Tandis que la France veut se relancer en Afrique, où ses parts de marché s’érodent depuis quinze ans, le Maroc y déploie une diplomatie économique volontariste. D’où l’idée d’un « partenariat stratégique » entre les deux pays.
En 2012, la part de l'Afrique dans les exportations françaises s'élevait à 6,5 % et celle des importations à 5,6 %. Le solde positif, 1,5 milliard d'euros, n'avait pourtant rien de superlatif, comparé aux 2,9 milliards d'euros de 2010 et aux 3,2 Mds € de 2009. En fait, la part de marché de la France en Afrique s'est effondrée quasiment de moitié en douze ans, passant de 10,1 % en 2000 à 5,8 % en 2012. Pendant ce temps, la part de la Chine passait de 10,5 milliards de dollars en 2000 à plus de 200 milliards en 2013, ce qui fait de l'Empire du Milieu le premier partenaire commercial du continent noir, avec 13,5 % des échanges commerciaux africains.
Ainsi, malgré les critiques anciennes et récurrentes de la classe politique de gauche à l'encontre de la « Françafrique », l'année 2013 aura été marquée par la prise de conscience au plus haut niveau de l'importance de relancer les relations économiques avec l'Afrique. C'est l'objet même de la Fondation Africa France(cf. La Tribune n° 129 du 24 avril 2015), voulue par François Hollande, créée en 2014 et présidée par Lionel Zinsou, ancien président de PAI Partners, devenu en juin dernier Premier ministre du Bénin.
Dans ce contexte, en quoi le Maroc fait-il figure de partenaire potentiel privilégié pour la relance économique de la France en Afrique ? La réponse est dans la réalité des chiffres, mais pas seulement... En effet, sur les 71,4 milliards de dollars d'échanges commerciaux réalisés par la France avec l'Afrique en 2014, près de la moitié l'a été avec le Maghreb central : 14 milliards de dollars avec l'Algérie, 9,8 Mds $ avec la Tunisie, 9,8 Mds $ avec le Maroc. Au-delà des simples chiffres, c'est pourtant bien le Maroc qui apparaît comme le partenaire idéal : son économie est incomparablement plus diversifiée que celle de l'Algérie, dont 98 % des recettes d'exportation sont issues des seuls hydrocarbures ; la capacité de projection internationale de ses entreprises de premier plan dépasse largement celle de l'Algérie comme de la Tunisie ; le pays est celui des trois qui inspire le plus confiance, notamment aux institutions et investisseurs internationaux.
Les relations entre la France et le Maroc se sont d'ailleurs établies depuis une vingtaine d'années à un niveau que l'on peut estimer irréversible. Ainsi la France est demeurée en 2014 le deuxième partenaire commercial du Maroc, juste derrière l'Espagne, et la relation entre les deux pays tend à s'équilibrer, le solde commercial en faveur de la France ne s'établissant plus qu'à 159 millions d'euros, l'année dernière.
Cependant, la présence des grandes entreprises françaises au Maroc est inégalée : presque tout le CAC 40 est sur place ; la France y est, de loin, le premier investisseur avec 37 % du stock d'IDE ; quelque 750 filiales d'entreprises françaises y emploient 80 000 personnes et la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc, à Casablanca, est de très loin la première chambre étrangère du royaume, avec plus de 3 000 entreprises adhérentes. D'autre part, certaines implantations françaises, c'est un fait reconnu, ont contribué d'une manière décisive à la double révolution industrielle à l'œuvre dans le royaume : Safran en l'an 2000 pour l'industrie aéronautique, et Renault pour l'industrie automobile, depuis 2012 (lire pages 3 et 4). Au reste, il ne se passe guère de temps sans que des implantations nouvelles ou des renforcements de présence françaises ne soient déployées au Maroc.
Les entreprises françaises continuent d'affluer au Maroc...
Exemple récent, celui d'Orange. Fin juillet, le groupe a acquis 9 % supplémentaires du capital de Médi Télécoms (31 % du marché marocain), détenant désormais 49 % du capital et le contrôle du conseil d'administration. Une opération dans la droite ligne du plan stratégique Essentiels2020, annoncé an mars dernier par le président du groupe, Stéphane Richard, qui a pour ambition de faire d'Orange un opérateur téléphonique « paneuropéen et panafricain ».
Au-delà d'exemples que l'on pourrait multiplier, en quoi le Maroc, qui affiche une grande volonté d'ouverture internationale et un fort tropisme stratégique africain, est-il intéressé par un « partenariat stratégique » avec la France ? C'est que, si l'on regarde la réalité des chiffres, le commerce marocain est, aujourd'hui encore, surtout tourné vers l'Europe. Celle-ci est toujours le premier client du royaume chérifien, et son poids semble même repartir à la hausse, avec des exportations marocaines passant de 61,7 % en 2012, à 67,6 % en 2014. L'Europe est aussi le premier fournisseur du Maroc, avec 61,3 % des importations marocaines en 2014, contre 57,0 % en 2010.
