À la suite de la conférence annuelle de la Banque européenne d’investissement (BEI), son vice-Président Philippe de Fontaine Vive, également « patron » de la Facilité euro-méditerranéenne de financement et d’investissement (FEMIP) fait le point sur les engagements de la BEI-FEMIP en 2011 auprès des pays partenaires Sud et Est-méditerranéens
LeJMED – À la réunion des Ministres des Finances du « Partenariat de Deauville », à Marseille le 10 septembre 2011, la BEI a confirmé son engagement à accroître ses financements à la Tunisie, à l’Égypte, au Maroc et à la Jordanie pour soutenir la transition démocratique en Méditerranée. Il fut annoncé que les quatre pays recevraient 7,5 Mds USD de la BEI-FEMIP d’ici à la fin 2013. Mais en 2011, pour l’ensemble des paysFEMIP du sud méditerranéen, c’est seulement un milliard d’euros qui a été engagé. Et les prévisions de prêts annoncés pour 2012 se situent au même niveau de 1 Md €. On est donc en dessous des prévisions, non ?
Philippe de Fontaine Vive – Oui, le calcul fait à Marseille, c’était de parvenir à un rythme de 2 Mds € par an, donc aux 7,5 Mds USD, sur trois ans. Les événements historiques des printemps arabes qui se sont produits en Méditerranée en 2011 ont amené des changements de gouvernements et d’administrations, donc tout un bouleversement chez nos partenaires. Concernant la Tunisie et le Maroc, après cette année de changements, de nouveaux gouvernements issus d’élections et des administrations sont déjà en place, donc les projets ont pu avancer.
En revanche, depuis cette déclaration de septembre 2011, nous nous trouvons devant une situation bien plus complexe au Proche-Orient. En Égypte, pour l’instant, nous n’avons pas d’interlocuteurs en capacité de souscrire des engagements durables. En Syrie, comme vous le savez, l’Europe a engagé un processus de sanctions vis-à-vis du régime. Pour ce qui concerne le Proche-Orient, il est donc peu vraisemblable que nous atteignions les montants énoncés en septembre 2011 à Marseille. En revanche, si l’on se réfère au seul Maghreb, nous ne sommes pas loin de la moyenne de marche, avec 503 M € de signatures en 2011…
Justement, au Maghreb, évoquons le cas particulier de la Tunisie, « où tout a commencé ». Dès le 19 janvier 2011, quelques jours après la fuite de Ben Ali, vous avez affirmé que l’UE et l’UpM devaient apporter « un soutien renforcé à la Tunisie ». Où en sommes-nous ?
Philippe de Fontaine Vive – La FEMIP a tout mis en œuvre pour apporter une réponse concrète aux attentes exprimées par le Printemps arabe. Ainsi nous avons intensifié notre concours à des projets créateurs d’emplois, notamment pour les jeunes, au Maroc, en Jordanie, et bien sûr en Tunisie. Vous observerez que le Maghreb a été le premier bénéficiaire de l’action de la FEMIP en 2011, avec 503 millions d’euros de signatures, dont 303 M € pour la Tunisie, accordés dès les mois de juin et de septembre, et 200 M € pour le Maroc.
Le premier prêt accordé à la Tunisie, de 163 M €, visait la création d’emplois en finançant la rénovation de l’ensemble du réseau routier du pays, y compris les routes rurales, ainsi que l’amélioration de la sécurité routière.
Le second prêt, de 140 M €, permettra concrètement l’implantation d’un projet industriel de grande dimension, grâce à la construction d’une usine d’engrais sur le site de M’dhilla par le Groupe chimique tunisien, quatrième producteur mondial de phosphate. Ce projet aura une incidence positive forte sur l’activité économique locale, puisqu’il permettra la création d’emplois dans la région de Gafsa, touchée par un taux de chômage élevé.
Dans le cadre du Partenariat de Deauville, dont l’objectif est justement le soutien aux pays méditerranéens en « transition démocratique » – Tunisie, Égypte, Maroc, Jordanie – avez-vous commencé à travailler avec vos partenaires, notamment avec la BERD ? On a pu entendre dire que le Partenariat de Deauville serait par trop hétérogène, avec des institutions qui ne partagent pas les mêmes savoir-faire, ni parfois, les mêmes valeurs…
Philippe de Fontaine Vive – Les différentes institutions internationales n’ayant ni les mêmes actionnaires, ni les mêmes statuts, ni les mêmes expériences, il va de soi qu’elles n’ont pas les mêmes métiers, ni les mêmes priorités. C’est pourquoi, d’ailleurs, le Partenariat de Deauville nous a demandé de nous coordonner le plus efficacement possible, chacun apportant son expertise. Par exemple, la BEI-FEMIP est plutôt l’expert des prêts aux PME, du financement des infrastructures en eau, des transports, des télécommunications, du gaz, etc., tandis que la Banque islamique est plutôt habituée au cofinancement, et selon des procédures d’appels d’offres différentes des procédures européennes.
