Le Cercle. Le Proche et Moyen-Orient vont mal : violences en Irak, guerre civile meurtrière en Syrie et débordement du conflit au Liban, désespoir croissant en Égypte, répression à Bahreïn, manque d’autorité centrale en Lybie, impasse du processus de paix israélo-palestinien, basculement de l’État prodige en Turquie forment une toile de fond dramatique.
Un survol des grands agrégats macroéconomiques semble utile pour estimer l’impact des "printemps arabes" sur ces pays eux-mêmes. En incise, aucune donnée du "World Economic Outlook" d’avril 2013 du FMI ne permet de se faire une idée du drame syrien, les séries étant interrompues depuis 2011, date du début du conflit. Cette béance de données vides donne une image saisissante du "trou noir" que traverse le pays depuis cette date.
Le Proche et Moyen-Orient vont mal : violences en Irak, guerre civile meurtrière en Syrie et débordement du conflit au Liban, désespoir croissant en Égypte, répression à Bahreïn, manque d’autorité centrale en Lybie, impasse du processus de paix israélo-palestinien, basculement de l’État prodige en Turquie forment une toile de fond dramatique. Partout, le grand mouvement libérateur et réformateur, le "réveil arabe", semble s’être embourbé dans les violences fratricides, les conflits religieux, l’usurpation de pouvoir et l’incompétence.
La Lybie, dont le PIB dépend essentiellement des exports d’hydrocarbures, a le profil le plus original et le plus heurté. Le PIB, en baisse de 62 % en 2011, connaît l’euphorie l’année suivante (+105 % du fait de la hausse 2012 du prix du baril), pour se stabiliser pour le FMI en 2013 (+20.2 %). L’inflation serait contenue sur la période (15.9 %, 6.1 % pour 2.0 % en 2013).
Petit pays de 6.4 millions d’habitants, l’État y est omniprésent puisque les dépenses budgétaires représentent 66.6 % du PIB en 2011, 51.4 % en 2012 et 52 % en 2013. Le pays est créancier net à hauteur de 202 % du PIB en 2011, pour revenir à 99 % en 2013. Conséquence des caractéristiques du pays, la balance courante ramenée au PIB est très fortement excédentaire : respectivement 9.1 % en 2011, 35.8 % en 2012 et 25.8 % en 2013.
La guerre n’a eu donc que peu d’impact sur la vie économique du pays, focalisée autour de quelques villes, jadis limite de l’Empire romain, et loin des tribus qui vivent dans le désert une vie de nomades peu influencés par les fluctuations conjointes du prix du baril et de la parité du $ US.
À l’inverse, le choc est sensible en Tunisie. Les évènements ont vu le PIB 2011 se rétracter de 1.9 %, pour rejoindre en tendance son potentiel (7 à 8 %) les années suivantes selon le FMI (respectivement 3.6 % et 4 %). L’investissement a connu une pause à environ 25 % du PIB sur la période, financé par une hausse marginale de l’épargne (de 17.6 % à 18.4 %). La Tunisie est également un petit pays (10.7 millions d’habitants), et le taux de chômage s’est nettement inscrit à la hausse : 13 % en 2011, 18.9 % en 2012 pour revenir à 16.7 % en 2013.
L’inflation reste sous contrôle autour de 5.5 %, alors que le pays voit une croissance de ses revenus pétroliers, à hauteur de 3 milliards d’$ US en 2013. Si l’engagement de l’État dans l’économie reste fort (dépenses publiques d’environ 35 % du PIB), le pays paie le prix d’un tarissement relatif des dépenses touristiques et le déficit de sa balance des paiements se creuse de 7.3 % en 2011, pour atteindre 8.1 % en 2012 pour voir cette tendance inversée en 2013, à -7.3 %. Les efforts continus pour promouvoir l’offre touristique du pays ne sont pas sans rappeler ceux du Maroc, qui est toutefois resté stable sur la période en se tenant éloigné du souffle des printemps arabes.
L’économie du Liban apparaît quant à elle en grande partie sinistrée, et sa position géostratégique mitoyenne d’avec la Syrie va encore fragiliser une économie à bout de souffle. On voit mal comment ce pays pourrait financer sur le moyen terme des camps de réfugiés syriens qui seraient de l’ordre de 300 à 400 000 personnes aujourd’hui. Le pays croit faiblement : 1.5 % en 2011 et 2012, pour connaître un léger rebond en 2013, à 2 %. Alors que l’investissement reste élevé sur la période (de l’ordre de 25 %), la baisse du taux d’épargne ne laisse d’inquiéter (de 14.1 % en 2011 à 7.9 % en 2013). État de 4 millions d’habitants, les dépenses budgétaires sont à un étiage faible (d’environ 28 %).
Ni le déficit budgétaire (respectivement –13.6 % du PIB 2011, puis –19.1 % et –14.3 %), ni la dette publique ramenée au PIB : 132 %, 134 % et 136 %), ni le déficit de la balance courante (-12.6 % du PIB pour –16 % et –16.5 %), ne sont soutenables à terme. Il est probable que les revenus de la diaspora tendent à minimiser encore ces performances dramatiques. Israël serait bien inspiré d’investir dans un pays qui fut la "Suisse" du Moyen-Orient il y a peu, et la responsabilité de la France est pour partie engagée dans une bataille économique qui fait écho à celle des armes. Un peuple prospère est un meilleur garant de stabilité que l’occupation du Golan.
L’Égypte, superpuissance de la région (84.1 millions d’habitants en 2013), est affectée par un taux de croissance faible : de 1.8 % en 2011 pour 2 % en 2013. L’investissement décroit inexorablement : respectivement 17 %, 16.5 % et 15.5 % financés par une épargne faible sur la période, de 14.5 % à 12.2 % en 2013. L’inflation, pour cause de pénurie croissance de denrées alimentaires et de fin de l’aide alimentaire américaine de plus d’un milliard de $ US/an connaît une résurgence à 11.1 % en 2011, 8.9 % en 2012 et 8.2 % en 2013.
Bien que ce pays connaisse une augmentation de ses exportations d’hydrocarbures (de 10.2 milliards d’$ US en 2011 à 13.6 milliards en 2013), le déficit de la balance courante ne cesse de se dégrader du fait du tarissement de la manne touristique (de –2.6 % du PIB en 2011 à –3.2 % en fin de période). Fort heureusement, le déficit budgétaire reste contenu bon an mal an aux alentours de 10%/an, et la dette publique se maintient à un niveau soutenable (respectivement 64.3 %, 68.8 % et 75.1 %), ce qui laisse au pays la latitude de s’endetter encore en cas de coups durs.
Nul doute que l’actualité (lutte fratricide autour de la place Tahir entre pro et anti-Morsi, sur fond d’intervention de l’armée durable dans la société civile) amènera le Fonds à revoir ses prévisions de 2013. La croissance pourrait être nulle et se solder par une augmentation sensible du taux de chômage, d’environ 21 % aujourd’hui. Les militaires ne sont pas reconnus comme de bons gestionnaires. Le pays ne semble toutefois pas à ce stade de l’information économique profondément impactée, car les Frères Musulmans n’ont exercé leur pouvoir pendant moins d’un an.
Comme dans tous les pays arabes, l’armée jouit d’un statut spécial et constitue un État dans l’État. Celle de l’Égypte compterait près d’un million d’hommes (soit la première armée d’Afrique), dont 20 000 dans la marine et 30 000 dans l’armée de l’air. Selon certains experts occidentaux, l’armée gérerait et superviserait environ le quart du PIB du pays, ce qui est en soi considérable.
Par Jacques Delorme - Source de l'article Les Echos
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