Entretien
avec Bouthayna Iraqui, chef d’entreprise, ex-députée - «La promotion de la
pluralité pour l’intégration en Méditerranée»
La Fondation Bertelsmann, le Centre
pour la diversité de l’IE Business School pour la diversité du Management et
CDG Développement ont organisé, en collaboration avec l’Institut et la
Fondation CDG, deux journées autour du thème «Au-delà de la diversité, la
promotion de la pluralité pour l’intégration en Méditerranée». Les partenaires
de ce projet, ainsi que les membres du groupe de réflexion qui lui est associé,
se sont rassemblés autour d’un même objectif : œuvrer pour l’égalité des
chances au sein des entreprises de la région méditerranéenne.
Le Matin : On parle de plus en plus du
Management de la diversité : comment gérez-vous la diversité des équipes de
votre entreprise ?
Bouthayna Iraqui. |
Bouthayna Iraqui : La diversité en entreprise au Maroc n’est pas une
donne nouvelle. Le Maroc est multiple par ses territoires et les origines
ethniques diverses de ses citoyens, du fait d’une histoire de 14 siècles riche
en mouvements migratoires. Berbères, autochtones, Arabes venus du Cham, puis de
retour d’Europe et d’Andalousie, originaires d’Afrique ou gens du Sahara, tous
ont contribué à cet incroyable «melting pot» qu’est la société marocaine. Au
Maroc, nos entreprises sont aujourd’hui le reflet de cette diversité. LOCAMED,
l’entreprise que je gère, a diverses succursales dans les différentes régions
du Royaume et emploie des Marocains, hommes et femmes de diverses origines.
Dans
l’étude exposée aujourd’hui, j’ai retenu une approche nouvelle : le sentiment
d’appartenance. Dans la même optique, dans mon entreprise, nous avons su mettre
en avant ce sentiment d’appartenance à l’entreprise. Cela a permis à chacun de
mettre de côté certains éléments constitutifs de sa diversité et à tous de
mettre en commun des compétences et des affinités pour atteindre un objectif
commun : la performance de l’entreprise. Je pense aussi que cela n’a été
possible que parce que l’entreprise a su créer un environnement favorable à la
création de ce sentiment et à son entretien.
Quelles sont les conclusions que vous
retenez de l’atelier organisé par les fondations ?
L’étude
a apporté des éléments nouveaux, notamment concernant certains outils. Elle a
mis la lumière sur la nécessité de dépasser la différence, non pas par une
simple acceptation (c.-à-d. la somme des diversités), mais par la connaissance
et la prise en considération de la différence (c.-à-d., la synthèse). La
différence n’est plus, comme on pourrait le croire, juste dans le genre ou la
couleur de la peau, mais bien dans d’autres aspects aussi variés que
l’extraction sociale, le type d’éducation ou l’appartenance à un réseau, par exemple
à une élite ou une minorité. Un des outils présentés proposait de prendre en
considération trois étapes pour l’intégration de la pluralité. L’occultation
des diversités et leur étouffement par des règles rigides ne permettent pas
l’épanouissement des individus dans l’entreprise et peuvent mener à sa perte.
Il s’agit plutôt de créer des communautés de minorités qui permettent, dans un
premier temps, de faire valoir la diversité. Ensuite, dès lors qu’un degré de
maturité est atteint, on peut considérer une dilution de ces individus dans une
communauté plus large. C’est alors que la communauté peut s’enrichir de ces
diversités et en faire un moteur de croissance. Cet outil me semble pertinent
et pourrait enrichir la boîte à outil du manager.
Vous avez dirigé l’AFEM pendant
plusieurs années : où en est-on dans le domaine de la diversité au Maroc ?