La BERD, qui va développer sa propre activité, est plus spécialiste des prises de participation, elle est plus à même d’apporter des lignes de financement du commerce, expérience qu’elle a développée. Chacun a donc un savoir-faire différent. Il en surgira une très intéressante complémentarité.
Un exemple de partenariat engagé avec la BERD ?
Philippe de Fontaine Vive – Il est encore trop tôt pour donner un exemple. Pour l’instant, la BERD ne peut pas encore intervenir en Méditerranée. Elle doit pour cela modifier ses statuts, et la procédure de ratification est en cours, avec le passage devant le parlement de chacun de ses États actionnaires. C’est lorsque ses statuts modifiés auront été validés qu’elle pourra accorder des prêts ou prendre des participations. Pour l’instant, elle ne peut intervenir que via le fonds fiduciaire qu’elle a constitué, doté d’environ 70 M €.
Mais, déjà, la BERD est dans une phase qu’on peut qualifier d’investissement humain, pour bien comprendre les besoins de la région. Elle a commencé de recruter des équipes, et recherche des bureaux pour les installer, notamment à Casablanca et à Tunis. D’ailleurs, nous avons proposé de les accueillir dans nos propres locaux de la BEI-FEMIP, mais finalement l’idée a été abandonnée, car ils seront trop nombreux, nous n’aurions pas eu suffisamment de place… Nous espérons en tout cas pouvoir coopérer étroitement, pour devenir aussi complémentaires que possible.
Que devient le projet de la Banque de la Méditerranée, telle que la préconisait le Rapport Milhaud ?
Philippe de Fontaine Vive – Je pense qu’actuellement il n’y a pas de demande, ni en Europe, ni au sud de la Méditerranée, pour créer une institution nouvelle. Parce que le défi lancé à la BEI, à la BERD, à la Banque mondiale, à la Banque islamique de développement et à la Banque africaine, via le Partenariat de Deauville, c’est de suffisamment bien travailler ensemble pour que l’on soit capables, ensemble, de répondre aux besoins des pays de la Méditerranée.
Où en êtes-vous avec votre initiative de favoriser les partenariats public-privé (PPP) en Méditerranée, annoncée lors de votre Déclaration de Casablanca, en mai 2011, et à laquelle avaient d’emblée adhéré quatre pays – Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie ?
Philippe de Fontaine Vive – À l’issue d’une étude sur les PPP et sur l’ensemble de la région, que nous avons en effet rendue publique à Casablanca en mai 2011, les Ministres des finances européens et méditerranéens ont décidé en juillet 2011 de faire bénéficier les quatre pays ayant adhéré à la Déclaration de Casablanca, et du Partenariat de Deauville, de l’accès au réseau européen des experts de PPP – réseau que fait vivre la BEI – pendant une phase pilote de dix-huit mois. Nous reverrons donc tout cela début 2013.
Très concrètement, les quatre pays adhérents sont en train de désigner leurs experts, qui seront les correspondants des nôtres, et très concrètement aussi, le Maroc est en train, avec notre assistance technique, de finaliser un projet de loi réformant les partenariats public-privé, ce qui lui permettra de développer ce mode de financement au Maroc, compte tenu des programmes importants d’investissements publics en cours. La Tunisie aussi est en train de placer ce sujet parmi ses priorités ; nous avons donc également un dialogue avec les experts tunisiens.
En janvier 2011, à Barcelone, vous avez signé un Mémorandum d’accord (MoU) avec le Secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée (UpM), afin d’établir une étroite collaboration dans les domaines économique, social et du développement durable. Où en êtes-vous ?
Philippe de Fontaine Vive – Nous avons une coopération très étroite avec le Secrétariat général de l’UpM. En application de l’accord signé, que vous citez, nous avons mis deux agents expérimentés à disposition, sur place à Barcelone, l’un auprès du Secrétaire général, l’autre auprès du Secrétaire général adjoint chargé de lever les financements pour les projets en Méditerranée.
Nous sommes donc déjà totalement coordonnées au quotidien. Ceci a déjà débouché sur l’adoption par l’UpM des critères d’éligibilité des prêts pour le développement urbain, que nous avons rédigés avec nos amis de l’Agence française de développement, et que les ministres compétents ont validés lors de leur réunion de novembre 2011, à Strasbourg. Nous espérons maintenant préparer avec le Secrétariat général une nouvelle réunion des Ministres du développement urbain, à l’automne 2012, pour concrétiser ce partenariat. Le même travail est en cours pour le Plan solaire méditerranéen, le PSM. Il est important que les premiers projets du PSM sortent de terre. Le premier d’entre eux devrait se concrétiser au Maroc, à Ouarzazate, dès juin de cette année – ainsi d’ailleurs que j’ai eu l’occasion de l’évoquer il y a quelques jours avec le nouveau Secrétaire général élu de l’UpM, Fathallah Sijilmassi.
