Méconnue et parfois mal-aimée pour de mauvaises raisons, l'Union pour la Méditerranée (UpM) est-elle à l'aube d'un retour en force sur le devant de la scène ?
La révision en cours de la PEV (Politique européenne de voisinage) pourrait en effet conduire à lui conférer un rôle renforcé. C'est en tout cas ce qu'incite à penser la récente et très laudative Déclaration de Tanger du Dialogue "5+5".
Ces dernières années, certains hommes politiques et observateurs ont pu penser que l'Union pour la Méditerranée (UpM), née en juillet 2008 de la volonté du président français Nicolas Sarkozy, n'était au fond qu'une institution mort-née.
L'évolution de la situation au sud semblait leur donner raison. À partir de janvier 2011 et la chute de Ben Ali en Tunisie, suivie par la déferlante des "printemps arabes" dans plusieurs autres pays, plusieurs parmi les signataires invités en grande pompe à Paris lors de l'assemblée constitutive de l'UpM, en juillet 2008, disparurent rapidement (Ben Ali, Moubarak, Kadhafi), tandis que certains pays sombraient dans le chaos de la guerre civile (Libye, Syrie) ou restaient dans l'incertitude d'une "transition" inachevée (Tunisie, Egypte). Une situation qui a d'ailleurs actuellement tendance à empirer encore, avec une recrudescence du conflit israélo-palestinien et un début de guerre civile au Sud-Est de la Turquie.
Côté français, l'UpM apparaissait aux nouveaux gouvernants issus des élections de 2012 comme un "machin", voire un gadget dont le but premier aurait été de célébrer la geste sarkozienne. Pour certains, soutenir et s'engager pleinement pour l'UpM, c'eût été valider l'action du précédent locataire de l'Élysée, si honni et vilipendé, surtout au début du quinquennat Hollande. Une posture banale chez les politiciens... mais pas toujours pertinente.
En effet, depuis cet été 2015, avec les vagues de migrants - 500 000 depuis le début de l'année - à destination de l'Europe, et venus essentiellement de la zone de guerre syrienne, nos gouvernants ne peuvent plus faire "comme si" le délabrement sécuritaire de la région finirait un jour par s'éteindre de lui-même, simplement en "laissant du temps au temps". Depuis peu, cette prise de conscience s'exprime de deux manières : d'une côté par les interventions militaires décidées par les présidents français et russe, qui viennent s'ajouter à celle des Américains, mais dont la pertinence fait débat ; d'autre part, et de manière à terme structurellement plus constructive, par la récente Déclaration de Tanger du Dialogue 5+5*.
"Les Ministres s'accordent à conférer à l'UpM un rôle renforcé"
En effet, si la longue Déclaration de Tanger fait état des nombreux thèmes abordés - emploi des jeunes, mobilité, formation, emploi, entrepreneuriat, coopération universitaire, société civile, sécurité... - durant cette XIIe conférence qui a rassemblé les 6 et 7 octobre les ministres des Affaires étrangères des dix pays membres (à l'exception de celui de l'Algérie, représentée par son Ambassadeur au Maroc), c'est le passage relatif à l'Union pour la Méditerranée qui paraît le plus significatif :
"Les ministres saluent le rôle moteur de l'Union pour la Méditerranée (UpM), unique enceinte de coopération rassemblant l'ensemble des pays méditerranéens, en tant que plateforme de dialogue et de partenariat, qui, sous l'impulsion de son Secrétaire général [l'ambassadeur marocain Fathallah Sijilmassi, ndlr], a su devenir une véritable « agence de projets » dont le but est de favoriser le potentiel d'intégration régionale et la cohésion des pays euro-méditerranéens ", lit-on dans la Déclaration.
Cet hommage à la « véritable agence de projets » concrets qu'a su devenir l'UpM sous l'impulsion de Fathallah Sijilmassi, c'est aussi une justice rendue à l'institution, dont le mandat n'a jamais été de se constituer en "Onu de la Méditerranée" qui aurait eu pour mission de réduire les conflits et de se mêler de géopolitique, voire de la politique intérieure des États - ce que ses détracteurs n'ont pas manqué de lui reprocher injustement.
