L’organisation régionale n'a jamais eu qu'une existence virtuelle. Pourtant, les pays et les peuples du Maghreb sont liés par une longue histoire commune.
L’intégration économique maghrébine est inexorablement un impératif économique pour tous nos pays sans exception. Les Libyens, les Tunisiens, les Algériens, les Marocains et les Mauritaniens rêvent d’intégration, de modernité et de développement tenant compte de leur authenticité. Cette intégration, où le principal défi des gouvernants du XXIème siècle est la maîtrise du temps, ne peut se réaliser que si les pays maghrébins ont une vision commune de leur devenir d’où l’importance du rôle de la société civile.
Dans ce cadre a été organisé le 16 avril 2012 par l’Institut royal des études stratégiques (IRES) à la veille de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UMA une rencontre à laquelle ont participé des représentants d’ambassades occidentales et magrébines dont le représentant de l’ambassade d’Algérie à Rabat et des experts spécialistes du Maghreb dont malheureusement j’ai été le seul intervenant algérien en tant qu’expert international.
Au préalable, il a été décidé de mettre de côté le problème du Sahara Occidental qui doit être résolu dans le cadre de l’organisation des Nations unies et d’axer les travaux sur le bilan sans complaisance et les axes de dynamisation de la coopération économique tant à moyen terme qu’à court terme. D'ailleurs des projets concrets ont été ciblés tant au niveau de l’énergie, des industries diverses que des services.
L’objet de cette contribution est de poser la problématique de l’intégration maghrébine dont j’ai accordé une interview sur ce sujet à la télévision marocaine 2M et que je développerai lors de mon intervention au 10ème Forum mondial sur le développement durable à Paris les 23/24 février 2012 en élargissant cette problématique à l’Afrique.
Situation des économies maghrébines
Les échanges commerciaux inter maghrébins ne dépassent pas en moyenne 2009/2011 (importation et exportation) 2% en valeur. Il en est de même contrairement aux discours des échanges interarabes. Et contrairement aux discours, malgré le lancement de la Grande zone arabe de libre échange (GAFTA) en 2005, le commerce interarabe n'a représenté que 10% en moyenne de l’ensemble des échanges commerciaux des pays arabes sur les 5 dernières années. Ce qui ressort des résolutions de la 7ème conférence arabe de l’OMC, qui s'est tenue en mai 2011 à Beyrouth, la destination privilégiée étant l’Occident.
Selon les rapports du FMI, seulement 0,7% des exportations algériennes sont destinées à ses deux voisins maghrébins, alors que 0,8 % de ses importations en sont originaires. De même, le Maroc n’importe que 1,4% depuis l’Algérie et la Tunisie et ne leur expédie que 1% de ses exportations. Il en est ainsi pour la Tunisie dont les importations, issues des voisins maghrébins, sont estimées à 1,1%, alors que les exportations qui y sont destinées sont de 1,9%. Ainsi, les échanges commerciaux entre les deux pays restent dérisoires.
Sur la question de la réouverture de la frontière algéro-marocaine, et à la question à qui profitera cette ouverture sachant que les frontières sont encore fermées, il y a lieu d’éviter des estimations fantaisistes des deux cotés. Pour ma part, je considère que les deux pays sont perdants, étant entendu que la libre-circulation des biens et personnes favorise l’accroissement des échanges.
Cependant, pour ma part, je considère qu’il faut s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire. Il faut voir cela dans le cadre global d’une complémentarité positive profitable aux deux pays et non faire un faux calcul purement monétaire à court terme pour chaque pays.
Selon le rapport de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) publié le 26 juillet 2011 sur l'investissement dans le monde, le total des IDE pour ces quatre pays du Maghreb totalisent 8, 941 milliards de dollars soit 0,6% des IDE estimés à 1500 milliards de dollars. Les échanges intermaghrébins sont orientées essentiellement vers l’Occident et notamment l’Europe pour des raisons historiques qui représentent aux alentours des deux tiers du total pour le Maroc (63%), l'Algérie (64%) et la Tunisie (72%).
Plus précisément, selon un rapport de l’OCDE moyenne 2009/2010, l’Union européenne représente 75% des exportations de la Tunisie, 90% des rapatriements des émigrés, 83% des revenus touristiques et 73% des investissements directs étrangers. Au Maroc où 60% des exportations sont vendues sur les marchés de l’UE. De même, 80% des revenus du tourisme et 90% des rapatriements des émigrés proviennent de l'UE.
