En dix ans, l'Afrique du nord peut devenir la Ruhr de l'Europe

Dans la mondialisation l’avenir appartient aux ensembles régionaux de plus d’un milliard d’habitants. C’est pourquoi l’Europe et la méditerranée doivent avancer vite. Repenser l’UPM qui a conclu des projets avec des dictateurs qui ne sont plus les projets prioritaires de l’heure. Sorti Israël de cet ensemble, contre compensation, est à envisager.
Les idées de Jean-Louis Guigou délégué général de l’IPEMED sont claires. Tonitruantes. Entretien.

Le projet de l’Union pour la Méditerranée (UPM), basé sur des projets de coopération économique a-t’il des chances de se concrétiser, selon la nouvelle donne des exécutifs islamistes au sud et crise financière au nord ?
Effectivement, entre les révolutions au Sud et la crise financière au Nord, le projet d’Union pour la Méditerranée doit être totalement repensé, au niveau de son cadre et de son contenu. Le cadre institutionnel, mis en place le 14 juillet 2008 n’est plus opérationnel. D’une part parce que le conflit israélo palestinien envenime les relations entre l’Europe et les pays arabes et d’autre part parce que la co-Présidence Sarkozy/Moubarak ne fonctionne plus et ne peut pas être renouvelée. Donc il faudra faire preuve d’imagination sur le plan institutionnel.
Une solution consisterait à donner une influence plus grande à la Ligue arabe. Pourquoi ne pas imaginer la création d’une Communauté, co-présidée par la représentante de la haute autorité de la Commission Européenne, Catherine Asthon et par M. Nabil El-Arabi, Président de la Ligue Arabe et qui réunirait l’ensemble des pays euro-méditerranéens, à l’exception d’Israël.
En l’état actuel, il est clair en effet que l’idée d’associer les pays arabes et Israël conduit à l’échec, sur le plan Institutionnel. Pour dédommager Israël exclu de cette union, l’Europe pourrait lui proposer un statut avancé ou une coopération renforcée. Le contenu doit aussi être radicalement repensé, car les sept projets décidés le 14 juillet 2008, avec des dictateurs et des gouvernements autoritaires, ne constituent en rien les priorités des nouveaux gouvernements islamistes.

Quelle place aura l’énergie dans la construction d’une union de la méditerranée notamment avec les projets Desertec et Plan solaire méditerranéen ?
L’Energie doit avoir une place centrale pour construire l’Union méditerranéenne. L’énergie, pour une société, c’est comme le sang dans le corps humain. En 1951, les pères de l’Europe ont imaginé un seul projet pour rapprocher la France et l’Allemagne, c’est le projet de la communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Ayant mis en commun leur source d’énergie, la France et l’Allemagne ont décidé de s’unir par le traité de Rome en 1957.
Si la France et l’Algérie lançaient cette idée d’une mise en commun de la production de la distribution et de la commercialisation de l’électricité et des énergies renouvelables, l’histoire pourrait changer en profondeur.
L’Algérie a tout à gagner dans cette communauté, y gagner des emplois par les transferts de technologies, y gagner une place géopolitique exceptionnelle avec le pétrole, le gaz et le solaire. A ce sujet, et dans une perspective à long terme, on peut imaginer que le pétrole et le gaz s’épuisent, mais aussi le charbon, l’uranium et le nucléaire.
Une seule source d’énergie est garantie, au delà de l’éolien qui est marginal, c’est le solaire qui prévaudra. Donc sur le long terme, il faut miser sur l’énergie solaire, qui, en six heures, produit ce que la planète consomme en une année. Au niveau des technologies, nous en sommes qu’au début. Les innovations vont être révolutionnaires.
Mais d’une façon générale le Maghreb a tout à fait intérêt à se lancer avec les technologies européennes dans cette grande aventure des énergies renouvelables en créant une Communauté Euro-méditerranéenne de l’Energie (CEME). L’Algérie et les pays du Maghreb doivent imposer des transferts de technologies chez eux, imposer l’industrialisation chez eux. En l’espace d’une décennie, l’Afrique du Nord pourrait attirer les industries manufacturières en grand nombre et devenir la Ruhr de l’Europe.