Pourtant, d'instance de coopération "technique" qu'est aujourd'hui encore le Secrétariat général de l'UpM, il se pourrait qu'il évolue dans un avenir proche vers un élargissement de ses missions. C'est en tout cas le souhait qui transparaît dans la seconde partie de la Déclaration de Tanger, relative à l'UpM :
"Les ministres s'accordent à conférer à l'UpM un rôle renforcé dans la future configuration de la PEV [Politique européenne de voisinage, ndlr] à travers un soutien accru de l'Union européenne aux projets labellisés, et plaident pour le renforcement des synergies et de l'esprit de complémentarité qui existent entre l'UpM et les différents processus de coopération régionale, en particulier, le Dialogue en Méditerranée Occidentale « 5+5 », l'AP-UpM**, l'ARLEM*** et la Fondation Anna Lindh****".
Si la Commission européenne respecte le calendrier fixé par son président Jean-Claude Juncker, c'est autour du mois de novembre qu'elle devrait faire connaître sa proposition de nouvelle politique de voisinage (PEV), en chantier depuis le printemps dernier. La nouvelle donne surviendrait ainsi grosso modo au moment du vingtième anniversaire du Processus de Barcelone (novembre 1995) dont l'UpM est en partie l'héritière, et placerait le Secrétariat général de l'Union pour la Méditerranée au centre du jeu, soit en plateforme de liens directs avec et entre les différentes institutions citées.
Le rôle du Secrétaire général Fathallah Sijilmassi en serait ainsi considérablement accru. Coopté à l'unanimité en 2012 pour un mandat de trois ans, reconduit en janvier dernier pour un second et ultime mandat, ce diplomate marocain bénéficie d'un grand crédit auprès de ses pairs, qui le connaissent bien, car il fut tour à tour ambassadeur à Bruxelles puis à Paris - et depuis 2012, il ne cesse de se rendre d'une capitale euroméditerranéenne à l'autre afin d'y plaider pour l'UpM.
Fathallah Sijilmassi disposerait donc d'environ deux ans et demi pour consolider et approfondir l'action de l'institution, pour faire la preuve irréversible de son utilité fondamentale au renouveau d'une coopération multiforme et d'égal à égal entre les deux rives de la Méditerranée. On serait alors en 2018, l'UpM revigorée fêterait ses dix ans...
Source de l'article La Tribune
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* Dialogue 5+5, ou Dialogue en Méditerranée Occidentale « 5+5 » (version longue) est une instance à caractère consultatif créée en 1990 à l'issue d'une réunion à Rome des ministres des Affaires étrangères. Elle rassemble depuis les pays de la Méditerranée occidentale autour d'un processus consultatif de coopération régionale, principalement axé sur les questions de sécurité et de coopération économique, mais dont les centres d'intérêt ont tendance à s'élargir.
Côté européen, les pays membres du 5+5 sont la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et Malte ; au Sud : la Tunisie, la Libye, le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie.
** AP-UpM : Association parlementaire de l'Union pour la Méditerranée. L'AP-UpM se réunit en session plénière au moins une fois par an et comporte 280 membres, répartis à égalité entre les rives nord et sud de la Méditerranée. L'AP-UpM adopte des résolutions ou des recommandations (qui ne sont pas juridiquement contraignantes) sur tous les aspects de la coopération euroméditerranéenne qui sont du ressort des organes exécutifs de l'UpM, du Conseil de l'UE, de la Commission européenne et des gouvernements nationaux des pays partenaires. L'AP-UpM est actuellement présidée par Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants du Maroc.
*** ARLEM : l'Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne. Inspirée du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, l'ARLEM se compose de 84 membres issus de l'Union européenne et de ses 16 partenaires méditerranéens, ces membres étant des représentants de régions ou de structures locales détenant un mandat électif. L'ARLEM est présidée par une coprésidence représentant de manière égale les partenaires méditerranéens et l'UE.
**** Fondation Anna Lindh : la Fondation euro-méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures (FAL), instituée par l'Union européenne et les pays du pourtour méditerranéen, vise à rapprocher les individus et les organisations des deux côtés de la Méditerranée grâce à des actions culturelles et de dialogue, afin d'améliorer le respect mutuel entre les cultures et de soutenir l'action de la société civile.
La FAL est cofinancée par les 42 pays de l'Union pour la Méditerranée et la Commission européenne, et son Conseil d'administration est composé de représentants des pays membres. Sa présidente actuelle, qui a succédé en janvier 2015 à André Azoulay, est l'ancien ministre Élisabeth Guigou, députée, présidente de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française.
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