Si
on considère la diversité dans sa dimension «genre», mon expérience à la
présidence de l’AFEM me permet de faire deux constats dans le domaine
économique. Primo : les femmes qui décident de créer leur entreprise vont, du
fait de ce choix, dépasser la problématique du «plafond de verre». Donc pour
les femmes-chefs d’entreprise, le problème sera plus dans la compétition entre
entreprises, et le fait que ces entreprises soient ou non gérées par une femme
influe peu. La communauté des femmes-chefs d’entreprise s’accroit d’année en
année et les chiffres de l’OMPIC des entreprises créées par des femmes le
démontrent. Quant à la question de la présence des femmes aux postes de
décision dans l’entreprise, il y en a peu, et leur nombre n’évolue guère. À ce
sujet, j’évoquerais plutôt les notions de «barrières collectives» et de
«barrières individuelles» pour décrire la situation. Concernant les barrières
individuelles, par exemple, il est un fait que tout le monde (homme ou femme)
ne peut pas être entrepreneur ; cela ne dépend pas uniquement de la compétence.
Au-delà de la compétence, il faut avoir une aptitude comportementale au
leadership et une forte volonté. Donc, même à compétences égales, les capacités
peuvent différer.
Certaines
femmes font, en outre, le choix délibéré de ne pas prendre de responsabilités
et de s’aménager une vie compatible avec une vie de famille confortable. À
l’inverse, d’autres font le choix d’assumer une carrière et de manager en
parallèle un foyer et des enfants. Elles pensent «qualité» plutôt que
«quantité». Elles pensent «objectif», «efficacité», «partage» et «sacrifice». À
ces femmes là, malheureusement, notre société rend ce challenge difficile.
C’est là qu’interviennent les «barrières collectives», celles dues aux
mentalités et aux héritages de l’histoire, souvent construites par les hommes
et pour les hommes…
Les femmes sont parfois présentées
comme une valeur ajoutée, un atout en termes de compétitivité et de
positionnement sur le marché. Partagez-vous ce point de vue ?
Beaucoup
de choses ont été écrites sur le Management au féminin. Je pourrais modestement
ajouter qu’au Maroc les femmes, dans les postes de responsabilité, recherchent
d’abord la légitimité, ce qui les conduit à toujours essayer de faire de leur
mieux. Elles déploient toutes les formes d’effort pour attirer l’adhésion de
tous. Elles font preuve d’empathie et de patience, plus que beaucoup de leurs
alter ego masculins. Pensant qu’elles n’ont pas droit à l’erreur, elles se
surpassent !
À travers les exemples développés par
les participants à l’atelier, on constate qu’il y a une régression, un repli de
l’évolution professionnelle des femmes en Espagne, au Canada… Pensez-vous que la
crise et le chômage qui se développe puissent représenter un frein à cette
évolution ?
Effectivement,
à la lecture des témoignages recueillis, beaucoup de femmes en Espagne, voyant
leur salaire réduit, remettent en question l’opportunité d’avoir des aides à
domicile et de continuer à travailler. Elles font alors le choix momentané de
ne pas travailler et de se consacrer exclusivement à leur foyer et à
l’éducation de leurs enfants. Certaines aussi ont fait le choix de suspendre
leurs carrières et de fonder des foyers, par opposition aux générations
précédentes qui, avides de liberté, juste après la «Movida», avaient tout
sacrifié pour leur carrière. La crise aidant, ce choix est, pour beaucoup de
femmes espagnoles, un choix par défaut, sauf lorsque l’époux n’a pas de travail
et qu’il faut au moins garantir un salaire.
Le management par la diversité est
présenté comme un projet moteur, qui devrait révolutionner ce qu’il est convenu
d’appeler la culture d’entreprise et impliquer l’ensemble du personnel. Qu’en
pensez-vous ?
Comme
je le disais précédemment, la diversité s’impose à nous, Marocains, de par la
structure sociale de notre pays et de par notre ouverture sur le monde. Nos
entreprises sont à l’image de notre pays et le management que nous devons
déployer doit être repensé en y intégrant le management de la diversité. C’est
dans le management de ces pluralités que l’entreprise marocaine peut se créer
un nouveau modèle bâti sur l’innovation et l’initiative, et s’adapter au monde
nouveau qui se crée sous nos yeux.
Entretien
réalisé par Farida Moha, Le MATIN
Source
de l’article Le MATIN
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