Aider la Tunisie : une exigence morale pour la France et l’Europe

Le printemps arabe de 2012 est très différent de celui de 2011. Nombreux sont les pays qui poursuivent leur révolution. La Tunisie est instable. Le gouvernement marocain voit l’opposition se remobiliser. L’Egypte est chaotique. La Libye se tribalise. La Syrie est en guerre. Le Liban subit les contrecoups de ce conflit. Le Yémen, L’Iran…
Tout cela est normal ! La révolution ne se fait pas en un jour, ou en un an ! Mieux vaut, pour l’Occident, traiter avec des démocrates en herbe qu’avec des dictateurs chevronnés. Ceci étant, la France doit tout faire pour accélérer les évolutions dans «le bon sens» : plus de démocratie, plus d’emplois privés locaux, plus de transparence, plus d’équité, moins de rentes et de corruption…
Nous ne pouvons que nous réjouir que notre pays ait joué un rôle important dans le changement de régime en Libye et qu’il s’intéresse de très près au devenir de la Syrie. On peut toutefois regretter que la France, après avoir, comme les autres pays, complètement raté la révolution du jasmin tunisienne, tarde à délivrer un grand discours sur les révolutions arabes.
Parmi tous les pays du sud de la Méditerranée, la Tunisie mérite un sort à part. Pourquoi l’aider et surtout comment l’aider dans cette phase difficile de son histoire ? Il faut que la France aide la Tunisie pour trois raisons majeures. Tout d’abord, c’est le premier pays arabe qui a fait une révolution totale. C’est un petit pays, avec une population éduquée, des femmes libérées et une société civile très vivante. C’est un pays qui a des fondamentaux très solides : un Etat, une administration, une armée… C’est un pays qui peut aller très vite vers une normalisation démocratique telle qu’on l’observe dans les pays développés. Si la Tunisie devenait rapidement une success story, elle servirait de modèle pour les autres pays arabes et pour les pays européens. Enfin, une révolution arabe qui débouche sur un succès ! Par ailleurs, la Tunisie mérite l’attention de la France parce que les liens historiques et économiques entre ces deux pays sont très denses. Qu’on en juge au travers de quelques chiffres trop méconnus : près de 600 000 Tunisiens vivent en France et plus de 30 000 Français vivent en Tunisie ; 1 300 entreprises françaises sont implantées en Tunisie et génèrent près de 12 000 emplois ; la France représente 40% des investissements directs étrangers en Tunisie, 30% des exportations tunisiennes et elle est le premier fournisseur de produits industriels (hors pétrole) de ce pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ensemble de ces liens donnent à la France une responsabilité de premier plan.
Enfin, parce qu’ils ont fait une «vraie» révolution, les Tunisiens ont une économie très affaiblie : un PIB en baisse de 2,2% en 2011 ; un tourisme (qui représente, directement et indirectement, près de 20% du PIB et qui emploie 400 000 personnes) en situation d’implosion avec 2 millions de touristes en moins en 2011 et des recettes 2011 en baisse de 40% par rapport à 2010 (avec, il est vrai, un fragile rebond début 2012). Résultat ? Des réserves de changes revenues à fin 2011 à 113 jours d’importation… Et l’avenir de la Tunisie est encore plus sombre que le présent avec une flambée des prix difficile à maîtriser et l’arrivée de près de 400 000 Libyens ayant, momentanément au moins, déserté leur pays.
Face à une telle situation, la France se doit de réagir, faute de quoi ce seront les Etats-Unis - très présents à Tunis depuis début 2011 - qui emporteront la mise.
Quatre actions pourraient être entreprises :
D’abord se mettre dans une situation d’écoute et adopter une nouvelle démarche. Ecouter les Tunisiens. Savoir ce qu’ils veulent. Coller à leur demande et ne pas leur imposer des solutions extérieures nécessairement inadaptées.
La France peut aussi réagir en défendant auprès de l’Europe l’accession de la Tunisie au statut de pays privilégié, voire de pays avancé, comme le Maroc. La Commission européenne pourrait, dans ce cadre, mettre en place des jumelages administratifs et autoriser l’usage des fonds structurels notamment pour l’espace rural, l’espace urbain et les grandes infrastructures. Ce pays, qui a des bases saines, a besoin d’une impulsion financière extérieure pour relancer sa croissance. Des aides budgétaires de la Commission et des prêts de la BEI et de la Berd pourraient avoir rapidement des effets positifs.
Par ailleurs, la France et l’Allemagne pourraient prendre l’initiative d’une vaste campagne de publicité pour encourager le développement du tourisme tunisien.
Enfin, la France pourrait relancer une politique de coopération décentralisée de grande ampleur entre les régions françaises et tunisiennes, impliquant la coopération de lycée à lycée, d’hôpital à hôpital, d’université à université, de collectivité locale à collectivité locale. Cette coopération décentralisée serait le meilleur des leviers pour recréer de la confiance dans la durée.
Cette aide de la France doit être significative (on parle là de sommes qui ne risquent pas d’aggraver significativement le déficit budgétaire, quelques dizaines de millions d’euros tout au plus), précise (dans des projets clairement identifiés) et rapide car «il y a le feu au lac» à Tunis…
Aider la Tunisie dans un premier temps, ce n’est pas se désintéresser pour autant des deux autres pays du Maghreb. Bien au contraire. Le dossier le plus difficile mais le plus stratégique pour la France dans cette région reste l’Algérie. Le président de la République va se rendre à Alger pour son premier voyage officiel au Maghreb. C’est une très bonne initiative. La France dépend de l’Algérie comme l’Algérie dépend de la France. Dans les relations entre ces deux pays jumeaux, il faut tout remettre à plat, sans oublier le passé mais sans en être esclave. Le chantier est immense. Il faut, lui aussi, l’ouvrir vite. L’urgence est moindre qu’en Tunisie, mais l’enjeu est encore plus grand pour la France.
Courage monsieur le Président.
 
Par JEN-LOUIS GUIGOU Fondateur et délégué général de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen, OLIVIER PASTRÉ Professeur à Paris-8, président d’IM Bank (Tunisie)
Source de l'article Libération

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