C'est un constat sans appel : en Tunisie, au Maroc ou en Algérie, le nombre de documentaires explose, les films du réel sont devenus hégémoniques dans le paysage cinématographique. Pour s'en
rendre compte, il suffit d'
examiner la programmation des rencontres du "Maghreb des films", organisées à
Paris, du 28 novembre au 4 décembre, au
cinéma Les Trois Luxembourg – les autres salles partenaires, en banlieue parisienne et en région, sont listées sur le site
maghrebdesfilms.fr.
A l'affiche, des longs-métrages et des courts inédits, une thématique sur les films tunisiens après la révolution (avec un hommage aux cinéastes
Mohamed Zran et Nadia El Fani), un focus sur "le souffle nouveau du cinéma algérien", une sélection des dernières productions marocaines, marquées par une forte présence de femmes réalisatrices.
Enfin, lors d'une table-ronde, samedi 1
er décembre, au cinéma La Clef, à Paris, à
partir de 10 heures, des professionnels, des réalisateurs et des critiques tenteront de répondre à cette question : "Quelle révolution tunisienne à travers les films ?".
Rencontre avec
Catherine Arnaud, l'une des programmatrices de l'événement et spécialiste du cinéma arabe.
Les images sur la révolution tunisienne et les autres soulèvements sont à jet continu, depuis plus d'un an. Dans toute cette matière, vous avez trouvé des œuvres qui témoignent d'un geste singulier, ou d'une esthétique nouvelle ?
Oui, on assiste à un nouvel âge d'or du documentaire. Il y a à
dire et à
filmer, il y a un bouleversement des écritures. Par exemple, on a trouvé intéressant de
confronter deux
points de vue sur les premiers
sittings en Tunisie, après le départ de Ben Ali. Dans
Fallega (2011), le jeune réalisateur Rafik Omrani filme la marche des jeunes venus des quatre coins de la Tunisie, en direction de la place du gouvernement à la Kasba. Le peuple a pris le
pouvoir, c'est comme une prise de la Bastille tunisienne, ce sont des
rushes de l'histoire du pays.
Sur le même thème, on peut
voir Dégage, le peuple veut de Mohamed Zran, qui nous montre sur le vif la révolution tunisienne et en résume toutes les phases.
On est à un tournant dans la production cinématographique. Les grands festivals de Dubaï, de Doha ou d'
Abu Dhabi ne s'y trompent pas : ils sont à la recherche de nouveaux talents et demandent la présentation en exclusivité des œuvres. Cette année, il nous manque ainsi quatre ou cinq films qui sont "partis" dans ces festivals. On peut espérer que les cinéastes vont
pouvoir faire des films plus facilement...
Comment qualifiez-vous le "souffle nouveau" venu d'Algérie ?
On n'a pas voulu utilisé le terme "nouvelle vague", car ces films passionnants sont signés par des cinéastes de tous âges. Ce n'est pas une question de génération qui en bousculerait une autre. Ce qui relie tous ces auteurs, c'est leur volonté farouche d'indépendance, au point que certains refusent les aides de leur pays !
Quelques-uns sont déjà très identifiés, comme
Ahmed Zir : nous avons choisi de
projeter le court-métrage
Solo (1990), tourné en super 8, qui raconte le quotidien d'un jeune homme sans
emploi en 3 minutes et 34 secondes. Ahmed se définit comme un cinéphile et cinéaste indépendant , il a déjà réalisé 45 films en super 8 et a reçu plus de 35 prix nationaux et internationaux (outre
Solo,
Illusions,
Seuls les oiseaux,
Repères,
Cessez-le-feu...). Les œuvres sélectionnées vont de l'essai poétique au pamphlet.
Parlez-nous des essais poétiques...
Alors, je citerai le documentaire franco-algérien de
Mohammed Lakhdar Tati,
Dans le silence, je sens rouler la terre (2010) : un jeune homme
enquête sur les camps que l'Algérie avait ouverts en 1939, à la fin de la guerre civile espagnole, pour
accueillir des milliers de familles espagnoles. C'est une plongée dans l'Algérie de 2009.
Autre essai poétique, et subversif,
Djoûû (2010), de
Djamil Beloucif : c'est l'une des rares fictions algériennes au programme, et c'est l'histoire d'une rencontre entre deux clandestins qui ont faim de liberté –
djoûû signifie faim en arabe.
Il y a encore ce ciné tract franco-algérien intitulé
Le Manifeste des ânes (2010), de
Lamine Ammar-Khodja, et bien d'autres films encore...
L'arrivée des femmes cinéastes, dites-vous, est un autre phénomène marquant dans les pays du Maghreb...
Effectivement, il y a une impressionnante concentration de talents féminins depuis dix ou quinze ans. Moi qui ai participé à une quinzaine de biennales du cinéma arabe, à l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris, je peux en témoigner !
Dans cette programmation, je pense en particulier au film de
Hinde Boujemaa,
C'était mieux demain (2012), un documentaire aux allures de fiction : dans le tumulte d'une révolution, une femme erre d'un quartier à l'autre, à la recherche d'un toit. Cela fait
penser à
Rome, ville ouverte (1945), de Rossellini. Nous venons d'
apprendre que la réalisatrice Hinde Boujemaa va
arriver à Paris et participera à la table-ronde, samedi
Par Clarisse Fabre - Source de l'article LeMonde