Selon les derniers chiffres du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU, plus de 300.000 migrants ont traversé la Méditerranée depuis le début de l’année et plus de 2500 y sont morts.
L’année 2014 constituait déjà le record du nombre de morts en Méditerranée avec près de 3 500 morts en mer (nombre qui n’inclut pas les disparus).
Mare nostrum qui incarnait un espace de libre circulation symbolise aujourd’hui une muraille voire un tombeau maritime pour nombre de ceux qui, poussés par la force du désespoir, s’aventurent dans un au-delà synonyme de survie plus que d’eldorado. Depuis ces derniers mois, la majorité des migrants sont en effet des réfugiés cherchant la paix et l’asile, fuyant la guerre en Syrie, la répression en Erythrée et la violence persistante en Afghanistan, en Somalie, au Nigeria, en Irak et au Soudan.
Malgré le caractère exceptionnel de cette crise migratoire, dont la Méditerranée est le théâtre, l’épisode actuel s’inscrit dans une histoire. Si, depuis les Trente Glorieuses, le mouvement migratoire se concentre dans le sens Sud-Nord, sa forme (de plus en plus illégale et clandestine) et sa nature (de plus en plus liée à l’instabilité et insécurité régionale) ont évolué. Les franchissements irréguliers des frontières recensés sont le fait de flux mixtes de migrants au sein desquels les Etats doivent distinguer les demandeurs d’asile des autres migrants sans visa ni passeport, principalement des migrants pour motifs économiques. Les flux migratoires clandestins vers l’Europe mêlent aussi migrants économiques et migrants « politiques ». La pauvreté qui frappe certaines régions de la rive sud et d’Afrique subsaharienne, ainsi que les conflits civils et militaires qui ébranlent des Etats méditerranéens ou relevant de leur voisinage proche (Libye, Syrie) continuent de susciter des candidats à l’immigration en provenance de la Méditerranée et d’au-delà : Asie centrale, Moyen-Orient, Afrique subsaharienne.
Les mouvements migratoires en Méditerranée ont une histoire. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, apparaissent des courants migratoires du Sud vers le Nord, principalement en vue de la reconstruction de l’Europe du Nord-Ouest. Cette main-d’œuvre bon marché répondait au besoin de combler un déficit permanent de force de travail. Les travailleurs maghrébins (surtout Algériens) de la rive sud côtoyaient alors les immigrés de la rive nord (des Italiens essentiellement). Ralentis par la grande crise des années 1930, ces flux migratoires reprennent avec une intensité supérieure, pour la reconstruction de l’Europe de l’après-Seconde Guerre mondiale. Parmi ces flux, les Italiens et les Espagnols étaient majoritaires aux côtés des Grecs, Yougoslaves et Portugais (M. Poulain, 1994). Les années 60 constituent un tournant important : le développement économique des pays de la rive nord a réduit l’émigration des Italiens, puis des Espagnols. Parallèlement, la Turquie et le Maroc sont devenus d’importants pôles d’immigration vers l’Europe. En outre, l’indépendance des pays du Maghreb – y compris après la guerre d’Algérie – ne marque pas la fin de l’immigration issue de la rive du sud-ouest, au contraire.
Les Trente Glorieuses ont été marquées par les migrations de travailleurs du Sud vers les pays en reconstruction de la rive nord de la Méditerranée, animés par une forte croissance économique et un besoin de main-d’œuvre ouvrière, non qualifiée et à bas coût. Le premier choc pétrolier, les changements structurels dans l’industrie et la fin du plein emploi en Europe ont profondément changé les données du problème migratoire et influer profondément sur le degré d’intensité, la nature, le contenu et la destination des flux en provenance du Sud. En affectant la croissance, la crise a remis en cause les politiques d’immigration suivies par les pays industrialisés européens. Les années 1970 correspondent ainsi au déploiement des politiques nationales et européennes, et les partenariats régionaux et bilatéraux se multiplient en vue de lutter contre ces flux migratoires.
Pourtant, ce changement de politique migratoire n’a pas mis fin aux flux migratoires entre les deux rives. Loin s’en faut. Sa nature a « simplement » évolué et s’est diversifiée. L’immigration clandestine et illégale a augmenté progressivement, avant de se stabiliser. Malgré les entraves juridiques et administratives et les moyens logistiques et coercitifs mis en place contre la libre circulation et les transméditerranéens, le volume des flux migratoires des pays des rives sud et est vers l’Europe ne cesse d’augmenter.
En outre, les dynamiques migratoires de ces dernières décennies ont été bouleversées. Les pays d’émigration (Europe du Sud, à l’exception de la France, et Balkans) sont désormais des espaces d’immigration. Les pays de la rive sud sont également des pays d’immigration pour des populations subsahariennes qui veulent le plus souvent franchir la mer pour atteindre l’Europe. Une partie d’entre elles n’hésite plus à s’établir durablement dans les métropoles littorales de la rive sud (au Maghreb). La rive nord (et donc l’Europe) ne sont pas la destination exclusive des migrants du Sud, qui tendent à se tourner vers deux pôles économiques distincts : les pays du Golfe et l’Amérique du Nord. Il faut aussi signaler les déplacements inter-sahéliens et inter-maghrébins temporaires. Au vu des « révolutions » locales et du pourrissement du conflit syrien, ces mouvements de population pourraient encore s’intensifier en Méditerranée et au-delà…
Par Béligh Nabli - Source de l'article l'Economistemaghrebin
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