Fathallah Sijilmassi, le diplomate marocain qui fut notamment Ambassadeur à Paris, s’est toujours exprimé très positivement en faveur de l’UpM. Son élection comme Secrétaire général de l’UpM est donc une bonne nouvelle… ?
Philippe de Fontaine Vive – Oui ! Je suis très heureux de sa récente élection à l’unanimité des Ambassadeurs représentant les 43 pays auprès de l’UpM.
Vous dirigez la FEMIP depuis sa création, il y a dix ans, et vous avez accumulé une expérience unique au contact des partenaires du Sud. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience pour les relations nord-sud en Méditerranée ?
Philippe de Fontaine Vive – Je crois que l’Europe n’a pas suffisamment conscience de la richesse de son expérience. Pas seulement financière, mais aussi de savoir faire technique, de consultation des populations, d’arbitrage entre les préoccupations environnementales et de création de valeur… Grâce à la FEMIP, depuis dix ans, cette expérience a commencé à être partagée avec les pays méditerranéens, car nous nous sommes placés dans une situation de dialogue, d’écoute et de soutien, et pas dans une posture de donneur de leçons, comme cela fut trop souvent le cas avec l’aide traditionnelle au développement.
Je crois que nos pays partenaires méditerranéens, tout au long de ces dix années d’existence de la FEMIP, ont apprécié que nous les ayons associés aux décisions de la FEMIP, et cela même si juridiquement il n’avaient pas à influer. Mais, notre optique a toujours été d’opérer avec eux en pleine concertation, en invitant les ministres des pays partenaires méditerranéens à dialoguer d’égal à égal avec les ministres européens.
Et c’est se qui se concrétisera encore à Chypre en septembre 2012. Car justement, pour montrer son engagement méditerranéen, la présidence chypriote a souhaité inviter tous les ministres concernés à échanger librement à l’ECOFIN informel de septembre, afin d’apprécier, justement, quelles leçons tirer de ces dix années, et relancer le partenariat.
Et comment se présentent les relations avec les partenaires du Sud, plus précisément depuis un an, à la suite des chambardements issus du printemps arabe ?
Philippe de Fontaine Vive – Depuis un an, en Tunisie, j’ai eu le plaisir et l’honneur de travailler avec trois Premiers ministres successifs : Mohamed Ghannouchi, qui a eu le courage de ne pas user de son pouvoir pour en tirer un quelconque bénéfice personnel, et est sorti la tête haute de la première phase si délicate du processus de transition ; ensuite, Béji Caïd Essebsi, qui a assuré la transition vers les élections réussies de novembre 2011, et avec lequel nous avons développé un partenariat de très grande qualité pour essayer de soutenir la prospérité en Tunisie sans attendre l’entière stabilisation politique – d’ailleurs, comme je l’ai dit, nous avons prêté 303 M € en 2011 à la Tunisie, ce qui en fait le premier récipiendaire des pays FEMIP, et cela montre bien que nous avons soutenu la transition démocratique.
Enfin, dès novembre dernier, avant même la proclamation du nouveau gouvernement, j’ai pu rencontrer le nouveau Premier ministre issu des élections, Hammadi Jabali. Tout de suite, il a fait preuve d’une grande attention à la technicité que nous pouvions apporter, et nous avons fait montre d’une grande écoute de sa légitimité politique afin de voir avec lui comment continuer de soutenir mieux encore le développement économique et social tunisien, avec des partenaires que nous connaissions d’ailleurs déjà bien, certains ministres de l’actuel gouvernement étant d’anciens hauts fonctionnaires ou chefs d’entreprise avec lesquels nous avions déjà travaillé.
Cette confiance, au moment de forts changements politiques, est une véritable satisfaction pour les Européens, qui se sentent toujours aussi bien accueillis en Tunisie. Au Maroc voisin, il est tout aussi remarquable de constater qu’à peine investi par l’Assemblée nationale, le Premier ministre Abdelilah Benkirane s’est rendu au Sommet de Davos, pour expliquer à la communauté des investisseurs internationaux que le développement économique et social du Royaume était sa première priorité, et qu’il comptait sur ses partenaires…
C’est à Tunis que vous avez choisi de tenir le 8 mars prochain la Xe Conférence annuelle de la FEMIP, en présence du premier ministre Hammadi Jebali. À quelle thématique sera-t-elle dédiée ?