Pour l’Algérie, une grande partie de ses importations provient de l’Europe, 55/60% et également pour ses exportations de gaz à travers Medgaz (via Espagne) et Transmed via Italie, le projet Galsi via a Sardaigne qui devait également approvisionner la Corse, étant toujours en gestation. L'analyse détaillée de ces relations commerciales laisse apparaître certaines différences quant à l'importance relative des différents partenaires européens, mais les trois principaux restent cependant l'Espagne, la France et l'Italie.
Ce panorama général assez homogène cache des réalités bien différentes selon les pays étudiés. Par l'analyse de la composition du commerce extérieur de chaque pays, le Maroc apparaît principalement comme un exportateur de produits manufacturés, le textile/cuir, les produits de l'industrie électrique et mécanique ainsi que de produits agricoles. Les minéraux et la chimie représentent également une part significative, bien que mineure, des exportations, notamment grâce à l'industrie des phosphates, principale richesse minière du pays. Le cas de la Tunisie est similaire à celui du Maroc, bien que la spécialisation dans la production manufacturière soit encore plus marquée. La situation est radicalement différente pour l’Algérie dont les exportations dépendent quasi exclusivement du secteur des hydrocarbures.
Ainsi, selon le rapport du FMI de 2009, la non intégration des pays du Maghreb qui couvre une superficie d'environ cinq millions de km leur fait perdre 2 à 3 points de leur taux de croissance sans compter les effets indirects du non attrait de l’investissement étranger intéressé par un marché plus large.
Ainsi, le Maghreb du fait de la non intégration a un poids insignifiant au sein tant de la région méditerranéenne qu’au sein de l’économie mondiale. Le produit intérieur brut de l’ensemble des pays du Maghreb a été évalué en 2010 par le FMI à 380 milliards de dollars US. Ce PIB global est artificiellement gonflé par la Libye et l’Algérie du fait du poids des hydrocarbures et par le Maroc pour les phosphates, laissant peu de places pour de véritables entreprises compétitives.
Ainsi le PIB maghrébin est légèrement supérieur à celui de la Grèce (305 milliards de dollars) alors que cette dernière a une population qui ne dépasse pas 12 millions d’habitants en 2010. Comparé à la population et au PIB allemand (3306 milliards de dollars pour 82 millions d’habitants) et français (2555 milliards de dollars pour 65 millions d’habitants), on mesure l’important écart.
De son côté, la Banque mondiale estimait en 2006 qu’une pleine intégration économique de la sous-région permettrait une hausse importante du PIB de chacun des pays, de 24 %, 27 % et 34 %, respectivement pour la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, entre 2005 et 2015. Et si les trois pays maintiennent des taux de croissance annuels d’environ 4 à 5 %, en termes réels, ce qui n’est pas évident, il leur faudra plus de 20 ans pour atteindre des niveaux de revenus par habitant proches de ceux observés actuellement dans les pays de l’OCDE.
Il s’ensuit que l’optimum global maghrébin, en termes stratégique, ne peut se réaliser que dans le cadre d’une intégration maitrisée et datée ce qui ne saurait signifier qu’il ne faille pas favoriser des projets concrets à court terme. Or seule une dynamisation de la sphère réelle peut diminuer les tensions sociales qui ne peuvent qu’avoir des incidences politiques, d’où l’urgence de l’intégration économique des pays du Maghreb.
Quelles sont les actions à court et moyen terme ?
A court terme, je distinguerai les actions à court terme des actions à moyen terme. A court terme, six mesures concrètes faciles réalisables peuvent être mises en œuvre pour dynamiser les échanges.
Premièrement, rendre immédiatement opérationnel la Banque d’investissement maghrébine. Deuxièmement, les nombreux accords de libre-échange complique le système commercial et rend sa gestion par les agents de douane difficile, dans ce cadre, une harmonisation régissant les échanges commerciaux s’impose.
Troisièmement, les règles restrictives qui imposent notamment une autorisation préalable pour de nombreux produits doivent être supprimées au même titre que les normes techniques locales utilisées à des fins protectionnistes.