Or la France n'est pas seulement le premier (ou le second selon les années, au coude-à-coude avec l'Espagne) partenaire commercial européen du Maroc : nombre de ses entreprises sont (encore) des poids lourds à l'œuvre sur le continent africain. Cette double qualité épouse donc idéalement la stratégie économique du Maroc sur le continent, avec l'idée que le royaume peut s'affirmer comme la plateforme africaine privilégiée pour les multinationales, à commencer par les Européennes.
Cette convergence d'intérêts paraît d'autant plus prometteuse que la France ne manque pas d'atouts pour se relancer sur le continent.
... et certaines sont encore très puissantes en Afrique
D'une part, son stock d'IDE en Afrique subsaharienne a été multiplié par quatre ces dernières années, passant de 6,4 milliards d'euros en 2005 à 23,4 Mds € en 2011 ; d'autre part, elle demeure un acteur économique majeur en Afrique de l'Ouest : au sein des 14 pays utilisant le franc CFA, les entreprises françaises résistent plutôt bien à l'avancée chinoise, avec une part de marché encore à 17,2 % en 2014, contre 17,7 % en 2011 ; enfin, les entreprises françaises implantées sur le continent y restent chefs de file dans plusieurs domaines : Total est l'une des plus grandes compagnies d'exploration et d'exploitation d'hydrocarbures du continent ; Alstom a installé 80 % du parc des turbines des centrales de l'électricien national sud-africain Eskom ; Schneider Electric compte 2 500 collaborateurs répartis dans une quinzaine de pays ; Sanofi y réalise 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires ; le groupe Bolloré a lancé, le 9 septembre, les travaux de réhabilitation de la voie ferrée de 1 260 km reliant la capitale ivoirienne Abidjan à Ouagadougou (Burkina Faso), avec un investissement de 400 millions d'euros sur cinq ans ; avec Nareva Holding, Engie (ex-Gdf Suez) a développé en 2014 dans le sud du Maroc le parc éolien de Tarfaya (301 MW, le plus grand d'Afrique, 450 m € d'investissement) et les deux entreprises seront aussi partenaires, toujours à 50-50, sur un projet électrique majeur, la future centrale à charbon de Safi au sud de Casablanca - un projet à 2,3 milliards de dollars pour 1 386 MW de capacité...
Et sans prétendre à l'exhaustivité, tant s'en faut, citons enfin le cas de la Société générale : présente sur le continent depuis plus de cent ans, cette banque française qui compte déjà plus de 1 000 agences dans 18 pays, a annoncé au printemps un plan pour accélérer son développement en Afrique, tant par la création d'agences (50 à 70 par an) et l'ouverture de nouvelles filiales, que par des acquisitions ciblées - un plan auquel la banque va allouer près de 4 milliards d'euros de ressources supplémentaires (RWA).
Tel est le contexte - le terreau, pourrait-on dire - dans lequel se développe depuis au moins dix ans l'idée d'un « partenariat d'exception » franco-marocain - une vision promue dès 2005 par le Groupement d'impulsion économique franco-marocain (GIEFM) coprésidé à l'époque par Jean-René Fourtou et Mustapha Bakkoury. Aujourd'hui, dépassant la relation bilatérale, ce partenariat devient « stratégique » et se fixe un nouvel horizon, l'Afrique. Un point de vue largement partagé lors de la rencontre de haut niveau du 28 mai dernier à Paris, à laquelle ont participé des ministres des deux pays - dont les deux Premiers - mais aussi quelque 300 « grands » entrepreneurs rassemblés par le Medef et la CGEM, son alter ego marocain.
Le cheminement vers un partenariat stratégique
Côté français, c'est le groupe AccorHotels, présent avec toutes ses marques et 37 hôtels au Maroc, qui témoigne avoir« naturellement » choisi Casablanca pour y établir son siège Afrique en 2014, déclare Jean-Jacques Dessors, le DG Afrique ; c'est aussi le cas du groupe Nexans, leader mondial du câblage, présent au Maroc depuis cinquante ans, qui entend s'appuyer sur les compétences développées au Maroc - « c'est en Afrique le pays le plus compétent dans le développement des réseaux », affirme Frédéric Vincent, le PDG - pour rayonner sur le reste de ce continent où 600 millions d'habitants n'ont pas encore accès à l'électricité ; c'est encore le cas de Thierry de Margerie, vice-président Afrique d'Alstom - l'entreprise a remporté en 2014 le plus gros contrat de son histoire, soit 600 trains de banlieue à fournir en dix ans à l'Afrique du Sud - qui propose aux Marocains de « construire ensemble une industrie que nous exporterons ensuite vers l'Afrique »...
Autant de messages reçus positivement par les Marocains, et que Mohamed El Kettani, PDG de Attijariwafa Bank (1e banque du Maghreb) et coprésident du Club des chefs d'entreprise France-Maroc (successeur du GIEFM) a résumé en relevant« l'opportunité historique de projection du couple franco-marocain en Afrique (...) Un partenariat stratégique d'exception qui s'inscrit dans la durée et qu'il faut élargir aux PME et TPE, tout en consolidant la coopération entre les grands groupes »,a-t-il conclu lors de cette rencontre du 28 mai 2015.
Source de l'article La Tribune
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