Mobilité urbaine dans les villes méditerranéennes : des enjeux clés pour leur avenir

Dans les pays du pourtour méditerranéen, deux habitants sur trois vivent dans des espaces urbains. Vers 2050, la population urbaine pourrait doubler pour atteindre plus de 300 millions d’habitants dans les pays de l’Est et du Sud. Les villes, autrefois compactes, se déploient en tâches d’huile, souvent le long des littoraux. Elles envahissent leurs périphéries, absorbent de petits villages jusque là indépendants et consomment des terres agricoles périurbaines.
Si la marche reste un mode de déplacement dominant dans les villes du Sud et de l’Est, des politiques publiques favorisant une motorisation de masse, ainsi que le déclin de la qualité de service des transports collectifs, ont engendré une extension urbaine incontrôlée et une dépendance accrue à la voiture dans la plupart des villes. Face aux conséquences attendues du changement climatique, la vulnérabilité historique des villes méditerranéennes sera aggravée. Pourtant moins émettrices de gaz à effet de serre mais plus impactées que d’autres régions du monde, elles sont en première ligne pour l’élaboration des stratégies d’adaptation au changement climatique et pour repenser leurs modes de développement. Ces défis pourraient être une chance pour les entreprises françaises, dont l'offre en matière de mobilité urbaine est l'une des forces de notre industrie.

Une prise de conscience progressive des enjeux liés à la mobilité urbaine
Les processus d’urbanisation sont caractérisés par la prédominance de logiques extensives qui engendrent des dynamiques de développement spontané et non maitrisé. Toutefois, le métro d’Alger, l’extension de celui du Caire, les lignes à haut niveau de service d’Istanbul, les projets de tramway au Maroc et en Tunisie sont les fruits de politiques publiques en faveur du développement de transports collectifs.
Ces exemples illustrent une prise de conscience récente des pouvoirs publics des enjeux associés aux questions de mobilité urbaine. Mais les démarches intégrées transport/urbanisme restent rares. Le plus souvent, les pratiques des acteurs publics et privés restent régies par des logiques opérationnelles plutôt que par des préoccupations territoriales. Cela se traduit par l’importation de produits urbains génériques, inspirés des standards internationaux et clairement dépendants de l’automobile.
À l’exception du Caire, la marche reste le mode de déplacement principal dans les villes du Sud et de l’Est. Alors qu’à Barcelone ou à Lyon, ils jouent un rôle central dans les logiques de rabattement vers les grands réseaux collectifs, les modes doux sont, la plupart du temps, absents des préoccupations des concepteurs publics de projets urbains. Le traitement de l’espace public au cœur des approches intégrées urbanisme/transport, en matière d’inter-modalité, d’accessibilité piétonne ou de régénération urbaine, fait défaut dans la plupart des projets. La densité de voitures dans les villes ne cesse de croître sans toutefois atteindre les niveaux du Nord. Les politiques publiques peinent à concilier la nécessité de réduire la dépendance à la voiture avec les aspirations des populations aux modes de consommation des pays plus développés.
 
Une offre de service insuffisante en matière de transports collectifs
Au Sud et à l’Est, les transports collectifs offrent rarement des conditions de confort, de régularité de service ou de sécurité satisfaisantes. L’inter-modalité est peu développée. Les lignes sont surchargées, les véhicules souvent vétustes, rarement climatisés. En l’absence de conditions de circulation prioritaires, les temps de trajets sont longs, les tarifications ne permettent pas toujours des correspondances.
De ce fait, ils gardent une image négative et semblent s’adresser à des populations captives, sans accès à l‘automobile. Face à ces insuffisances, le développement de transports spécialisés, scolaire, universitaire, administratif ou privé, se renforce. Réponse immédiate aux besoins de mobilité quotidienne, ces dispositifs entrent en concurrence directe avec les transports publics.
Les transports artisanaux, taxis collectifs, et minibus, comptent aussi parmi les principaux acteurs des transports urbains. Leur développement accompagne les dynamiques d’urbanisation extensives où l’offre institutionnelle ne peut suivre l’évolution de la demande. Adossé à des investissements privés et fortement créateurs d’emplois, il constitue un secteur socio- économique de toute première importance. Ces situations complexifient la coordination des opérateurs et nuisent à la constitution d’une offre de transport globale et intégrée à l’échelle des villes.
 
Des impacts environnementaux significatifs
La région présente un ensemble de facteurs naturels spécifiques favorisant la formation d’ozone. Les temps anticycloniques calmes génèrent des phénomènes d’inversion de température pouvant engendrer des dômes de pollution quasi permanents dans de nombreuses villes, comme Athènes, Le Caire, Gênes, Barcelone, Marseille-Aix. Ces phénomènes concentrent les principaux polluants chimiques et physiques susceptibles de créer ou d’aggraver des pathologies respiratoires (allergie, asthme).
Plusieurs exemples de politiques publiques volontaristes visant à réduire les émissions liées aux transports existent : systèmes de péages écologiques, bonus-malus et primes à la casse au Nord, renouvellement du parc de taxis au Gaz Naturel Véhicule au Caire ou conversion de bus/véhicules au Gaz de Pétrole Liquéfié-carburant en Turquie et en Algérie. Toutefois, les transports urbains constituent une des causes principales de la pollution locale par la concentration de particules fines. La vétusté des parcs automobiles, des bus et des taxis collectifs, ainsi que la diminution des vitesses de circulation engendrée par une congestion importante des réseaux routiers sont des facteurs nettement aggravants des émissions.
 