Quatrièmement, le niveau élevé des tarifs douaniers et la complexité des structures tarifaires (moyenne des tarifs est de 19,2 % en Algérie, 26,2 % au Maroc et 31,7 % en Tunisie) implique la poursuite de la réforme tarifaire en réduisant la dispersion et la moyenne des tarifs, il s’agit donc d’améliorer les procédures douanières qui manquent de "transparence et de prévisibilité" par l’automatisation des déclarations douanières pour un meilleur traitement des documents. Cinquièmement, lever les lacunes du système de paiement (dont la disparité des systèmes de fixation de la cotation des monnaies) et des chaînes logistiques par l’assouplissement de la réglementation des changes et la mise au point des services conjoints d’assurances des exportations.
Et enfin, sixièmement, promouvoir des investissements dans les transports et les autres chaînes logistiques et services subsidiaires, l’organisation des ports constituant le principal obstacle au commerce maritime dans la région ; la preuve en est que les containeurs restent bloqués dans les ports durant 20 jours en moyenne en Algérie, 18 jours en Tunisie et 11 jours au Maroc. Des comités techniques devraient être mis en place permettant de progresser dans les six domaines examinés.
A moyen terme, il s’agit au préalable d’intégrer la sphère informelle au sein de la sphère réelle dominante au Maghreb. L’économie moderne reposant sur deux postulats : le contrat et le crédit. Deux questions stratégiques méritent d’être posées.
Premièrement peut-on parler d’un Etat de droit au Maghreb lorsque plus de 50% de l’activité économique échappent aux pouvoirs publics qu’il s‘agit de ne pas combattre par des mesures autoritaires qui produisent l’effet inverse mais par la démocratisation de la décision économique ? Deuxièmement, la sphère informelle n’est-elle pas un obstacle à une intégration contractuelle bien que cette sphère, à travers des échanges informelles, permet à des milliers de Maghrébins, surtout aux frontières, de contourner la myopie des bureaucraties étatiques ? Car cette sphère est le produit de la bureaucratie.
Lorsque des Etats émettent des règles qui ne correspondent pas à l’Etat des sociétés, cette dernière enfant ses propres règles qui lui permettent de fonctionner dans un cadre de droit qui est la sienne puisque existe un contrat qui est moral. Dans ce cadre, à moyen terme la dynamisation de la coopération et de l’intégration maghrébine sur des bases contractuelles passe par l’intégration de la sphère informelle au sein de la sphère réelle et la création d’entreprises dynamiques s‘insérant dans le cadre des valeurs internationales.
D’autant plus que les deux pays ont signé l’accord de libre échange avec l’Union européenne impliquant horizon 2017/2020 d’importants dégrèvements tarifaires. La majorité des entreprises au Maghreb dans la sphère réelle sont peu initiées au management stratégique poussant au protectionnisme néfaste à terme. Il s’ensuit que se tissent des liens dialectiques entre la sphère informelle et certains segments du pouvoir bureaucratique en tant que lobbys où domine le cash dans les transactions, favorisant la corruption freinant les réformes par des pressions protectionnistes.
Or, les avantages comparatifs statiques positifs à court terme sont largement contrebalancés par les avantages comparatifs dynamiques à moyen terme comme le montre l’expérience des pays émergents.
Mais cela suppose des stratégies d’adaptation, loin de ces petites entreprises familiales marquées par une gestion autoritaire ignorant l’innovation et les mutations internationales vivant grâce à des parts de marché que leur attribue l’Etat via la dépense publique.
Concernant les actions institutionnelles, il s‘agira de relancer le projet de la banque d’investissement maghrébine avalisé en 2010 par l’UMA, d’unifier les tarifs douaniers et surtout la politique fiscale qui a des incidences tant sur l’allocation des ressources où devra primer la suprématie de la sphère réelle sur la sphère financière spéculative à l’origine d’ailleurs de la crise mondiale actuelle, que sur la répartition et le niveau des revenus et de prévoir la création d’une grande université maghrébine.
Sur le plan financier, il s’agit d’entrevoir la création d’une banque centrale et bourse magrébine support d’une monnaie maghrébine, ne devant jamais oublier que la monnaie, autant que les réserves de change, est un signe, moyen et non facteur de développement traduisant l’état de confiance entre l’Etat régalien et les citoyens.
L’on devra pour cela au préalable résoudre le problème de la distorsion des taux de change des différentes monnaies maghrébines. Ces structures doivent s’insérer horizon 2020 dans le cadre d’une banque centrale et bourse euro-méditerranéenne.
