Un après l’éclatement de ce qu’il est convenu d’appeler "les printemps arabes", nonfiction.fr a voulu s’interroger sur l’idée de Méditerranée. Nom commun devenu nom propre pour se transformer en valeur, la Méditerranée, sorte d’unité contrariée, espace en miroir où le Nord regarde le Sud, est bien plus qu’une expression géographique censée décrire une réalité physique.
Plus qu’une catégorie propre à l’analyse sociologique, économique ou politique, c’est un symbole, un mot ouvert, évocateur, parfois incantatoire. Pour Thierry Fabre, c’est d’ailleurs ainsi et uniquement ainsi qu’elle fait sens et qu’elle doit être portée. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le fondateur de la Pensée de midi qui prépare pour l’ouverture du Mucem une exposition intitulée "Le Noir et Bleu, un rêve Méditerranéen." nous l’a rappelé : "La Méditerranée n’est pas un espace, c’est un imaginaire. (…) son identité est narrative".
La Méditerranée serait donc un récit, un mensonge qui dit la vérité. Mais quelle vérité ? Celle, sans doute, qui échappe aux oppositions dichotomiques et aux distinctions figées. Si la Méditerranée est un espace de conflits, un espace de clivages, elle est aussi le lieu du mélange, de l’emprunt et de la circulation des langues, des coutumes et des hommes. Agissant sur les imaginaires, l’évocation de la Méditerranée fait appel aujourd’hui à celle, toujours sensible, des rapports entre l’Europe et la monde musulman, rapports marqués par la méfiance, la projection et la peur. C’est la raison pour laquelle, selon Thierry Fabre, "la question méditerranéenne n’est plus extérieure à l’Europe mais intérieure et qu’elle ne concerne pas que ses villes côtières". Symbolique, la Méditerranée est un outil qui permet de penser l’Un et le Multiple, la relation, le syncrétisme, et ce, où que l’on se trouve. Elle appartient donc aux poètes plus qu’aux chercheurs, faute de pouvoir l’identifier de manière tangible.
Ainsi, pour Dorothée Schmid, chercheuse à l’IFRI, la Méditerranée n’existe tout simplement pas. Son unité proclamée sert un discours sans fondements réels au service d’une domination, discours d’autant moins opératif qu’il n’a d’écho réel qu’en France. Elle nous le rappelle, la pertinence de la notion de Méditerranée n’est pas commune à l’ensemble de l’espace Méditerranée. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Bertrand Badie a évoqué quant à lui la faible densité de la catégorie "Méditerranée" en matière géopolitique. Unique par sa concentration de conflictualités, l’espace méditerranéen est aussi la victime d’un surinvestissement politique qui, lorsqu’il instrumentalise le discours poétique et symbolique de la Méditerranée pour échafauder des constructions institutionnelles, ne peut qu’être voué à l’échec. En atteste le destin du projet d’Union pour la Méditerranée analysé à la lumière des printemps arabes par Khadidja Guemache-Mariass.
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