Le Cercle. La puissance transverse à toutes ces sociétés est l'armée, de tendance "baasiste" (socialiste), laïque et matérialiste. Qu'elle soit omniprésente dans ces États, sur le mode égyptien ou turc, ou au contraire le ciment de la nation, comme en Israël, l'armée joue clairement comme appui aux forces progressistes. L'exil en France de l'ancien ministre de la défense syrien est là pour en témoigner.
L’autre puissance régionale, la Turquie (76 millions d’habitants en 2013) a connu une chute de sa croissance entre 2011 et 2013, soit 8.5 %, 2.6 % et 3.4 % sous l’effet de quatre facteurs : le maintien d’une dépression pérenne de son voisin européen, la Grèce ou le PIB a reculé de quelques dizaines de points de PIB en cinq ans ; d’un recul comme ailleurs des recettes touristiques ; de l’enfoncement récent de la région dans une crise ouverte à ses portes (Syrie, Liban, Jordanie) et du coût d’hébergement des réfugiés syriens (ils seraient près de 800 000 à avoir opté pour ce pays) ; enfin et surtout de la baisse de la demande mondiale et de la récession en Europe, la Turquie étant une puissance émergente avec des échanges commerciaux tournés à hauteur de 60 % vers l’UE.
Le corrélat de cette baisse est la montée concomitante du taux de chômage de 9.8 % en 2011 pour 9.4 % en 2013. Les taux d’investissement et d’épargne sont à un niveau bas à hauteur respectivement de 20 % et 14 % sur la période. En dépit d’une croissance de ses exports d’hydrocarbures (de 6.5 milliards de $ US à 8.4 milliards), le pays connaît une dégradation sérieuse de sa balance des transactions courantes pour –9.7 % en 2011, -5.9 % en 2012 et –6.8 % en 2013. Alors que l’État intervient massivement dans la vie économique (dépenses publiques à 38 % du PIB en 2013), la configuration des finances publiques est satisfaisante : 3 % de déficit budgétaire sur la période, auquel s’adjoint une dette en voie de réduction : 31.2 % en 2011, 27.8 % en 2012 et 27 % en 2013.
Ce pays continue de constituer donc un bon risque pour les investisseurs internationaux. La situation politique n’est pas sans rappeler celle en vigueur en Égypte. La dérive autoritaire et liberticide du Président Erdogan, mâtiné d’un retour vers des valeurs musulmanes en dépit de l’héritage kémaliste, a mis la jeunesse du pays dans les rues à quelques reprises de façon massive. Phénomène émergent via Internet et les réseaux sociaux, les jeunesses brésilienne et turque se sont inspirées réciproquement et mutuellement dans leurs attitudes, alors que les revendications au Brésil n’avaient rien à voir d’avec le cas turc : demande d’une baisse des coûts de transports paulolistas, accès à l’éducation et à la santé d’un bon niveau de professionnalisme, et colère devant les sommes pharaoniques englouties dans la préparation du Mondial de football, au mépris de la satisfaction des besoins de base du peuple.
L’armée turque est la seconde de l’OTAN derrière celle des USA et la sixième armée au monde. Forte de 720 000 hommes et de 450 000 réservistes, elle occupe également une place de choix dans la société via deux holdings militaro-industrielles. L’OYAK, Fonds de pension des forces armées contrôlerait une quarantaine d’entreprises dans tous les secteurs pour 30 000 salariés. L’OYAK Banque figure parmi les tout premiers établissements financiers du pays. La fondation pour le renforcement des forces armées (TSKGV) administrerait quant à elle une trentaine d’entreprises pour un effectif de 20 000 salariés. Ces deux sociétés enregistreraient selon les estimations un CA compris entre 6 et 8 milliards de $ US.
Dans un article de "Foreign Policy" (think tank de Washington), l’éditorialiste américain David Miller voit cinq raisons majeures de se désespérer de la situation arabe.
La première tient au statut des femmes. Partout, une régression de très grande ampleur est à l’œuvre, car on se souviendra que l’instauration des partis bassistes (socialistes) en Irak et en Syrie il y a plus de quarante ans mettait comme l’un de leurs objectifs centraux l’émancipation féminine (dans leur comportement, leur habillement et leur accès au marché du travail). Ce n’est par ailleurs pas un hasard si l’Afrique subsahélienne connaît des taux de croissance annuels de 5 à 6 %. Outre l’extraction des ressources minérales, et le poids de certaines grandes multinationales, priorité a été donnée il y a bien des années à la promotion de l’entreprenariat féminin sous la forme de microprojets de proximité cofinancés par la Banque Mondiale, le FAO et la BAD.
L’absence de séparation entre la religion et l’État est également une évidence, bien que la configuration marocaine, ou le roi est aussi le Commandeur des croyants de la monarchie chérifienne, a engendré une grande stabilité politique. Le Maroc est ainsi en passe de devenir la troisième économie émergente d’Afrique, après l’Afrique du Sud et Maurice.
En troisième lieu, les propagations des "théories du complot" (colonialisme, sionisme, impérialisme, communisme, laïcisme, islamisme) entravent ces peuples dans l’appropriation et la prise en charge de leur destin. Ensuite, la région se remet mal de ne plus figurer dans la fresque de la grande martyrologie mondiale comme victimes toutes désignées de "l’impérialisme" israélien, et la période d’extension maximale de l’empire des Omeyades, de Grenade à Constantinople, remonte au XVe siècle.
Enfin, le manque d’autorité est surprenant. Il est paradoxal, compte tenu des élans démocratiques du printemps arabe, que les dirigeants qui se sont le plus longtemps maintenus au pouvoir soient des monarques autoritaires. Les rois Abdallah de Jordanie et d’Arabie Saoudite apparaissent comme de véritables hommes d’État à côté de l’égyptien déchu Morsi ou de l’Irakien Nouri Al-Maliki.
Israël forme un cas polaire. En ne retenant cette fois que des données "structurelles", cette nation affiche des performances inégalées. En dépit d’un climat de guerre permanent (les dépenses militaires représentent près de 40 % du budget), de conflits armés, d’attentats à répétition et d’insécurité généralisée, Israël sera passé en moins de vingt ans d’un statut de "pays émergent" à celui du 32e État membre de l’OCDE. L’un des États le moins peuplés (7.4 millions d’habitants 2011) de l’Union pour la Méditerranée (UPM), il se situe au 22 rang au regard de l’indicateur de développement humain de l’ONU, au 24e rang en termes de PIB mondial.
Les entreprises israéliennes sont les troisièmes au monde à être classées au NASDAQ (98 firmes), derrière les USA et la Chine (116 entreprises). Il abrite le plus grand nombre de "start-ups" au monde. Il a compté quatre Prix Nobel depuis 2002. Le nombre de publications scientifiques est de 109 pour 10 000 habitants, un ratio plus que cinq fois supérieur à la performance française. Il figure au 4e rang mondial en termes de dépôts de brevets en 2010. Enfin, les dépenses de R&D sur longue période représentent 4.7 % du PIB.
L’armée israélienne, forte de 175 000 soldats professionnels et de 460 000 réservistes (immédiatement) opérationnels a pu montrer sa valeur militaire au cours de six conflits israélo-arabes.
Par Jacques Delorme - Source de l'article Les Echos
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