Il faut le reconnaitre, la signature de conventions commerciales ou d’accords de libre-échange avec l’Europe par la Tunisie, le Maroc et l’Algérie n’a pas suffi à impulser un véritable co développement entre les deux rives de la Méditerranée. Donc est posé le bilan mitigé des accords de Barcelone et de l’UPM (Union pour la Méditerranée) qu’il y a impérativement de dynamiser à travers des projets concrets.
La diaspora contrairement aux discours n’est pas mise à contribution alors que selon le FMI, globalement, l'épargne de la diaspora nord-africaine, sans compter le savoir faire accumulé difficilement quantifiable, est de l'ordre de 200 milliards de dollars. Mais cette épargne ne profite pas au Maghreb, dont les pays devraient prendre exemple sur la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud, donc à faire appel à cette diaspora pour contribuer à construire l'économie de leurs pays.
En conclusion : entreprendre ensemble
En termes stratégiques, le Maghreb doit être le pont entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique continent à fortes potentialités expliquant les luttes d’influences USA/Chine/Europe qui abritera 1,5 milliards d’habitants horizon 2020/2025.
La coopération euromaghrébine par une prospérité partagée en matière d’investissement grâce à un partenariat gagnant/gagnant, évitant cette vision mercantile du passé, doit être orientée à l’avenir vers l’Afrique enjeu du XXIème siècle et ce afin d’éviter que des milliers de maghrébins et d’africains émigrent vers l’Europe.
Actuellement, si le cadre macro-économique est relativement stabilisé pour l’ensemble des pays du Maghreb les réformes micro économiques et institutionnelles en cours ne sont pas homogènes ce qui se traduit par des politiques socio économiques différentes qui freinent la coopération. Comment, en effet, concilier une politique libérale en Tunisie, une économie semi libérale au Maroc, en Lybie, en Mauritanie avec une politique de volontarisme étatique en Algérie.
Or le blocage actuel de l’intégration maghrébine est surtout d’ordre institutionnel et se posent plusieurs questions stratégiques ne pouvant pas avoir un développement fiable à travers le temps sans démocratie tenant compte des anthropologies culturelles et de nouvelles institutions suppléant à la défiance du marché, comme l’a montré brillamment le prix Nobel, l’économiste indien A. SEN et les institutionnalistes, supposant de poser clairement le nouveau rôle de l’Etat et la mise en place d’institutions régionales, nationales et internationales face à l’implacable mondialisation.
Construit-on actuellement des projets pour un marché local régional, ou mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale ? Les filières ne sont-elles pas internationalisées avec des sous segments éparpillés à travers le monde ? Un partenariat stratégique n’est-il pas la condition fondamentale pour à la fois des projets fiables et pénétrer le marché mondial ? La coopération intermaghrébine n’a-t-elle pas besoin d’institutions communes, d’une harmonisation de la politique socio-économique d’une cohérence par l’homogénéisation du cadre juridique d’investissement ? Comme mis en relief précédemment, les Etats du Maghreb ne doivent-ils pas privilégier les intérêts stratégiques de leurs populations en œuvrant pour bâtir une démocratie dynamique assise sur une justice indépendante, compétente et diligente ? Les gouvernants du Maghreb ne doivent-ils pas sortir d’un système de gouvernance archaïque pour un système participatif et qui appelle aux compétences locales et celles établies à l’étranger ?
Le Maghreb ne doit-il pas dépasser les intérêts étroits de la rente en se projetant à l’horizon 2020/2025 afin qu’il devienne un vecteur actif au sein de la mondialisation en faisant passer les échanges inter maghrébins de 2% en 2012 à 40% horizon 2020/2025 pouvant entrevoir plusieurs phases pour atteindre cet objectif hautement réalisable? Pour réaliser cette ambition, il s’agit de donner aux maghrébins l’envie de construire ensemble au sein de cet espace stratégique et donc d’y vivre dignement et harmonieusement.
Cela passera par le rétablissement de la confiance entre les citoyens et les institutions, par la préservation les libertés individuelles et collectives, conciliant l’efficacité économique et la cohésion sociale. C’est simple de le dire mais très difficile à faire et cela reste néanmoins l’apanage des sociétés avancées.
Tout cela renvoie à la bonne gouvernance tant politique que de l’entreprise intiment liée. Ce qui revient à poser cette question centrale : quel est l’objectif de la bonne gouvernance pour les Etats maghrébins et l’entreprise maghrébine pour améliorer le climat des affaires afin de favoriser l’intégration ?
Par Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités et expert international - LeMatindz
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