier la coopération dans le domaine militaire où l’Algérie peut être un acteur actif, comme le montrent ses efforts en vue de la stabilisation de la région. Par ailleurs, n’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne en France, qui dépasseraient les 4 millions, dont 2 millions de binationaux. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.
La mondialisation est un bienfait pour l’humanité, à condition d’intégrer les rapports sociaux etde ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale. Au moment des tensions géostratégiques au niveau de la région avec notamment le terrorisme, la consolidation des grands ensembles, enjeux de la mondialisation, le rapprochement entre les deux pays est nécessaire pour une intensification de la coopération entre la France et l’Algérie via l’Europe, à la mesure du poids de l’histoire qui les lie. Mais les étrangers ne feront pas les réformes à notre place. L’Algérie sera ce que les Algériennes et les Algériens voudront qu’elle soit supposant que les réformes structurelles indispensables se fassent si elle veut éviter sa marginalisation et le retour au FMI entre 2018 et 2019. L’Algérie peut surmonter les difficultés actuelles et être un acteur actif au sein de la région méditerranéenne et africaine. Il faut éviter toute vision de sinistrose vis-à-vis de l’Algérie. La situation est différente de celle de 1986 : une dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars et des réserves de change de 109 milliards de dollars au 1er février 2017 qui offrent un répit de trois années. Pourtant, la réussite du partenariat industriel national et international n’est pas réalisable sans une gouvernance centrale et locale rénovée et une vision cohérente basée sur des réformes structurelles tant politiques, sociales qu’économiques, avec le marché financier, le marché du foncier, celui du travail et surtout la réforme du système socio-éducatif pilier de tout processus de développement, à l’aube de la quatrième révolution technologique. Les tactiques doivent s’insérer au sein de la fonction/objectif stratégique qui est de maximiser le bien-être social de tous les Algériens.
L’objectif pour l’Algérie est d’engager des réformes structurelles supposant un large front social interne de mobilisation, tolérant les différentes sensibilités, face aux nombreux nouveaux défis qui attendent notre pays afin de le hisser comme pays émergent, à moyen et long terme. Pour cela, la dominance de la démarche bureaucratique devra faire place à la démarche opérationnelle économique, avec des impacts économiques et sociaux positifs à terme. En résumé, l’intensification de la coopération ne sera possible – sans oublier le devoir de mémoire – que si l’Algérie et la France ont une approche réaliste du co-partenariat, un partenariat gagnant-gagnant loin du mercantilisme et de l’esprit de domination, devant avoir une vision commune de leur devenir. L’Algérie et la France sont des acteurs incontournables pour la stabilité de la région, et que toute déstabilisation de l’Algérie aurait des répercussions géostratégiques négatives sur l’ensemble de la région méditerranéenne et africaine, comme je l’ai souligné avec force dans mon interview donnée le 28 décembre 2016 aux États-Unis, à l’American Herald Tribune. Et bien entendu, sous réserve que l’Algérie approfondisse l’État de droit, la démocratisation de la société et qu’elle réoriente sa politique économique afin de réaliser un développement durable. Les tensions actuelles entre l’Algérie et la France ne sont que passagères, selon les informations que j’ai recueillies auprès d’importantes personnalités de l’Hexagone. Il s’agit d’entreprendre ensemble dans le cadre du respect mutuel. C’est dans ce cadre que doit rentrer un partenariat gagnant-gagnant entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.
Par Abderrahmane Mebtoul -Expert International) - Source de l'Article Les Afriques
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