Vous prônez la « régionalisation de la mondialisation ». Pourriez-vous nous expliquer ce concept et sa portée stratégique pour les pays de la Méditerranée ?
Depuis la fin des conflits Est/Ouest qui opposaient le « bloc capitaliste » au « bloc communiste », et devant l’échec de la mise en place d’une régulation mondiale (Doha, Copenhague, Durban), le monde multipolaire s’organise en grands ensembles régionaux (l’ALENA - Le MERCOSUR en Amérique, l’ASEAN en Asie).
C’est la régionalisation de la mondialisation. Ces grands ensembles régionaux associent des régions du Nord et des régions du Sud et valorisent la proximité, la complémentarité et la solidarité. Souvent, ces grands ensembles régionaux se dotent de règles communes. Ils mettent en place des régulations régionales (sur les migrations, les brevets, la sécurisation des investissements…).
Les pays d’Europe ont bien avancé leur intégration régionale (6 – 9 – 15 -27 pays) et cependant ils ont négligé, jusqu’à présent, d’intégrer leur Sud. Or à l’évidence, l’avenir de l’Europe c’est la Méditerranée et réciproquement : Tout ce qui manque à l’Europe, la jeunesse, les marchés, la croissance, l’énergie, nous le trouvons à mille km au Sud et Tout ce qui manque aux pays du Sud, la gouvernance, les brevets, l’ancrage à un ensemble commun, ils le trouvent au Nord.

Comment ce présente actuellement la Régionalisation de la mondialisation en Méditerranée?
Ce phénomène est à l’œuvre et s’observe par l’intensité des échanges commerciaux à l’intérieur du « quartier d’orange ». L’Europe réalise 2/3 de ses échanges commerciaux dans l’UE. Si on y ajoute les échanges avec les pays arabes et les pays africains sub-sahariens, on arrive à plus des 3/4 de notre commerce international qui se situe dans cette Région Europe-Méditerranée-Afrique. Il est également perceptible par le découpage régional des grandes entreprises mondiales adopte de plus en plus cette division en fuseau horaire Nord/Sud (KPMG, Renault, …) ; l’organisation des hubs, aéronautiques et bancaires comme celui de Casablanca, qui est une manifestation de cette intégration régionale Europe-Méditerranée-Afrique et enfin l’emploi du temps des dirigeants politiques : Obama dans le Pacifique, les dirigeants chinois, Nicolas Sarkozy en Europe, montrent qu’ils consacrent plus de temps à construire leur Région voisine (UE, APEC, ASEAN) qu’à parader dans les G8 ou G20 qui leur paraissent moins efficaces.
Les grands ensembles régionaux qui vont gagner, dans la compétition mondiale, sont ceux qui inventeront des relations Nord-Sud originales, fondées sur le partage de la valeur ajoutée, sur la parité des décisions, sur la reconnaissance des différences et sur la responsabilité économique et sociale des entreprises.
Demain, seuls les grands ensembles qui pèseront un milliard de citoyens pourront se positionner dans la compétition mondiale. Dans un plus long terme, l’ensemble constitué par l’Europe-la Méditerranée -l’Afrique pourrait peser 3 milliards d’individus, soit le tiers de la population mondiale en 2040. En somme, au delà des grandes difficultés passagères (crise au Nord, Révolution au Sud), le rapprochement des rives de la Méditerranée est à l’œuvre, poussé par l’économie.
Par Ferhat Yazid Maghrebemergent.info

1 commentaire:

Energie et développement a dit…

Oui, mais est-ce vraiment raisonnable d'exporter de l'électricité depuis le continent le moins électrifié de la planète ?

http://energie-developpement.blogspot.com/2012/02/medgrid-critique-afrique-solaire-hvdc.html