En ces temps de froid quasi-polaire, il est risqué de s’aventurer dans le "Nord" de la France lorsque l’on est Marseillais… Pourtant, nous avons voulu tenter l’aventure lyonnaise pour aller assister à une conférence sur le thème : "Jeunesses euro-méditerranéennes : de l’indignation à l’engagement". Et les interventions valaient le détour !
Réunissant des universitaires, des professionnels de la jeunesse et des élus, l’évènement était la conclusion de quatre jours de séminaires, sur le campus de la faculté Lumière-Lyon 2, où tous avaient pu échanger et travailler sur cette question complexe : "Comment soutenir l’engagement des jeunes dans la construction d’un nouvel espace de stabilité et de prospérité en Euro-Méditerrannée ?"
Orientalisme occidental
Le Printemps arabe, au cœur de l’actualité depuis plus d’un an maintenant, était le point de départ des débats. "Printemps arabe", "Révolution de jasmin", "Révolutions arabes",… Des termes romantiques qui ont contribué à un engouement occidental teinté d’orientalisme, avec une vision du désir de l’orient que l’on veut toujours reconstruire. "Tout le monde a été amoureux des Révolutions arabes", a-t-on pu entendre à la tribune, peut-être une allusion à la réputation romantique des français !
Toujours est-il que le ton était donné, appuyé par les arguments des "experts" qui nous ont amenés à endosser de nouvelles lunettes pour regarder les évènements. Et des lunettes, ils en avaient justement de différentes par leurs fonctions, par leurs origines et par leurs parcours.
Je mettrai donc l’accent sur leurs interventions, plutôt que sur celles des élus et institutionnels qui ont suivi. En effet, le discours quelque peu franco-français avait des allures de campagne électorale qui pouvaient apparaitre comme déplacées vis-à-vis des délégations étrangères qui avaient fait le déplacement.
Le premier expert à intervenir, François Burgat, directeur de l’Institut Français du Proche-Orient s’est avant tout présenté comme un homme qui vivait depuis plus de vingt ans au Proche et Moyen-Orient, et qui, en parlant l’arabe, a tenté de se rapprocher des peuples de ses terres d’adoption pour mieux les comprendre.
Politique et religion
Il s’est efforcé de remettre en cause "notre vision du Printemps arabe" en la dépeignant comme "un processus perçu au Nord comme libératoire qui a été suivi d’élections de partis (les partis islamistes), perçus comme antinomiques à ce processus libératoire". Mais il a précisé que le statut de ces forces politiques était plus complexe que l’image qu’on leur avait donnée.
Selon lui, le fait que les courants islamistes aient pris une place dans la société ne prédétermine pas les comportements sociaux. Il évoque le retour du "parler musulman", c'est-à-dire l'usage par les citoyens du monde arabe de la terminologie de la culture musulmane, qui autorise une grande variété d'actes, d'attitudes et de comportements politiques, en précisant que "cela invite à la complexité, qui est le bien le plus précieux que nous avons sur terre".
Pour décrypter ses propos, nous ferons référence à l’historien Bernard Lewis qui, dans son ouvrage "Le pouvoir et la foi", explique que contrairement au monde chrétien, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et donc de la foi et du pouvoir, n’est pas si évidente que cela dans le monde musulman, et est inhérente à l’influence récente de l’Occident. Vous avez dit complexité… ?!
La seconde experte que nous présenterons, est Gema Martin Munoz, directrice de Casa Arabe [en espagnol] à Madrid. A la suite des propos de François Burgat, elle nous a expliqué que nos stéréotypes ne nous permettaient pas de voir qu’il existait des mouvements sociaux dans le monde arabe bien avant les Révolutions.
La place des femmes
Ainsi, a-t-elle développé, les Révolutions ont suscité une certaine surprise liée aux visions traditionnelles de l’orientalisme : la surprise de voir ces sociétés arabes se soulever, sociétés que l’on considérait comme figées dans le temps, pré-déterminées par l’islam. Dans cette idée, elle nous explique que nos sociétés sont empreintes de fétichisme, par exemple sur la question des femmes, où notre attention s’est arrêtée au port du foulard, du niqab ou du hijab.
Aussi la participation active des femmes en première ligne des revendications a, selon elle, quelque peu endommagé le cliché de la "femme orientale, musulmane, passive, soumise". Complexité des réalités des femmes dans ces pays en profond changement où les femmes sont dans l’espace public depuis longtemps…
Islamisme, condition des femmes,… vous l’aurez compris, ces professionnels n’ont pas évité les sujets tabous, et ils ont même largement pris position, appuyés par des arguments historiques, sociologiques, voire politiques (en tant que discipline).
Réseaux sociaux
Le troisième expert qui est intervenu, Fadi Salem [en anglais], a apporté une vision de la Syrie dont il est originaire, et de Dubaï où il dirige le programme "Gouvernance et Innovation" de la Dubaï School of Government [en anglais]. Il nous a présenté le rôle des médias sociaux dans le printemps arabe, sous trois angles : the good (le bon), the bad (le mauvais) and the ugly (le lamentable).
Il a exposé une étude [en anglais] sur le rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes, notamment le rôle de Facebook. Dans le "bon", on retrouve l’usage nouvellement politique qui est fait de ce réseau social, avec des appels à protestation qui ont été lancés sur Facebook et qui se sont traduits dans les faits par des manifestations dans les rues. Mais dans le "mauvais", intiment lié à cette constatation, on retrouve les censures des gouvernements, qui en Tunisie, en Egypte et en Lybie, ont été jusqu’à la coupure complète d’internet, voire même de l’électricité.
Et lorsque l’on bascule dans le "lamentable", on voit des réseaux sociaux qui deviennent le terrain privilégié de propagandes, de campagnes haineuses et des bloggeurs qui font l’objet de pressions et encourent des risques d’emprisonnement.
Ceci n’est qu’un aperçu de ce qui a été dit lors de cette conférence et peut-être permettra-t-il d’ouvrir le débat et de donner à chacun l’occasion et l’envie d’élargir son champ de vision sur l’Euro-Méditerranée et plus largement sur le monde.
Cet article est également à retrouver sur le site du Lyon Bondy Blog.
Par Pascaline
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