Combien sont-ils à périr chaque année en tentant de franchir la Méditerranée pour entrer dans l’Union européenne, cet eldorado de prospérité et de paix ? Le naufrage qui a eu lieu jeudi au large de la petite île italienne de Lampedusa et coûté la vie à plus de 300 immigrants n’est que le dernier d’une longue litanie de drames qui ne concerne pas que l’Italie, loin de là.
Ainsi, le 31 juillet, 24 étrangers mouraient noyés au large des côtes turques ; le 16 décembre 2012, 21 Afghans périssaient au large de Lesbos ; en novembre, 90 Africains au large de l’Espagne ; ou encore, le 2 juin 2011, plus de 200 personnes au large de la Tunisie... L’Organisation internationale pour les migrations estime le nombre décès en Méditerranée à 1700 en 2012 et 2000 en 2011. Des morts tragiques qui, à chaque fois, valent à l’Union des accusations d’incompétence voire d’indifférence.
« Attention à la vague émotionnelle », met en garde la Commission : « on sait tous que personne n’a les moyens d’éviter ce type de tragédie ». « Franchir une frontière maritime est infiniment plus dangereux que franchir une frontière terrestre », souligne Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions d’immigration : « c’est d’ailleurs pour cela que les îles comme la Grande-Bretagne, le Japon ou l’Australie ont moins de problèmes d’immigration clandestine que les pays continentaux ». « Ce qui se passe en Méditerranée, ce n’est pas de la faute de l’Union, c’est évident, mais elle peut être plus efficace, notamment dans la prévention, en communautarisant totalement la politique d’immigration et d’asile afin de mutualiser les moyens et les informations », martèle le socialiste Juan Fernando López Aguilar, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen. « Ce que peut et doit faire l’Union est de prendre des mesures pour prévenir au maximum ce type de catastrophe », explique Patrick Weil, « comme mettre en place des bateaux patrouilleurs européens avec à leur bord des policiers et des représentants d’ONG qui veilleraient au respect des droits de ces étrangers. Ce serait de véritables frontières flottantes si l’on veut ».
Déjà, « le Parlement européen va adopter la semaine prochaine le règlement Eurosur qui renforcera, à partir du 1er décembre, la surveillance maritime », explique Michel Cercone, le porte-parole de la Commissaire aux affaires intérieures, Cécilia Malmström. « L’idée est de regrouper toutes les informations actuellement fragmentées sur un seul écran afin de repérer les bateaux naviguant en Méditerranée et sur la Mer noire. À terme, Eurosur permettra d’utiliser les satellites européens ainsi que des drones de surveillance », poursuit Cercone . « Déjà, avec Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures), nous avons porté secours à 16.000 personnes en deux ans en Méditerranée ». Un « secours » qui, selon les ONG, se traduit souvent par un refoulement en bonne et due forme vers le pays de départ… C’est d’ailleurs pour cela que la Fédération internationale des droits de l’homme critique durement le projet Eurosur : elle estime qu’il s’agit davantage de bloquer dès le départ les bateaux chargés d’étrangers sans papier afin qu’ils ne puissent demander l’asile ou le séjour en Europe que de venir à leur secours.
Reste que ces drames spectaculaires n’indiquent en rien que l’Europe serait confrontée à un afflux d’immigrés incontrôlable : « depuis le début de l’année, 8000 personnes sont arrivées à Lampedusa. On est loin de l’invasion que certains politiques italiens dénoncent régulièrement », souligne Patrick Weil. Le vice-premier ministre italien, Angelo Alfano, n’a d’ailleurs pas manqué de demander l’aide de l’Union en faisant valoir que 25.000 personnes étaient arrivées en Italie depuis le début de l’année. La Commission fait remarquer, de son côté, que 70 % des demandes d’asile (principale voie d’entrée dans l’Union) sont traités par cinq pays dans lesquelles ne figure pas l’Italie (ou les autres pays situés sur les frontières extérieures de l’Union) : en 2012, l’Allemagne a reçu 70.000 demandes, la France 60.000, la Suède 44.000, la Belgique 36.000 tout comme le Royaume-Uni, l’Autriche 18.000 et l’Italie seulement 17.500. De même, l’afflux redouté de réfugiés syriens n’a pas eu lieu, la très grande majorité préférant demeurer près de leur pays. Sur 3 millions de Syriens déplacés, 50.000 seulement ont trouvé refuge dans l’Union (dont 95 % a obtenu l’asile).
« Prévention des drames humanitaires et répression ne changeront rien à la réalité : la pression migratoire est là pour durer et les Européens doivent l’accepter », prévient la Commission. « L’immigration est une donnée structurelle du modèle européen », ajoute López Aguilar : « il faut la gérer, l’ordonner, l’accepter ». Pour la Commission, la seule façon de limiter les drames de l’immigration clandestine, c’est de rouvrir les canaux de l’immigration légale, « ce dont les gouvernements et les opinions publiques si prompts à pleurer les victimes ne veulent pas entendre parler ». « Il faut que les politiques changent leur discours sur l’immigration », appuie Patrick Weil : « mais on n’en prend pas le chemin. Quand on voit en France un gouvernement de gauche s’attaquer aux plus faibles des faibles que sont les Roms, c’est inacceptable ». Une façon de dire que ce sont les gouvernements européens qui fabriquent des clandestins et donc des Lampedusa.
Source de l'article Libération
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