À deux mois de son terme, le programme européen Lactimed, coordonné par Anima Investment Network et destiné à développer la filière des produits laitiers typiques et innovants de la Méditerranée, affiche des succès concrets.
Les producteurs de Sicile, Grèce, Liban, Tunisie et Égypte ont bénéficié de ce dispositif pour développer leur production et se lancer dans de nouveaux projets innovants.
Emmanuel Noutary, délégué général d'Anima Investment Network qui coordonne le programme Lactimed (photo F.Dubessy) |
Renforcer la production et la distribution de produits laitiers typiques et innovants en Méditerranée par l'organisation des filières locales, l'accompagnement des producteurs dans leurs projets de développement et la création de nouveaux débouchés pour leurs produits. Tel est le credo du programme Lactimed. Depuis novembre 2012 et d'ici à mai 2015, une centaine d'opérations se sont ou vont se dérouler dans tout le bassin méditerranéen. Cinq territoires pilotes ont été désigné pour organiser des semaines de produits laitiers : les gouvernorats d'Alexandrie et de Beheira en Égypte, ceux de Bizerte et de Béjà en Tunisie, les régions de la Bekaa et de Baalbeck-Hermel au Liban, de Sicile (Italie) et de Thessalie (Grèce). Une première étude a permis d'identifier soixante produits laitiers typiques dans ces territoires et d'interroger 389 acteurs de la filière laitière.
Le diagnostic laisse apparaître de nombreux besoins comme la faible notoriété de la production fromagère (Sicile), le manque de coopération et de compétitivité (Grèce), une qualité insuffisante du lait et des défis importants pour sa collecte (Liban), des problèmes de qualité et de collecte mais aussi de garanties de prêts (Tunisie) et manque de centres de collecte et de moyens de transports sûrs et fiables (Égypte).
Mardi 31 octobre 2015, au cours d'un rendez-vous d'étape organisé à la Villa Méditerranée à Marseille, Emmanuel Noutary a pu présenter les premières avancées. Son équipe coordonne ce programme accompagné par douze partenaires du Sud et du Nord de la Méditerranée. Lactimed s'adresse aux PME/TPE de la filière laitière mais aussi aux structures d'appui et aux acteurs de la petite, moyenne et grande distribution comme des acteurs agro-industriels, des opérateurs du tourisme et de la restauration et des autorités nationales et locales. Le programme bénéficie d'un budget de 4,8 M€ financé à 90% par l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) de l'Union européenne.
Le manque de valorisation est pénalisant
Etape marseillaise pour Lactimed avec de gauche à droite, Kamel Mabrouki (BNA), Aurélien Baudoin (Anima), Selma Tozanli (IAMM), Emmanuel Noutary (Anima) et Zied Ben Youssef (lauréat tunisien du concours Lactimed) - (Photo F.Dubessy) |
"Les produits laitiers commencent à se marginaliser. Les petits producteurs deviennent de plus en plus concurrencés par les grandes entreprises multinationales. Ils affrontent de nombreuses contraintes en amont avec une alimentation animale représentant les 4/5e de leur coût de production, mais aussi en aval par manque de marché pertinent pour ces petites entreprises très locales. Il faut élargir le marché, faire connaître leurs produits aux urbains qui mangent du standardisé mais aussi trouver des débouchés à l'international, capté aujourd'hui par les grandes entreprises " affirme Selma Tozanli, chercheuse enseignante à l'Institut agronomique de Montpellier (IAMM) et experte scientifique sur le programme.
Comme le note Aurélien Baudoin, chef de projet Lactimed, "le manque de valorisation est pénalisant. Ainsi en Sicile nous avons trouvé des fromages bios qui ne sont pas connus en dehors de l'île. Nous avons donc créé un site web pour leur permettre de commercialiser leurs produits." Démarche identique en Égypte avec la réunion d'une centaine de villageois pour organiser leur propre collecte de lait avec des motos équipées de citernes réfrigérées, sans passer par les collecteurs très puissants qui font non seulement des pressions sur les prix mais utilisent de simples bidons pour transporter le lait.
10 000 € pour les lauréats des concours Lactimed
Des fromages locaux méconnus sont remis à l'honneur par Lactimed (photo F.Dubessy) |
La solution passe aussi par la création, en cours, de clusters. "Il faut mieux coordonner les différents acteurs de la filière. Éleveurs, transformateurs et affineurs doivent avoir confiance les uns avec les autres et travailler ensemble " ajoute Selma Tozanli.
Un réseau méditerranéen se constitue grâce à Lactimed. Déjà sept projets de cluster se trouvent sur les rails pour permettre la mise en commun des ressources et des compétences.
Il faut aussi jouer sur l'innovation. "pour l'encourager, nous avons organisé, dans chaque pays pilote, un concours pour les producteurs. Sur les cinquante projets présentés, trente-huit ont été préselectionnés pour bénéficier d'un accompagnement spécifique durant deux mois. Une finale a permis de désigner deux lauréats par territoires qui ont reçu 10 000 € chacun pour développer leur projet " explique Aurélien Baudouin. Parmi les vainqueurs figurent un Kechek vert produit par une coopérative de femmes ou un labneh aromatisé bio au Liban, le développement de ferments lactiques fermiers autoproduits en Sicile, la production de beurre de chèvre aromatisé en Grèce ...
La BNA lance deux outils financiers innovants pour aider la filière
Zied Ben Youssef, éleveur de brebis et producteur de fromages à Béja en Tunisie, va créer un restaurant dans sa bergerie (photo F.Dubessy) |
Le besoin de financement se trouve au cœur de toutes ces problématiques. "Surtout au niveau du maillon faible de la filière, le producteur éleveur" reconnaît Kamel Mabrouki, directeur régional de la Banque nationale agricole (BNA) à Béja en Tunisie. Très intéressé par le programme Lactimed, son établissement a donc lancé deux nouveaux produits financiers : un prêt garanti par la caution morale du centre de collecte (investissements, acquisition de cheptel ou de matériel) et un prêt fonds de roulement pour permettre de mieux passer les périodes de basse lactation. "Déjà 153 agriculteurs ont pu bénéficier de ces crédits" souligne Kamel Mabrouki. Il espère prochainement proposer des prêts cautionnés par la centrale pour toute la filière.
Zied Ben Youssef, propriétaire de la Fromagerie artisanale de Béja, a été l'un des bénéficiaires. Ce lauréat en Tunisie du concours Lactimed se lance dans un projet d'agro-tourisme avec la création d'un petit restaurant, séparé par des baies vitrées, dans sa fromagerie. "Après avoir été d'abord éleveur de brebis puis m'être lancé aussi dans la fabrication de fromages avec mon lait, il s'agit d'un nouveau métier pour moi. Et la possibilité d'accueillir des groupes pour mieux faire connaître mes produits dans leur environnement" dévoile-t-il. La BNA a octroyé un prêt de 70 000 € à cet ancien international de rugby tunisien pour transformer son projet en réalité.
Zied Ben Youssef ne tarit d'ailleurs pas d'idées, puisqu'il envisage, dans quelques années, de créer des produits cosmétiques avec du lait de brebis. Une nouvelle corde à son arc.
Par Frédéric Debussy - source de l'article Econostruminfo
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