Ahmed Néjib Chebbi est sans concession sur l'état de son pays, la Tunisie. Figure de l'opposition et fondateur du Parti démocrate progressiste (PDP), il considère que « la Tunisie est très mal partie ». Quatre mois après l'arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda, il regrette « un blocage économique, hérité de la révolution ».
« L'investissement ne se fait pas, donc il n'y a pas de création d'emplois, poursuit-il, alors que la croissance du PIB a atteint un faible 0,2 % en 2011 et que les investissements étrangers ont chuté de 25 % en moyenne . Le tourisme est paralysé. Les exportations ont baissé. Or, face à ces attentes énormes, le pays fait du surplace. » Dans cette Tunisie qui « ne s'est pas effondrée mais qui vit au ralenti », il « ne voit pas le bout du tunnel ». L'année 2012 sera « difficile », a prédit la Banque centrale de Tunisie en évoquant la baisse du rythme de création d'emplois et la hausse du taux de chômage.
Les Tunisiens rejetteraient-ils déjà ceux qu'ils ont élus il y a quatre mois ? « Non, rétorque Ahmed Néjib Chebbi. On est loin du rejet qu'on a connu sous l'ancien président Ben Ali. » Il distingue en fait trois catégories de populations. « Ceux d'en bas, les laissés-pour-compte et les chômeurs, sont dans une confrontation directe avec le représentant de l'Etat au niveau local -le sous-préfet ». Quelle que soit sa couleur politique, c'est de lui seul qu'ils attendent une amélioration de leur situation. La bourgeoisie libérale est « beaucoup plus frileuse » et craint pour ses libertés et sa sécurité. Quant aux couches moyennes, « elles ont peur pour leur emploi et leur pouvoir d'achat, car les salaires ne bougent pas tandis que les prix flambent. Ces couches moyennes qui représentent la grande masse des Tunisiens sont dans la déception. »
Après l'échec de l'opposition dite « démocrate » à se rassembler lors de l'élection du 23 octobre, le PDP et d'autres préparent la relève pour la prochaine échéance électorale. Le PDP, Afek et le Parti républicain (PR) doivent fusionner lors d'un prochain congrès fédérateur prévu du 17 au 19 mars. Tous les partis dits démocrates et sociaux n'ont cependant pas réussi à s'unir, Ettajdid, le Parti du travail tunisien (PTT) et le Pôle démocratique moderniste (PDM) tentant eux aussi de se rassembler. Au-delà du rapprochement des partis, il faut avant tout qu'ils « s'implantent dans la population et tiennent compte des préoccupations populaires », insiste-t-il. Car, même si « la vie tourne normalement », à Tunis, « le climat est morose et il y a beaucoup d'inquiétudes ». Nourries par la situation économique mais aussi « par la tentation de mettre au pas les médias » et par un salafisme qui se développe « avec la complaisance du gouvernement et qui peut faire le lit de la violence politique », conclut-il.
Par Nicolas Barré et Marie-Christine Corbier, Les Echos
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