Philippe de Fontaine Vive – Cette Xe Conférence FEMIP de Tunis est dédiée au financement et au soutien des PME qui, en Méditerranée comme en Europe, sont les premiers créateurs d’emploi. L’idée centrale de la conférence, c’est comment éviter aux PME de subir la crise financière, cette crise qui réduit les capacités de prêt des banques commerciales à leur égard. Il s’agit donc de faire masse de notre expérience dans l’ensemble des pays de la région, puisque nous avons développé un peu plus de 50 fonds d’investissements dans ces pays. Pour la plupart d’entre eux, ce sont success stories qui permettent de voir comment de bonnes initiatives ont pu, à un moment donné, permettre à des entrepreneurs de décoller, comment des institutions de microcrédit ont pu permettre à des chômeurs de créer leur propre entreprise. C’est cela, le thème de cette conférence.
Vous venez d’évoquer l’importance du microcrédit, au Sud de la Méditerranée… et au Nord aussi, puisque lundi 20 février, à Marseille, vous avez signé un engagement de financement au bénéfice d’une institution de microcrédit…
Philippe de Fontaine Vive – Tout à fait. Nous avons tiré de notre expérience dans les pays sud méditerranéens et dans les pays de l’Afrique sub-saharienne, la leçon selon laquelle, pour sortir du chômage et permettre à de toutes petites entreprises de se développer, il est nécessaire d’avoir, à coté des réseaux bancaires, des institutions de micro crédit dédié.
Ce constat, nous l’avons partagé avec la Commission et le Parlement européens. Il fut ainsi décidé en 2011 d’élaborer un programme spécial de développement du microcrédit au sein de l’Union européenne, pour conforter les associations et les institutions de microcrédit qui ont commencé de se développer au côté du secteur bancaire.
Effectivement, lundi à Marseille, nous avons procédé à la première signature de financement d’une institution de microcrédit en France, Créa-Sol, via notre Fonds Européen d’Investissement (FEI). Créa-Sol est garantie par deux Caisses d’Épargne, celle de Provence et celle d’Alpes Côte-d’Azur. Cela signifie que la gestion et le savoir-faire sont le fait de Créa-Sol, mais que s’il devait y avoir des difficultés du point de vue de la solvabilité, les parrains que sont les deux Caisses d’Épargne régionales se portent garantes de notre prêt de 1 million d’euros – ce qui représente un changement de dimension pour l’institution Créa-Sol, et c’est un montant très significatif pour ce type prêts, qui se comptent en milliers d’euros.
Cet exemple sera observé de très près, pour voir s’il pourrait être généralisé à l’ensemble du territoire, car les micro-entreprises sont un vecteur important de création d’emplois, notamment lorsqu’il s’agit de reconversion de travailleurs ou de création de nouvelles activités.
Où en est le fonds Inframed, dédié quant à lui aux investissements importants pour le financement des infrastructures en Méditerranée, que la BEI a contribué à créer, en mai 2010, et qui semble marquer le pas, puisque sa dotation initiale de 385 M € est restée inchangée à ce jour, alors que l’objectif d’Inframed visait 1 milliard d’euros ?
Philippe de Fontaine Vive – Il est clair que la montée en puissance d’Inframed, avec nos partenaires fondateurs marocain, italien, égyptien et français n’a pas pu se concrétiser en 2011, du fait des changements historiques en cours dans la région. Nus sommes toutefois satisfaits qu’à la fin de l’année 2011, un travail est venu à maturité, qui ne pouvait pas jusqu’ici être exposé au public, mais nous allons voir très bientôt aboutir les premiers projets financés, très vraisemblablement en Turquie et au Maroc, pays qui offrent à l’heure actuelle le plus de sécurité et d’ampleur financière.
L’année dernière, en avril, vous avez aussi participé à la création de l’OCEMO, l’Office de Coopération économique de la Méditerranée et de l’Orient, également installé à Marseille, et dont vous êtes le co-Président, avec l’ancien ministre turc des finances, Kemal Derviş, maintenant vice-Président de la Brookings Institution. Vous vous étiez assigné comme priorité l’emploi des jeunes et les régions. Où en êtes-vous ?
Philippe de Fontaine Vive – Nous sommes dans la situation où il faut faire masse de toutes les bonnes volontés pour développer la Méditerranée. Ainsi nous avons estimé qu’à côté de la BEI et de la Banque mondiale, déjà présentes à Marseille, il était utile de fédérer les instituions non étatiques dans cet Office de Coopération économique de la Méditerranée et de l’Orient. Il réunit des universités, des agences d’investissement, des écoles de commerce… au total 167 entités de 27 pays, et des entreprises, afin de fédérer des initiatives purement économiques. L’OCEMO rendra public dès ce printemps un premier programme de travail.
Entrevue réalisée par Alfred Mignot à Bruxelles, le 16 février 2012
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