Un défaut de gouvernance urbaine
L’étalement urbain déborde des frontières administratives et tend à déconnecter l’organisation administrative du territoire de son fonctionnement réel. Au Sud et à l’Est, la gouvernance des villes est caractérisée par le rôle prépondérant des Etats, une grande centralisation administrative et un défaut d’autonomie des échelons intermédiaires. La faible attractivité de la fonction publique et la dispersion de l’ingénierie urbaine dans de multiples institutions publiques ou privées affaiblissent les capacités techniques locales.
Les logiques opérationnelles prédominent et la capacité à réguler le secteur privé s’amenuise. La confusion dans la répartition des compétences et les rivalités institutionnelles peuvent engendrer des effets de concurrence entre institutions sur les territoires et réduisent la cohérence de l’action publique. La création fréquente d’agences autonomes chargées de la mise en œuvre d’un projet territorial ne conforte pas les structures administratives conventionnelles. Nombre d’instances de coordination ne sont pas dotées des pouvoirs de tutelle suffisants pour exercer leur fonction d’arbitrage.
Vers des politiques publiques adaptées...
…Par une maitrise de la demande
L’offre de transports publics et, plus largement, les grands réseaux urbains sont dans l’incapacité de suivre le développement croissant de la demande de mobilité. Le cas du Caire et ses densités record illustre bien que la recherche d’une plus grande compacité n’est pas suffisante pour espérer traiter des interactions entre déplacement et urbanisation. Si les politiques en faveur d’une maîtrise de l’étalement urbain doivent être considérées comme une priorité de l’action publique, il reste que la question de la place de la voiture est posée. Plutôt que la promotion d’une « ville sans voiture », il s’agit de favoriser la régulation de son usage. Selon les situations rencontrées, des mesures incitatives (développement de l’offre de transports collectifs, renouvellement du parc auto, ajustement du réseau routier), peuvent être combinées à des mesures coercitives (mise en œuvre de lignes en sites propres, politiques de stationnement dissuasives ou de restrictions de la circulation dans les zones les plus denses - piétonisation, péages urbains écologiques -).
 
… Par des approches multimodales de l’offre
La constitution d’un réseau multimodal à l’échelle des agglomérations, coordonné par une autorité unique, doit être un objectif majeur des politiques publiques de transports urbains. Les logiques d’exploitation des opérateurs institutionnels s’imposent trop souvent aux besoins des populations. L’usager doit être replacé, par les pouvoirs publics et les opérateurs de transport, au cœur de la conception des projets et des politiques publiques. Grâce à des capacités d’adaptation dynamique à la demande, l’offre artisanale présente généralement un bon niveau de service. Peu pris en compte par les autorités locales dans la planification des réseaux et la conception des projets, les transports artisanaux assurent néanmoins une fonction clé de rabattement vers des transports de masses. Circonscrits dans l’espace et structurés à partir d’une flotte captive, ils pourraient aussi représenter une véritable opportunité de dissémination des nouvelles technologies vertes (énergies non fossiles, véhicules électriques et hybrides, etc.). Il s’agit de plaider pour leur pleine inté- gration dans la constitution d’une offre globale.
 
… Par une sensibilisation des décideurs aux enjeux sanitaires et environnementaux
Si la lutte contre le réchauffement climatique a désormais attiré l’attention des décideurs publics sur les enjeux de la réduction des gaz à effet de serre, la prise de conscience des enjeux liés à la santé publique, et notamment à la qualité de l’air, reste limitée. Des dispositifs innovants de surveillance et d’observation sont en place dans certaines villes, mais un profond renouvellement des approches méthodologiques doit être opéré pour apprécier les impacts socioenvironnementaux des transports urbains sur les populations. La dissémination de ces nouveaux outils d’observations pourrait permettre d’intégrer les enjeux environnementaux dans les exercices de planification stratégique.
 
Consolider la maîtrise d'ouvrage urbaine des villes méditerranéenne
Face aux défis majeurs que vont devoir affronter les villes méditerranéennes en matière de démographie et d’adaptation aux changements climatiques, il convient de privilégier trois idées clés : è L’amélioration de la connaissance des dynamiques urbaines, avec la consolidation de l’expertise technique locale, la constitution d’outils de suivi et d’évaluation fondés sur les données de bases de la mobilité urbaine doit être poursuivie. è Une territorialisation des politiques publiques : la prise en compte des nouvelles échelles des villes, intégrant des approches par l’usage plus que par l’offre, doit être privilégiée pour l’amélioration de la coordination entre acteurs et praticiens locaux. è Le renouvellement des pratiques professionnelles pour la mise en œuvre de modèles urbains moins dépendants de l’automobile : urbanisme et réseaux multimodaux intégrés de transports collectifs doivent être intimement liés autour d’espaces publics réhabilités. Plus largement, l’émergence d’une maitrise d’ouvrage urbaine, dotée de compétences, de moyens propres et de capacités d’arbitrage sur les acteurs locaux est une des conditions de réussite de la mise en œuvre de politiques urbaines plus durables.
Paru dans Accomex n° 104 - Mobilité urbaine
Source de l'article UCCIFE

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